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dimanche 26 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (118) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES RELATIONS DE L'ORDRE DE L'HÔPITAL AVEC LE MONDE FRANC QUI LES ENTOURE. (Suite)

LES RELATIONS AVEC LA HIÉRARCHIE DE L'ÉGLISE SÉCULIÈRE.
Avec la hiérarchie de l'église séculière, les relations sont exécrables, les Hospitaliers (tout comme d'ailleurs les Templiers)  forment  aussi un "Etat dans l'Etat" au niveau religieux, ce qui crée des conflits incessants avec le patriarche de Jérusalem et les évêques de Terre Sainte.

Ces conflits ont pour origine la bulle de Pascal II PIE POSTULATIO VOLUNTATIS  (1113). qui place l'ordre sous le statut de l'immédiateté : l'ordre ne dépend plus que du Saint Siège Apostolique : tous les droits, biens et possessions de l'hôpital, passés, présents et à venir bénéficient de la sauvegarde, juridiction et protection papale. L'Hôpital n'a de compte à rendre qu'au pape et non à la hiérarchie de l'église séculière de Terre Sainte.

A chaque élection d'un nouveau pape, les hospitaliers s'empressent de se faire confirmer leurs privilèges anciens et en sollicitent de nouveaux, c'est ainsi qu'ils obtiennent toujours plus de droits qui vont tous dans le même sens : augmenter l'indépendance de l'ordre.

En voici quelques manifestations :
     - sur les terres inhabitées qui leur sont concédées, les Hospitaliers ont le droit de faire construire églises  et cimetières pour desservir les villages qu'il y établissent et qui seront soumis uniquement à l'ordre. L'évêque sera tenu de consacrer gratuitement l'église et n'y aura aucun droit de regard.
     - ces terres, comme toutes celles qui dépendent de l'ordre, jouissent du privilège d'exemption : aucun seigneur laïc ne peut leur imposer un impôt ou une charge (par exemple pour la réparation de murailles de ville), ni même leur infliger une amende, la justice appartenant à l'ordre.
    - De même, la dîme est perçue par l'ordre lui-même sur toutes les terres qui dépendent de lui. A ces dîmes, s'ajoutent celles de certains diocèses  que leurs évêques ont concédé à l'ordre. L'Hôpital a aussi le droit d'organiser des quêtes dans les diocèses.
    - l'ordre a obtenu le droit de disposer de prêtres qui sont membres à part entière de l'Hôpital. Ils sont recrutés par l'ordre qui leur octroie l'investiture, l'évêque devant ensuite les ordonner sans pouvoir rien dire sur leur nomination. Les prêtres de l'Ordre sont soumis à la seule juridiction de l'Hôpital.
    - l'élection du maître de l'ordre doit se faire sans aucune interférence ni des laïcs ni des membres de l'église séculière.
    - la manifestation la plus tangible de cette indépendance de l'hôpital est que les biens de l'Ordre échappant à la juridiction des évêques (sauf à celui de Rome) , ils échappent aussi à  l'interdit si dans une région l'évêque inflige cette sentence : leurs églises des hospitaliers de la région pourront continuer à faire célébrer des messes, les sacrements y seront dispensés ainsi que les rites présidant aux enterrements ; les seules limites apportées par les Papes sont au nombre de trois : le culte devra se faire à porte fermée, sans sonnerie de cloches et il sera interdit d'accepter des excommuniés.  En outre, si un hospitalier arrive dans une zone soumise à l'interdit , il pourra faire ouvrir l'église une fois par an et y célébrer l'office.

Dans de telles conditions, l'église séculière, patriarche en tête, ne pouvait que s'irriter des privilèges de l'ordre comme en témoigne le long réquisitoire que Guillaume de Tyr écrivit en dénonçant à la fois ces privilèges mais aussi les pratiques quotidiennes qui en découlaient.

Ce texte peut être décomposé en trois parties :
D'abord Guillaume de Tyr dénonce les exemptions et droits divers octroyés par les papes :
 " Raimond, maître des Hospitaliers, qui d’abord avait passé pour un homme rempli de religion et de crainte de Dieu, assisté de ses frères animés du même esprit que lui, en vint à susciter toutes sortes de tracasseries au seigneur patriarche, ainsi qu’aux autres prélats des églises, au sujet de la juridiction paroissiale et des redevances de dîmes.

Ceux que leurs évêques avaient excommuniés, ou interdits nominativement et rejetés de l’Église, eu punition de leurs crimes, étaient accueillis au hasard et sans choix par les frères Hospitaliers, et admis par eux à célébrer les offices divins. S’ils étaient malades, les frères ne leur refusaient ni le viatique ni l’extrême-onction, et ceux qui mouraient recevaient par leurs soins la sépulture. S’il arrivait qu’à raison de quelque énorme péché on mît en interdit toutes les églises, ou les églises d’une ville ou d’un bourg quelconque, aussitôt les frères, faisant sonner toutes les cloches et poussant des vociférations extraordinaires, appelaient au service divin le peuple frappé d’interdiction, afin d’avoir pour eux-mêmes les  revenus casuels dus aux églises-mères,

Quant à leurs prêtres, ceux qu’ils admettaient n’étaient point... présentés par eux à l’évêque du lieu, pour recevoir de lui l’autorisation de célébrer les offices divins dans son diocèse ; ils refusaient en outre formellement de donner la dîme sur leurs biens et sur les revenus qui leur étaient attribués, à quelque titre que ce fût".

Ensuite il va dénoncer un certain nombre des pratiques vexatoire des Hospitaliers vis à vis du patriarche. Rappelons à cet égard que le saint-Sépulcre, placé sous l'obédience du patriarche, jouxtait les bâtiments et églises de l'Hôpital.
  " Devant les portes mêmes de l’église de la Sainte-Résurrection, les frères de l’Hôpital entreprirent, en témoignage de mépris et d’insulte pour cette église, de faire construire des édifices beaucoup plus somptueux et plus élevés que ceux que possède [le Saint Sépulcre] . Bien plus, toutes les fois que le seigneur patriarche voulait parler au peuple... les frères ... faisaient sonner aussitôt les cloches, en si grand nombre... et si longtemps, que le seigneur patriarche n’avait pas assez de force pour élever suffisamment la voix, et que... le peuple ne pouvait l’entendre.

Les frères demeuraient incorrigibles, et souvent même ils menaçaient d’en faire encore beaucoup plus. Ils en vinrent en effet à ce point de témérité, d’audace diabolique et de fureur d’esprit, de prendre un jour les armes, de faire irruption dans l’église agréable à Dieu comme dans la maison d’un obscur particulier, et d’y lancer une grande quantité de flèches, comme dans une caverne de larrons."

Enfin, Guillaume de Tyr pose la question de l'origine de ce qu'il considère comme de grands errements de l'Hôpital ; il met d'abord en cause la papauté qui a accepté les requêtes des hospitaliers sans  réfléchir à leurs conséquences : cela a fait naître chez les hospitaliers un "orgueil odieux à l’Éternel et source de tous les vices" qui explique leurs comportements.

" Ceux qui examinent toutes choses avec attention sont disposés à croire que c’est à l’église romaine qu’il faut attribuer la première cause des maux que je rapporte, quoiqu’elle ait ignoré peut-être, ou du moins n’ait pas assez mûrement considéré l’objet de la demande qui lui était adressée. En affranchissant injustement la maison de l’Hôpital de la juridiction du seigneur patriarche de Jérusalem, ... l’église romaine a fait que les frères n’ont plus conservé aucune crainte de Dieu..."

l’église romaine leur accorda l’émancipation de l’autorité du seigneur patriarche, et aussitôt qu’ils eurent acquis cette dangereuse liberté, ils ne conservèrent plus aucun respect pour les prélats des églises, et refusèrent formellement de servir les dîmes sur tous les biens qui leur étaient dévolus...

... devenus plus récalcitrants à force de richesses, [les hospitaliers] se séparèrent de leur pieuse mère, qui d’abord les avait nourris de son lait comme ses propres enfants ... en sorte que l’Eglise put avec justice répéter à leur sujet cette complainte du prophète Isaïe : « J’ai nourri des enfants, et je les ai élèves, et après cela ils m’ont méprisé »...

Le patriarche fit part au Saint Siège de tous ces sujets de plainte, il effectue même un voyage à Rome pour demander au pape Adrien IV de révoquer la confirmation des privilèges de l'ordre effectuée en 1154 par Anastase IV. Il n'eut pas satisfaction. Il faudra attendre le concile de Latran de 1179 pour que les abus les plus criants soient réformés, rétablissant un meilleur équilibre entre les prétentions de l'Ordre et celles des évêques.

Voici quelques unes de ces dispositions :
     . Défense est faite à l'ordre de recevoir des dîmes ou des églises de la main des laïcs sans le consentement de l'évêque,
     . Défense à l'Ordre d'accueillir des personnes excommuniées ou venant de territoires interdits,
     . En cas d'interdit, les Hospitaliers ( tout comme les templiers) ne pourront célébrer qu'une messe par an et ne pas accepter de sépultures dans leurs cimetières.
     . Les frères affiliés à l'ordre ( chevaliers enrôlés, sergents, servants de l'hôpital....) resteront sous la juridiction des évêques. Pour s'en affranchir, il faudra qu'ils deviennent profès en abandonnant tous leurs biens et en se soumettant complètement à la vie religieuse de l'ordre.

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