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mardi 10 mars 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (35) : LA PREMIÈRE CROISADE ; ÉPILOGUE

L'AVIDITÉ TERRITORIALE
Elle est une forme de pillage comme les autres puisqu'elle conduit à s'approprier des biens possédés par autrui. Ces tentatives d'appropriations sont constantes et apparaissent à chaque instant tant l'avidité des princes est grande : de nombreux exemples en ont été cités :
   . La concurrence entre Tancrède et Baudouin pour la possession des villes de Cilicie arménienne pourtant chrétiennes,
   . Le fait que Baudouin se détourne de la croisade pour aller s'emparer d'Edesse également aux mains de chrétiens,
   . Les querelles entre Raymond de saint Gilles et Bohemond pour la domination d'Antioche
   . Les fausses informations données au siège d'Archis afin de permettre au même Raymond de s'emparer de la ville.
   . Le fait que Baudouin tout comme Bohemond aient préféré se consacrer à l'extension de leur principauté plutôt que de participer à la délivrance du saint Sépulcre...

A cela s'ajouta la querelle entre les princes pour le partage de Jérusalem : Raymond prétendant garder la citadelle de David dont il a obtenu la reddition au détriment de Godefroy de Bouillon qui venait d'être élu roi de Jérusalem et qui n'avait consenti à son élévation qu'en prenant le titre d'Avoué du saint Sépulcre. ( le duc de Lorraine étant selon les chroniques un des seuls princes qui n'ait pas manifesté d'ambitions territoriales).

Ces querelles verbales furent parfois si violentes qu'elle auraient pu déboucher sur des batailles rangées si deux types de modérations ne s'étaient pas effectuées :
     . l'une par la présence des clercs qui s'employaient à modérer les esprits,
     . l'autre par le fait que les ambitions des uns contrebalançaient celles des autres et que s'établissait une sorte d'équilibre entre les appétits de fiefs de chacun,  assortis d'alliances temporaires et fluctuantes.

Voici, ci-dessous, rapportés par Raoul de Caen, un exemple des joutes verbales et des insultes que l'on pouvait entendre au conseil des princes et des tentatives d'assassinat que l'on pouvait organiser :

Bohemond qui revendique Antioche, craint que Raymond, grâce à victoire obtenue par la lance, se fasse attribuer la cité ; plutôt que d'attaquer directement le comte de Toulouse, il préfère s'en prendre à la lance :  
 "Maintenant que dirai-je en retour de ce grand  outrage, par lequel les Provençaux veulent attribuer à leur fer  ( la sainte lance) notre victoire, qui vient du ciel... ? que le comte plein de cupidité, que le vulgaire imbécile attribuent, s'ils le veulent, leur victoire à ce fer ; quant à nous, nous n'avons vaincu que par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ."

Une partie du conseil des princes se rallie à Bohemond:
"Il dit, et l'on voit. s'unir à lui ceux dont l'esprit plus pénétrant découvrait mieux le fond des choses, les comtes de Normandie et de Flandre, Arnoul, qui remplissait les fonctions de légat, et Tancrède"

Raymond de Toulouse fâché par les insultes de Bohemond, menace celui-ci de mort. Il possède une grande partie d'Antioche, s'il tue Bohemond, il pourra s'emparer de toute la ville :  "blessé par les traits acérés des raisonnements de Bohémond, cherche aussitôt mille manières, mille voies propres à servir sa vengeance : Ou je mourrai, s'écrie t-il, ou je me vengerai d'un tel affront. Si je ne puis en trouver l'occasion ouvertement, je chercherai une occasion en secret ; si la lance ne.peut me servir, le poignard me servira."

La ville est sous ma protection; la citadelle de la montagne, le palais royal, la place, le pont, la porte, sont sous mes ordres; la lance aussi et un  peuple nombreux sont à ma disposition. Que me reste-t-il donc à désirer, si ce n'est d'obtenir la  principauté d'Antioche après la mort de Bohémond ?"

Cette menace n'est pas une simple argutie verbale : Raymond tente d'organiser une rébellion contre Bohemond afin qu'il soit tué : il fomente le " projet d'aller exciter une sédition, de produire un soulèvement universel, afin qu'il en résulte des querelles sur la place publique, qu'il s'élève un cri général que les peuples sont agités, que chaque chef porte secours aux siens, et que tous les arcs, tous les traits soient dirigés contre Bohemond."

"Mais tandis que Raymond, tel qu'un lion enfermé dans sa caverne, méditait ainsi ses artifices, Dieu ne voulut pas permettre que l'iniquité demeurât cachée; et la faisant connaître à Arnoul, il se servit de lui pour la découvrir aussi à Bohemond " . La tentative d'assassinat fut donc déjouée !

Ce texte en dit long sur les pratiques des princes !

CONCLUSION
Ainsi, il apparait à propos des mentalités et comportements que la croisade a suscité un ensemble de constatations bien négatives : massacres, pillage et exactions sont le lot quotidien sans que l'on mette jamais en doute l'amoralité de ces actes : le combat pour Dieu justifie tout et d'ailleurs la caution des clercs présent suffit à cette justification.

Peu à peu au fil du temps , les tensions devinrent moindres entre chrétiens et musulmans, une certaine cohabitation par la force des choses se mît en place. Cela est dû à plusieurs facteurs :

    . Après la prise de Jérusalem, beaucoup de chrétiens rentrèrent en Occident, les francs qui s'installèrent furent assez peu nombreux, ils pouvaient certes défendre leurs possessions mais sûrement pas les mettre en valeur, il fallut s'entendre avec les autochtones pour les exploiter.

    . Une deuxième raison et que les chrétiens constatèrent à quel point ils avaient à apprendre des civilisations islamiques tant au niveau pratique qu'à celui de la pensée. Cette cohabitation conduisit-elle à une interpénétration sociale ? Probablement pas même si les occidentaux, comme le rapporte Foucher de Chartres s'adaptèrent très vite à cette nouvelle vie orientale avec par exemple des mariages mixtes mais uniquement entre chrétiens. En fait, deux sociétés vécurent juxtaposées l'une à l'autre sans se mélanger. Voici par exemple,  ce qu'écrit Usama Ibn Munqidh 1095-1188 qui eut l'occasion de côtoyer les croisés : "Je me suis demandé, dans les débuts, s’ils allaient vraiment ressembler à nous, avec le temps. J’ai pu croire, à travers certains d’entre eux, au miracle : sinon qu’ils embrassent notre foi, du moins que, restés chrétiens, ils apprennent, en masse, notre langue et partagent, comme les chrétiens de chez nous, une même vie avec leurs frères musulmans. Mais les Francs, dans leur ensemble, n’ont voulu ni l’un ni l’autre. »

    . Il va de soi que les conquérants importèrent leur mode de vie féodale en Terre-sainte : on vit se créer des fiefs, ainsi qu'une hiérarchie de vassalité menant aux souverains ; de même, le servage et ses impositions furent instaurés sur la masse des paysans musulmans. Enfin, bien entendu, cette importation des modes de vie occidentales en terre sainte vit aussi la continuation de la conquête afin d'agrandir les fiefs et de donner aux seigneurs toujours plus de puissance.

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