REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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vendredi 31 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (122) : L'ÉTAT D'ESPRIT DES HABITANTS DES ETATS FRANCS DE TERRE SAINTE

Suite de l'article précédent

Dans JACQUES DE VITRY (Historia orientalis et occidentalis)

Jacques de Vitry ( vers 1160-70 ; 1240 ) est beaucoup plus négatif dans son jugement des francs de Terre Sainte que Foucher de Chartres comme en témoigne le long extrait ci-dessous dans lequel il abreuve d'injures les habitants de Terre Sainte qui se sont mal conduits dès le moment où ils ont occupé le pays. . J'ai noté ces insultes ainsi que les comportements déviants en gras.

" Toutefois ceux qui, dès le moment de la délivrance de la Terre-Sainte, ont le mieux connu la situation de ce pays...affirment... qu'aucune race d'hommes...ne lui ont nui autant que ses propres habitants, hommes criminels et empestés, scélérats et impies, sacrilèges, voleurs et ravisseurs, homicides, parricides, parjures, adultères et traîtres, corsaires ou pirates, coureurs de rues, ivrognes, mauvais bouffons, joueurs, mimes et histrions, ces moines apostats, ces religieuses devenues femmes publiques, et ces femmes encore qui abandonnaient leurs maris pour s'attacher à leurs amants, et ces hommes qui fuyaient leurs propres femmes et en épousaient d'autres ensuite.

Des hommes également abominables et habitants de l'Occident traversaient la mer Méditerranée, et se réfugiaient dans la Terre-Sainte... ils souillaient cette terre de vices et de crimes innombrables, et se livraient avec d'autant plus d'audace à leurs méchantes habitudes, que, se trouvant plus éloignés de leurs connaissances et de leurs parents, ils péchaient sans pudeur, ne craignant point le Seigneur et n'ayant aucun respect pour les hommes.

La facilité qu'ils trouvaient à s'évader, l'impunité de tous les crimes et leur extrême impiété relâchaient encore plus tous les liens de la société; aussitôt que ces hommes avaient commis quelque crime, ou bien ils s'enfuyaient auprès de leurs voisins les Sarrasins et reniaient le Christ, ou bien ils se retiraient sur les galères et les navires et passaient de là dans les îles, ou bien ils parcouraient les maisons des Ordres réguliers qu'ils trouvaient de tous côtés sur leur chemin et y obtenaient l'impunité, par l'effet d'un pernicieux privilège qui garantissait dans ces retraites la liberté de ces impies.

Quelques-uns, hommes de sang... après avoir été dans leur pays saisis [à cause] de leurs méfaits, et condamnés à une mutilation de membres ou à être pendus, obtenaient à force de prières, et plus souvent encore à prix d'argent, de faire convertir leur peine en un exil perpétuel dans la Terre-Sainte. Ces hommes, qui n'étaient point touchés de repentance, devenus habitants de la Terre-Sainte, faisaient payer aux pèlerins leurs logements à des prix excessifs, trompaient les gens imprudents et les étrangers, leur attrapaient de l'argent par toutes sortes d'entreprises illégales, et soutenaient ainsi leur misérable existence du produit des dépouilles de leurs hôtes. Dans l'espoir d'un gain plus considérable, ils offraient aussi des retraites chez eux aux sicaires et aux voleurs, à ceux qui jouaient aux jeux de hasard et aux femmes de mauvaise vie; et quant aux riches et aux puissants, afin de s'assurer leur protection et d'être soutenus par eux dans leurs iniquités, ils leur donnaient un revenu annuel... Ceux qui achetaient à grand prix la direction et le commandement des maisons de prostitution et de jeu extorquaient de fortes sommes d'argent aux femmes de mauvaise vie et aux joueurs.

D'autres hommes, que dominaient la vanité, l'inconstance ou la légèreté de leur esprit,partaient en pèlerins pour aller visiter les lieux saints, et s'y rendaient bien moins par un sentiment de dévotion que par curiosité, par l'attrait de nouveauté que leur inspiraient des pays inconnus, voulant voir eux-mêmes, non sans braver de très-grandes fatigues, les merveilles qu'ils avaient entendu raconter sur les pays de l'Orient. [ces]  hommes légers et curieux tournent en vanité tout ce que le Seigneur a daigné faire en témoignage de sa puissance ...."

Ainsi, si l'on en croit Jacques de Vitry, les Etats de Terre Sainte seraient quasiment peuplés de bandits et de voyous qui ne respectent rien et ne pensent qu'à assouvir leurs plus bas instincts, établissant le règne de la luxure, de l'impiété, de la violence et de l'apostasie. Tous se laissent entraîner à cette atmosphère y compris les membre des ordres religieux.

Selon Jacques de Vitry, cet état d'esprit et cette dégradation morale de la société s'expliquent par deux facteurs :
     . Ceux qui arrivent en Terre Sainte sont pour beaucoup des criminels qui ont échappé aux sanctions de la justice dans leur pays en s'exilant de gré ou de force en dans les Etats francs. Comme ils ne modifient pas leurs comportements, ils y transfèrent leur mauvais instincts, exploitant les pèlerins, créant des maisons de jeux et de prostitution.
     . A cela s'ajoute le fait que l'impunité est générale. Les bandits corrompent les puissants en achetant leur silence et leur complicité ;  il y a aussi toujours la possibilité pour eux de s'expatrier dans les îles et même dans les pays musulmans. Enfin, ils peuvent être accueillis dans les monastères et bénéficier du droit d'asile.

Si on extrapole ces informations, on peut supposer que cette permissivité gangrène toute la société établissant partout le règne du non-droit.

Que penser de ces témoignages presque totalement antinomiques :  société idéale évoquant presque le paradis terrestre pour Foucher de Chartes ou société pervertie par une ambiance de violence sauvage et de perversité que l'on qualifierait actuellement de "mafieuse" ?

Certes, l'œuvre de Jacques de Vitry est dans son ensemble très négative et pessimiste dans sa description du monde qui l'entoure, ce qui peut conduire à tempérer ses propos, pourtant, il me semble que ces deux chroniqueurs décrivent les deux faces de la même réalité :

     . Les croisades et expéditions militaires ont conduit indubitablement à l'enrichissement de ceux qui y ont participé. Chaque ville conquise fut systématiquement pillée et leurs habitants massacrés avec même la pratique de la profanation des morts à qui l'on ouvre le ventre pour récupérer les pièces d'or qu'ils auraient pu avaler. La soif éhontée de richesses a été une des motivations essentielles de nombre d'habitants des Etats francs Rappelons, à cet égard, la discussion qui eut lieu lors de la quatrième expédition d'Egypte entre ceux qui voulait prendre Le Caire d'assaut  afin de la piller et le roi qui ne voulait imposer qu'un lourd tribut : le pillage enrichirait tous les participants alors que le tribut ne profiterait qu'au roi. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre cette phrase de Foucher de Chartres, "Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches"

    . Les francs se sont trouvés dans un pays dont ils purent se partager les terres et biens au détriment des autochtones : de nos jours, on appellerait cela du colonialisme. Celui qui n'était qu'un pauvre métayer dispose maintenant d'une grande ferme. On comprend que dans ces conditions, les poulains n'ont aucune envie de rentrer en Occident. (1)

    . La présence en Terre Sainte d'individus aux comportements déviants n'a rien d'étonnant : quand, lors d'une confession, le prêtre apprend que quelqu'un a commis un grave délit, il lui inflige de lourdes pénitences dont le pèlerinage  sur les lieux saints ( ce fut par exemple le cas de Louis VII lors de la deuxième croisade). Quand ils ont terminé leur pèlerinage, certains peuvent rester au vue de l'atmosphère délétère régnante.

    . S'ajoute la venue de nombreux aventuriers qui n'ont plus rien à espérer en Occident et qui viennent en Terre Sainte par appétit de conquête et de puissance, ce sont eux qui influèrent sur l'avenir de la Terre Sainte en faisant passer leurs intérêts personnels avant toute chose.  L'échec de la deuxième croisade, comme celui des expéditions d'Egypte en sont une preuve évidente. Parmi ces aventuriers, le plus avide et le plus détestable fut Renaud de Châtillon qui, par son goût éhonté du pillage, sera responsable de la bataille de Hattin qui conduisit à la quasi-disparition du royaume de Jérusalem .

    . Enfin, il convient de rappeler que la première croisade a été ponctué de massacres et de pillages pendant lesquels les croisés ont montré sauvagerie et férocité, ce qui correspond assez à la description effectuée par Jacques de Vitry.

1- On peut aussi mentionner dans cette perspective et  bien que Foucher de Chartres ne le cite pas, l'enrichissement des cités portuaires italiennes qui transportent dans un sens les pèlerins et qui reviennent les cales remplies des produits d'Orient qu'ils revendront à toute l'Europe. Ces marchands italiens feront systématiquement passer leurs intérêts au détriment de la pérennité des Etats francs. 

jeudi 30 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (121) : L'ÉTAT D'ESPRIT DES HABITANTS DES ETATS FRANCS DE TERRE SAINTE

Les chroniqueurs médiévaux ne décrivent pas seulement les hauts faits d'armes des francs de Terre Sainte, ils traitent aussi de domaines variés comme l'histoire, la botanique et la zoologie ainsi que la géographie du monde qui les entourent. Ils abordent également les traits dominant des mentalités et modes de vie  des habitants des Etats francs, ceux que l'on appelle communément les " poulains" (de même que le poulain est le petit de la jument, les "poulains" de Terre Sainte sont les enfants nés en Palestine des chevaliers restés sur place après la croisade)

De larges extraits des œuvres de Foucher de Chartes, de Jacques de Vitry et de Guillaume de Tyr permettent de se faire une idée précise quoique contrastée des mentalites de l'époque.

FOUCHER DE CHARTRES (Historia Hierosolymitana, vers 1127),

Dans son chapitre LVII, Foucher de Chartres présente un aspect plutôt sympathique et positif de la population qui habite la Terre sainte comme le montre le texte qui suit :

" Qu'on ne s'étonne pas de voir des prodiges paraître dans le ciel, puisque Dieu en opère également sur la terre... il transforme et arrange tout comme il lui plaît.

Considérez et réfléchissez en vous-même de quelle manière, en notre temps, Dieu a transformé l'Occident en Orient ;  nous qui avons été des Occidentaux, nous sommes devenus des Orientaux celui qui était Romain ou Franc est devenu ici Galiléen ou habitant de la Palestine celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié les lieux de notre naissance ; déjà ils sont inconnus à plusieurs de nous, ou du moins ils n'en entendent plus parler. Tels d'entre nous possèdent déjà en ce pays des maisons et des serviteurs qui lui appartiennent comme par droit héréditaire; tel autre a épousé une femme qui n'est point sa compatriote, une Syrienne ou Arménienne, ou même une Sarrasine qui a reçu la grâce du baptême

... l'un cultive des vignes, l'autre des champs; ils parlent diverses langues, et sont déjà tous parvenus à s'entendre. Les idiomes les plus différents sont maintenant communs à l'une et à l'autre nation, et la confiance rapproche les races les plus éloignées. Il a été écrit en effet, « le lion et le boeuf mangent au même râtelier." Celui qui était étranger est maintenant indigène, Ie pélerin est devenu habitant; de jour en jour nos parents et nos proches nous viennent rejoindre ici, abandonnant les biens qu'ils possédaient en Occident. Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches ceux qui n'avaient que peu d'écus possèdent ici un nombre infini de byzantins [une monnaie] ceux qui n'avaient qu'une métairie, Dieu leur donne ici une ville. Pourquoi retournerait-il en Occident celui qui trouve l'Orient si favorable?

Dieu ne veut pas que ceux qui, portant leur croix, se sont dévoués à le suivre tombent ici dans l'indigence. C'est là, vous le voyez bien, un miracle immense, et que le monde entier doit admirer. Qui a jamais entendu dire rien de pareil ? Dieu veut nous enrichir tous et nous attirer a lui comme des amis chers à son cœur..."

Il s'est produit selon Foucher de Chartres, une véritable mutation des "poulains" par rapport aux croisés qui, pour la plupart rentraient chez eux une fois la croisade terminée :
     . D'abord, ils se sentent chez eux, ils sont nés en Palestine, c'est là que sont leurs véritables racines et non en Occident d'où proviennent leurs ancêtres.
     . Certains de ces "poulains" ont épousé des femmes chrétiennes autochtones ce qui renforce encore leur sentiment d'appartenance à la Terre Sainte. Bien entendu, ces mariages ne se font qu'entre chrétiens, il n'existe pas de lien réel avec la population musulmane ni de cohésion sociale entre la société des chrétiens et celle des musulmans.
    . Ils étaient séparés en Occident par les langues de leurs pays d'origine et par le fait des antagonismes entre leurs souverains. En Terre Sainte, tout cela dût être oublié : il se créa une sorte de sabir mélangeant toutes les langues et permettant à chacun de se comprendre. quant aux rivalités nationales, elles ne pouvaient que s'étioler aux fur et à mesure que disparaissaient les liens avec l'Occident.
   . Leurs familles étaient pauvres en Occident, eux sont riches : ils possèdent les terres et les biens qu'ils ont acquis par droit de conquête et qui leur permettre de vivre quasiment dans l'opulence. Ils se sont aussi affranchis de toutes les sujétions imposées aux pauvres en Occident.

Selon Foucher de Chartres, tous ces bienfaits émanent de Dieu qui voulut récompenser les enfants de ceux qui avaient obéi à ses desseins en quittant tout pour venir en croisade. On a l'impression que se crée en Terre Sainte un succédané de Paradis Terrestre et même que l'on revient aux modes de vie antérieurs à la Tour de Babel où tous parlaient la même langue et vivaient dans l'harmonie.

mercredi 29 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (120) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LE SCEAU DU MAÎTRE DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL.

Il est parfaitement révélateur de la fonction hospitalière de l'ordre comme le montre bien le sceau de Caste de Murols, un des plus ancien sceau conservé ( avec celui de Raymond Du Puy mais qui est peu lisible)

D'un côté, est représenté un personnage agenouillé, les mains jointes, devant une croix à double traverse. De part et d'autre de la croix, se trouvent les deux lettres grecques l'Α et l'Ω  qui se réfèrent à l'Apocalypse (22:13) : "Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin" .

Cette représentation est très différente de celles qu'utilisaient les templiers sur leurs sceaux qui portait à l'avers deux chevaliers sur un seul cheval. Sur le sceau de Caste de Murols, c'est un plutôt un moine en prière qui est représenté.

L'inscription se suit de l'avers au revers
CASTUS CUSTOS ... HOSPITALIS + IERUSALEM
Caste gardien.... de l'Hôpital de Jérusalem

Sur ce sceau n'apparaît pas le qualificatif de "Magister" au profit du terme "custos" : celui qui garde l'hôpital tel que la règle l'a établi en veillant à son observance.

Le revers du sceau de Caste de Murols étant assez peu lisible, j'ai représenté ci-dessous  le revers du sceau de Geoffroy du Donjon datant de 1193, ainsi que celui de Guillaume, patriarche de Jerusalem, ce qui permettra d'utiles comparaisons.


Les deux sceaux des maîtres de l'Hôpital figurent la même scène :
      . Au dessus, se trouve la représentation d'un bâtiment surmonté d'une coupole centrale et de deux coupoles latérales. La coupole centrale semble surmontée de la croix de l'inscription.
     . de la coupole centrale pend une lampe.
     . En dessous, se trouve un corps qui semble couvert d'un drap ou même enveloppé dans un suaire. Il est allongé sur un lit.
     . De part et d'autre du lit, se trouvent une croix à droite et à gauche, un encensoir tenu par des chaînes que l'on semble agiter.

La présence de ce personnage allongé sur un lit a donné lieu à de nombreuses conjectures : est-ce un malade, un mort où le Christ au Sépulcre ?

Pour répondre à cette question, il peut être utile de comparer les sceaux des maîtres de l'hôpital à celui du patriarche de Jérusalem. Sur ce dernier est manifestement représenté le Saint-Sépulcre : on y aperçoit  une double arcade sous laquelle pendent deux lampes ; en dessous se trouve un sarcophage dans lequel git le corps de Jésus. Deux personnages complètent le décor sans que l'on puisse clairement les distinguer (Ange ou saintes femmes ?)

A première vue, ces décors sont similaires pourtant, il apparait entre eux d'importantes différences :
   . Le Christ est dans un sarcophage alors que le personnage du sceau est allongé sur un lit.
   . Le sceau du patriarche représente l'intérieur du Saint-Sépulcre et fait partie du décor alors que le sceau hospitalier place le Saint Sépulcre au dessus du lit, comme si on en voyait l'extérieur vu de loin, ce qui est conforme d'ailleurs à la topographie puisque le quartier occupé par l'hôpital jouxte au sud le Saint-Sépulcre.

De ce qui précède, on peut en conclure que le personnage couché sur le lit n'est pas le Christ et donc que la scène représente plutôt ce qui se passe à l'hôpital. Dans cette perspective, est-ce un malade ou un mort ?
Au vu de la présence de l'encensoir, il s'agit très probablement d'un mort allongé sur un lit de parade et enveloppé dans son suaire à qui on rend un dernier hommage.

Ce point de vue permet de formuler deux idées connexes :
     . En premier lieu, il permet de rappeler que les Hospitaliers sont des moines dont la mission est certes de soigner les malades mais aussi de permettre à leur 'âme de marcher vers son salut.
     . Le sceau des maîtres de l'hôpital revêt, selon moi, aussi un sens symbolique puisqu'il semble établir une corrélation entre le corps du Christ mort avant sa résurrection et le corps du mort à l'hôpital en attente également de sa résurrection.

Cette analyse renforce, si besoin est, l'idée que l'ordre de l'Hôpital reste avant tout un ordre charitable voué au soin des passants, des pauvres, des malades et des âmes.

Il convient enfin de remarquer ces sceaux magistéraux se perpétueront pendant tout le Moyen-Âge, même quand l'ordre sera devenu à part égal un ordre hospitalier et militaire et même quand l'hôpital quitta Jérusalem après la reconquête de Saladin survenue en 1187.

lundi 27 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (119) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

EN GUISE DE CONCLUSION SUR LA PLACE DES HOSPITALIERS DANS LES ETATS LATINS D'ORIENT AVANT 1187

La lecture des chroniques contemporaines de l'époque des états latins à partir desquelles j'ai effectué mes recherches m'ont permis de déterminer quatre conclusions certes hypothétiques mais assez précises.

Pour moi, les Hospitaliers ont privilégié jusqu'au moins 1179 leur rôle primitif de moines-chevaliers chargés de l'hospitalité envers les pèlerins, les pauvres et les malades : il leur fallait héberger et nourrir quotidiennement un grand nombre de personnes tant ceux qui étaient hébergés à l'Hôpital que les pauvres passants. Tout cela coûtait très cher et les Hospitaliers avaient besoin de toujours plus d'argent ; c'est sans doute pour cela qu'ils obtinrent de nombreux privilèges de la part de la papauté : ainsi, la bulle de confimation d'Anastase IV de 1154 laisse entendre que ces privilèges sont concédés en contrepartie du fait que les Hospitaliers s'occupent des malades et des pauvres

De même, ils sont des religieux qui suivent la règle de saint Augustin adaptée par Raymond Du Puy, c'est pour cela qu'ils se sont adjoints des prêtres chargés d'effectuer le service divin que la règle leur impose.

La participation à la guerre des moines-chevaliers était, pour moi, assez limitée, les forces militaires de l'ordre devant être essentiellement formées de chevaliers et piétons enrôlés pour le temps de la guerre. Seule la structure de commandement devait être composée de chevaliers profès. Si, en 1179, le pape Alexandre III réglementa les cas où la guerre était licite, ce fut surtout du fait que les expéditions d'Egypte avaient mobilisé toutes les ressources financières de l'ordre et s'étaient effectuées au détriment du service des pauvres et des malades. Cette bulle va aussi clarifier la situation des moines-chevaliers puisque le pape autorise les Hospitaliers à faire la guerre si les Etats Francs sont menacés et si est déployé l'étendard de la Sainte Croix. Cette autorisation va permettre une première mutation militaire de l'ordre et explique pourquoi les chevaliers moines participèrent en tant que tels à la bataille de Hattin. la seconde mutation se produira au début du 13eme siècle par les statuts de MARGAT.

Enfin, les hospitaliers eurent un rôle militaire essentiel par la garde des forteresses qui leur furent concédées et qu'ils s'appliqueront à rendre inexpugnables pour qu'elles deviennent à  la fois  des points d'ancrage de la domination franque et aussi d'appui en cas d'expéditions offensives : elles bloquaient l'avance des armées ennemies qui ne pouvaient plus avancer sans risquer d'être pris à revers par la garnison du château. Elle permettaient aussi de tenir la position jusqu'à l'arrivée de l'ost franc. Il est probable qu'à ce moment, la garnison participait aux combats menés par celui-ci. Cela est d'ailleurs autorisé par la bulle d'Alexandre III.

La primordialité du rôle hospitalier de l'ordre que j'ai indiquée plus haut, est en particulier montrée par les sceaux des maîtres de l'ordre.

À suivre...


dimanche 26 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (118) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE. (Suite)

LES RELATIONS AVEC LA HIÉRARCHIE DE L'ÉGLISE SÉCULIÈRE.
Avec la hiérarchie de l'église séculière, les relations sont exécrables, les Hospitaliers (tout comme d'ailleurs les Templiers)  forment  aussi un "Etat dans l'Etat" au niveau religieux, ce qui crée des conflits incessants avec le patriarche de Jérusalem et les évêques de Terre Sainte.

Ces conflits ont pour origine la bulle de Pascal II PIE POSTULATIO VOLUNTATIS  (1113). qui place l'ordre sous le statut de l'immédiateté : l'ordre ne dépend plus que du Saint Siège Apostolique : tous les droits, biens et possessions de l'hôpital, passés, présents et à venir bénéficient de la sauvegarde, juridiction et protection papale. L'Hôpital n'a de compte à rendre qu'au pape et non à la hiérarchie de l'église séculière de Terre Sainte.

A chaque élection d'un nouveau pape, les hospitaliers s'empressent de se faire confirmer leurs privilèges anciens et en sollicitent de nouveaux, c'est ainsi qu'ils obtiennent toujours plus de droits qui vont tous dans le même sens : augmenter l'indépendance de l'ordre.

En voici quelques manifestations :
     - sur les terres inhabitées qui leur sont concédées, les Hospitaliers ont le droit de faire construire églises  et cimetières pour desservir les villages qu'il y établissent et qui seront soumis uniquement à l'ordre. L'évêque sera tenu de consacrer gratuitement l'église et n'y aura aucun droit de regard.
     - ces terres, comme toutes celles qui dépendent de l'ordre, jouissent du privilège d'exemption : aucun seigneur laïc ne peut leur imposer un impôt ou une charge (par exemple pour la réparation de murailles de ville), ni même leur infliger une amende, la justice appartenant à l'ordre.
    - De même, la dîme est perçue par l'ordre lui-même sur toutes les terres qui dépendent de lui. A ces dîmes, s'ajoutent celles de certains diocèses  que leurs évêques ont concédé à l'ordre. L'Hôpital a aussi le droit d'organiser des quêtes dans les diocèses.
    - l'ordre a obtenu le droit de disposer de prêtres qui sont membres à part entière de l'Hôpital. Ils sont recrutés par l'ordre qui leur octroie l'investiture, l'évêque devant ensuite les ordonner sans pouvoir rien dire sur leur nomination. Les prêtres de l'Ordre sont soumis à la seule juridiction de l'Hôpital.
    - l'élection du maître de l'ordre doit se faire sans aucune interférence ni des laïcs ni des membres de l'église séculière.
    - la manifestation la plus tangible de cette indépendance de l'hôpital est que les biens de l'Ordre échappant à la juridiction des évêques (sauf à celui de Rome) , ils échappent aussi à  l'interdit si dans une région l'évêque inflige cette sentence : leurs églises des hospitaliers de la région pourront continuer à faire célébrer des messes, les sacrements y seront dispensés ainsi que les rites présidant aux enterrements ; les seules limites apportées par les Papes sont au nombre de trois : le culte devra se faire à porte fermée, sans sonnerie de cloches et il sera interdit d'accepter des excommuniés.  En outre, si un hospitalier arrive dans une zone soumise à l'interdit , il pourra faire ouvrir l'église une fois par an et y célébrer l'office.

Dans de telles conditions, l'église séculière, patriarche en tête, ne pouvait que s'irriter des privilèges de l'ordre comme en témoigne le long réquisitoire que Guillaume de Tyr écrivit en dénonçant à la fois ces privilèges mais aussi les pratiques quotidiennes qui en découlaient.

Ce texte peut être décomposé en trois parties :
D'abord Guillaume de Tyr dénonce les exemptions et droits divers octroyés par les papes :
 " Raimond, maître des Hospitaliers, qui d’abord avait passé pour un homme rempli de religion et de crainte de Dieu, assisté de ses frères animés du même esprit que lui, en vint à susciter toutes sortes de tracasseries au seigneur patriarche, ainsi qu’aux autres prélats des églises, au sujet de la juridiction paroissiale et des redevances de dîmes.

Ceux que leurs évêques avaient excommuniés, ou interdits nominativement et rejetés de l’Église, eu punition de leurs crimes, étaient accueillis au hasard et sans choix par les frères Hospitaliers, et admis par eux à célébrer les offices divins. S’ils étaient malades, les frères ne leur refusaient ni le viatique ni l’extrême-onction, et ceux qui mouraient recevaient par leurs soins la sépulture. S’il arrivait qu’à raison de quelque énorme péché on mît en interdit toutes les églises, ou les églises d’une ville ou d’un bourg quelconque, aussitôt les frères, faisant sonner toutes les cloches et poussant des vociférations extraordinaires, appelaient au service divin le peuple frappé d’interdiction, afin d’avoir pour eux-mêmes les  revenus casuels dus aux églises-mères,

Quant à leurs prêtres, ceux qu’ils admettaient n’étaient point... présentés par eux à l’évêque du lieu, pour recevoir de lui l’autorisation de célébrer les offices divins dans son diocèse ; ils refusaient en outre formellement de donner la dîme sur leurs biens et sur les revenus qui leur étaient attribués, à quelque titre que ce fût".

Ensuite il va dénoncer un certain nombre des pratiques vexatoire des Hospitaliers vis à vis du patriarche. Rappelons à cet égard que le saint-Sépulcre, placé sous l'obédience du patriarche, jouxtait les bâtiments et églises de l'Hôpital.
  " Devant les portes mêmes de l’église de la Sainte-Résurrection, les frères de l’Hôpital entreprirent, en témoignage de mépris et d’insulte pour cette église, de faire construire des édifices beaucoup plus somptueux et plus élevés que ceux que possède [le Saint Sépulcre] . Bien plus, toutes les fois que le seigneur patriarche voulait parler au peuple... les frères ... faisaient sonner aussitôt les cloches, en si grand nombre... et si longtemps, que le seigneur patriarche n’avait pas assez de force pour élever suffisamment la voix, et que... le peuple ne pouvait l’entendre.

Les frères demeuraient incorrigibles, et souvent même ils menaçaient d’en faire encore beaucoup plus. Ils en vinrent en effet à ce point de témérité, d’audace diabolique et de fureur d’esprit, de prendre un jour les armes, de faire irruption dans l’église agréable à Dieu comme dans la maison d’un obscur particulier, et d’y lancer une grande quantité de flèches, comme dans une caverne de larrons."

Enfin, Guillaume de Tyr pose la question de l'origine de ce qu'il considère comme de grands errements de l'Hôpital ; il met d'abord en cause la papauté qui a accepté les requêtes des hospitaliers sans  réfléchir à leurs conséquences : cela a fait naître chez les hospitaliers un "orgueil odieux à l’Éternel et source de tous les vices" qui explique leurs comportements.

" Ceux qui examinent toutes choses avec attention sont disposés à croire que c’est à l’église romaine qu’il faut attribuer la première cause des maux que je rapporte, quoiqu’elle ait ignoré peut-être, ou du moins n’ait pas assez mûrement considéré l’objet de la demande qui lui était adressée. En affranchissant injustement la maison de l’Hôpital de la juridiction du seigneur patriarche de Jérusalem, ... l’église romaine a fait que les frères n’ont plus conservé aucune crainte de Dieu..."

l’église romaine leur accorda l’émancipation de l’autorité du seigneur patriarche, et aussitôt qu’ils eurent acquis cette dangereuse liberté, ils ne conservèrent plus aucun respect pour les prélats des églises, et refusèrent formellement de servir les dîmes sur tous les biens qui leur étaient dévolus...

... devenus plus récalcitrants à force de richesses, [les hospitaliers] se séparèrent de leur pieuse mère, qui d’abord les avait nourris de son lait comme ses propres enfants ... en sorte que l’Eglise put avec justice répéter à leur sujet cette complainte du prophète Isaïe : « J’ai nourri des enfants, et je les ai élèves, et après cela ils m’ont méprisé »...

Le patriarche fit part au Saint Siège de tous ces sujets de plainte, il effectue même un voyage à Rome pour demander au pape Adrien IV de révoquer la confirmation des privilèges de l'ordre effectuée en 1154 par Anastase IV. Il n'eut pas satisfaction. Il faudra attendre le concile de Latran de 1179 pour que les abus les plus criants soient réformés, rétablissant un meilleur équilibre entre les prétentions de l'Ordre et celles des évêques.

Voici quelques unes de ces dispositions :
     . Défense est faite à l'ordre de recevoir des dîmes ou des églises de la main des laïcs sans le consentement de l'évêque,
     . Défense à l'Ordre d'accueillir des personnes excommuniées ou venant de territoires interdits,
     . En cas d'interdit, les Hospitaliers ( tout comme les templiers) ne pourront célébrer qu'une messe par an et ne pas accepter de sépultures dans leurs cimetières.
     . Les frères affiliés à l'ordre ( chevaliers enrôlés, sergents, servants de l'hôpital....) resteront sous la juridiction des évêques. Pour s'en affranchir, il faudra qu'ils deviennent profès en abandonnant tous leurs biens et en se soumettant complètement à la vie religieuse de l'ordre.

samedi 25 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (117) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE. (Suite)

AVEC LES TEMPLIERS
Avec les templiers, les occasions de querelles ne manquent pas, ils sont d'abord en conflits  permanents sur leurs droits et possessions respectifs; surtout, ils se livrent à une concurrence acharnée au niveau décisionnel : quand un des deux Ordres prend position face à un problème donné, il n'est pas rare que l'autre soit d'un avis diamétralement opposé.

Pour tenter de résoudre ces rivalités de tous ordre, un accord fut trouvé en février 1179 entre les maîtres des deux ordres, Roger Des Moulins et Eudes de saint Armand, que le Pape Alexandre III confirma ; le principe, comme souvent à cette époque,  fut la mise en œuvre d'arbitrages entre les parties : en cas de conflit, trois frères de chacun des deux ordres sont choisis pour le régler, ils peuvent s'adjoindre deux autres frères de l'ordre si nécessaire et même faire intervenir un médiateur extérieur. En cas de désaccord persistant, l'arbitrage des maîtres des deux ordres était requis. La confirmation papale porte cette mention : " les deux maisons quoique séparées par leur profession, ne doivent faire qu'une grâce à leur amour réciproque l'une pour l'autre" 

Cet accord mit-il fin aux dissensions entre les Templiers et les Hospitaliers ? Probablement pas : on retrouve en particulier  leur antagonisme dans les prises de position lors des problèmes dynastiques survenus après la mort du roi Baudouin V en 1186 : le roi  Baudouin IV avait organisé sa succession et précisé qu'en cas de mort de son neveu Beaudouin V, la régence reviendrait à Raymond III de Tripoli pendant dix ans, or il y avait un prétendant immédiat au trône, Guy de Lusignan, époux de Sibylle, sœur de Baudouin IV et mère de Baudouin V. Les Hospitaliers prirent le parti de Raymond de Tripoli, les Templiers celui de Guy de Lusignan. Les Templiers firent couronner Guy ; mis devant le fait accompli et furieux d'avoir été joué, le maître de l'Hôpital, Roger Des Moulins refusa de rendre la clé qu'il possédait du trésor royal !

À suivre...

vendredi 24 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (116) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE.

C'est le dernier volet de ces articles sur les Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem dans lesquels j'ai tenté de décrire la vie et les caractéristiques de l'ordre sous les successeurs de Raymond du Puy. Selon ce que j'ai pu en apprendre, elles sont convenables avec les princes laïcs, mauvaises avec les ordres militaires concurrents, principalement avec les templiers et  exécrables avec l'église séculière de Terre sainte.

AVEC LES PRINCES LAÏCS.
Les relations de l'ordre de l'Hôpital et plus généralement des ordres militaires avec les autorités séculières sont globalement convenables même si les ordres militaires ont tendance à se muer de plus en plus en "Etat dans l'Etat" du fait des biens et possessions qu'ils contrôlent : ils possèdent de vastes domaines ainsi qu'un grand nombre de forteresses et se sont rendus indispensables au titre de la défense des Etats francs, c'est en particulier très net au niveau du comté de Tripoli pour les Hospitaliers.

Leur participation de plus en plus importante à la politique défensive  du royaume conduisit à ce que, de plus en plus aussi, les princes dépendirent des ordres militaires et principalement des Templiers : ils forment l'ossature de l'armée, connaissent parfaitement le terrain et ont une vision claire des tactiques à appliquer. On les consulte lorsque se prépare une expédition militaire et il arrive, si elle ne leur convient pas qu'ils refusent d'y participer ; ce sera en particulier le cas, selon Guillaume de Tyr, pour les expéditions d'Egypte, ce qui conduisit peut-être le roi Amaury à solliciter l'aide des Hospitaliers.

Il en fut de même lors des préparatifs de la bataille de Hattin : face à  l'invasion du royaume par l'armée de Saladin, deux opinions s'affrontèrent : les Templiers voulaient attaquer tout de suite tandis que le comte de Tripoli Raymond III était partisan de se replier sur une position de force pour combattre ; ce fut ce dernier qui l'emporta au conseil. C'est alors que le maître des Templiers, Gerard de Ridefort,  se rendit dans la tente du roi et le convainquit d'une attaque immédiate sous la menace que les Templiers quittent l'ost royal. Le roi suivit l'avis du maître du Temple et  prit la décision d'attaquer ,

Il arrive même que les ordres militaires prennent la décision de ne pas obéir aux princes laïcs au nom de leurs convictions, ce fut en particulier le cas lors de la bataille de la fontaine de Cresson puisque les Templiers aides des Hospitaliers livrèrent bataille contre les turcs  en dépit des injonctions du comte de Tripoli.

En conséquence, les princes sont devenus dépendants des ordres militaires puisque sans leur aide toute guerre est quasiment vouée à l'échec. Cette dépendance est toutefois plus forte pour les Templiers que pour les Hospitaliers car ces derniers sont moins impliqués que les Templiers au niveau des offensives à mener. Les princes disposent néanmoins d'une légère marge de manœuvre puisqu'ils peuvent jouer des rivalités entre Hospitaliers et Templiers.

À suivre...

jeudi 23 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (115) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : LE BILAN

Dans les articles précédents, j'ai tenté de montrer la participation des hospitaliers aux combats qui se livraient en Terre Sainte au moyen de trois exemples : l'abandon de la défense de Paneade-Baniyas, le combat de la fontaine de Cresson et la convention portant sur l'envoi de chevaliers et piétons de l'Ordre lors de la quatrième expédition d'Egypte.

En lisant les chroniques des contemporains, principalement de Guillaume de Tyr, Bernard le Trésorier et Jacques de Vitry qui sont en libre accès sur internet, je n'ai pas trouvé d'autres mentions faisant allusion aux hospitaliers en tant que combattants, hormis les trois exemples cités plus haut.

Le premier, rappelons-le, concernait les événements survenus à Paneade (Baniyas). Le seigneur du lieu, ne pouvant plus assumer seul la défense de la cité tant militairement que financièrement, en avait concédé la moitié aux Hospitaliers. Ceux-ci organisèrent une caravane afin d'équiper la part de la ville qui leur revenait tant en approvisionnement qu'en armes. Elle fut prise en embuscade par les turcs et pillée. Plutôt que de continuer à défendre Paneade, les Hospitaliers préfèrent rendre la part de la ville que le seigneur leur avait concédée. On ne peut pas dire que les Hospitaliers ait eu, dans ces circonstances,  une attitude combattive !

On pourrait me rétorquer que si les Hospitaliers possédaient de nombreuses forteresses, c'est qu'on estimait à juste titre qu'ils avaient la capacité de les garder ; pourtant, on peut penser aussi que la donation de ces forteresses était surtout due au fait que les Hospitaliers disposaient de ressources financières importantes qui leur permettaient de renforcer les défenses de ces forteresses en les rendant quasiment imprenables. Dans cette perspective, la capacité combattante des hospitaliers était moins prise en considération que leur richesse. En outre, avant Hattin, il est probable que les garnisons de ces place-fortes hospitalières comprenaient surtout des soldats stipendiés commandés par quelques frères profès.

Dans le deuxième exemple, celui de la bataille de la fontaine de Cresson, on ne peut pas dire non plus que les hospitaliers ont été le fer de lance du combat : ils n'était qu'une dizaine alors que les templiers étaient 70 et les chevaliers laïcs 40. En outre, on a l'impression, à la lecture de Guillaume de Tyr, que les dix hospitaliers ont rencontré fortuitement l'armée en marche et qu'ils se joints à elle.

Le troisième exemple, celle de la quatrième expédition en Egypte a montré une participation beaucoup plus importante de l'Ordre qui est est engagé en tant que tel dans la guerre, avec non seulement un contingent conséquent de combattants mais aussi avec la détermination de la part du butin qui lui reviendra. Pourtant, il existe ici aussi une ambiguïté quant à la qualité des combattants : sont-il des moines-chevaliers profès ou des chevaliers et piétons enrôlés par l'Ordre et payés pour le temps de la campagne ?

Guillaume de Tyr montre que le maître "emprunta encore des sommes considérables, et les distribua à tous les chevaliers, qu'il allait cherchant de toutes parts pour les attirer à lui", ce qui signifie qu'il s'adressa à des chevaliers extérieurs à l'Ordre et rétribués. Par voie de conséquence, on peut en déduire que les 1000 chevaliers et piétons enrôlés formaient probablement l'essentiel  de l'armée de l’Hôpital. Cette armée était néanmoins placée sous l'autorité militaire des dignitaires de l'Ordre qui avait constitué une structure de commandement. Dans ce cas, et si mon hypothèse est la bonne, il ne semble pas que l'expédition ait compté beaucoup de moines-chevaliers.

Ainsi, les trois exemples cités semblent montrer que les Hospitaliers en tant que tels ne participèrent  que de manière limitée aux guerres tant offensives que défensives ; par contre, l'Ordre avaient un rôle essentiel dans la défense  des Etats francs par la garde des forteresses qu'ils rendirent inexpugnables et à partir desquelles il était possible de lancer des incursions limitées dans les vastes marches-frontières qui leur furent concédées par les princes laïcs.

L'expédition d'Egypte eut cependant d'importantes conséquences pour l'Ordre comme le montre M Delaville Le Roux.

En premier lieu, après l'échec de l'expédition, il se développa des violentes critiques contre le maître Gilbert d'Assailly, non pas sur le principe de la guerre, mais sur les dépenses occasionnées par celle-ci et surtout par le fait que le Maître ait agi de sa propre initiative sans consulter le chapitre : les emprunts effectués pour financer la guerre avaient tant obéré les finances de l'Ordre qu'il se trouva chargé de dettes pour longtemps. L'Ordre appauvri ne pouvait plus s'occuper de ce qui était sa mission essentielle, apporter secours aux pauvres et aux malades.  Devant de telles critique, Gilbert d'Assailly décida de résigner sa charge.

La deuxième conséquence survint quelques années plus tard sous la forme de la bulle " PIAM ADMODIUM " du 2 août 1179 du pape Alexandre III. Celle-ci va définir avec précision les conditions dans lesquelles les Hospitaliers peuvent faire la guerre : il faut que l'étendard de la Sainte Croix soit déployé pour la défense  du royaume ou le siège d'une place occupée par les infidèles. Le pape enjoint aussi aux hospitaliers de ne pas délaisser le soin des malades et des pauvres au profit du métier des armes.

Cette bulle a le mérite de définir clairement la place des hospitaliers dans les guerres des Etats francs de Terre sainte :
     . Interdiction de participer à une guerre offensive.
     . Seule la guerre défensive et la défense des forteresses est acceptable.
Cette mise en application de la bulle papale permet de comprendre l'importance du rôle des Hospitaliers dans la bataille de Hattin au cours de laquelle se joua l'avenir du royaume de Jérusalem.