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samedi 11 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (7)

  LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (5)

LE PROBLÈME DE LA COLONISATION 

LES CONFISCATIONS DU GÉNÉRAL CLAUZEL

Le gouvernement se trouva confronté dès 1830 à cet épineux problème du fait que le général Clauzel, 

commandant de l’armée à Alger du 12 août 1830 au 31 janvier 1831, prit en septembre 1830, soit un mois seulement après la capitulation du Dey, une décision stipulant que toutes les terres du Beylik ainsi que les terres Habous arrivées à leur dernier dévolutaire seraient confisquées et incluses dans le Domaine de l’Etat en vue de la colonisation. 

 

C’était un abus de pouvoir manifeste de Clauzel, pour deux raisons : d’abord parce que la gestion du 

domaine de l’Etat était du seul ressort du roi qui fut mis devant le fait accompli, ensuite et surtout du fait que les expropriations furent réalisées sans tenir compte des conceptions traditionnelles des « arabes » à propos du régime des terres. De telles agissements firent croire aux autochtones que toutes leurs terres pourraient être  confisquées, ce qui alimenta une nouvelle raison durable de haine envers les conquérants.


J’aborderai plus loin le régime de spoliation des terres qui s’est instaurée dans l’ex-régence. 

 

L’ENGOUEMENT POUR LA COLONISATION PAR LES  « INDESIRABLES » EN 1831

La décision de Clauzel rencontra un écho favorable en métropole et en particulier à Paris. A cette époque, Paris subissait une grave crise économique et une augmentation du chômage  qui induisaient des grèves et des manifestations. Pour rétablir l’ordre, Il fallait même parfois avoir recours à la Garde Nationale. En conséquence,  l’envoi de colons à Alger devait permettre de se débarrasser de tous ceux qui étaient désœuvrés dans la capitale et qui vivaient soit de la charité publique, soit de violence, de rapines et de vols.

 

Ainsi, le « journal des débats » fit paraître, le 8 janvier 1831, un long article sur la colonisation : 

 

« Il y a à Paris une population qui vit au jour les jours, une population souffrante et malheureuse, qui n’a de feu et de lieu que celui qu’elle reçoit des bureaux de charité… cette population est nombreuse à Paris, elle se divise naturellement en deux classes, les uns, bons et tranquilles, qui ne demandent que du pain et se résignent à leur sort, les autres, turbulents et inquiets, c’est dans cette dernière classe que se trouvent tous les agents de troubles, tous les employés de la sédition. … 

 

On peut penser qu’il y a dans cette ville plus de 20.000 personnes que la révolution de juillet.. a mis en mouvement et qui bouillonnent sans trouver où se poser. C’est pour ces hommes que la colonisation serait nécessaire, elle les arracherait à la misère et aux inquiétudes de leur vie actuelle, pour leur donner ailleurs une vie paisible et régulière. … Avec de pareilles misères, la colonisation n’est pas seulement avantageuse, elle est nécessaire et de droit.

 

Abandonner en ce moment une colonie placée à notre porte, ce serait jeter le remède au plus fort de la maladie »

 

La mise en place du projet Clauzel eut aussi un écho favorable chez les autorités parisiennes et en 

particulier auprès du baron Baude, préfet de police de Paris. Il proposa, en janvier 1831, au ministre de l’intérieur de permettre à la population parisienne nécessiteuse de partir pour s’installer en Algérie. 


Un plan fut alors élaboré pour permettre à 20.000 volontaires d’émigrer, ils devraient s’engager pour cinq ans avant de recevoir une concession de terres. Ce plan, approuvé par Louis Philippe, fut mis en pratique dès le mois de mai : au milieu de l’été, 4000 personnes avaient été envoyées à Alger aux frais de la ville de Paris et de la préfecture de la Seine. 


Cette initiative suscita l’émergence de projets plus ambitieux : afin d’améliorer la sécurité et la stabilité publique de la métropole, on proposa d’envoyer en Algérie tous les vagabonds et gens sans aveu, certains envisageant même d’y transférer les détenus terminant leur peine de prison et d’y expédier  des bagnards.

 

LES RÉACTIONS DES AUTORITÉS MILITAIRES EN POSTE À ALGER

Les autorités militaires en poste à Alger manifestent leur désaccord avec cette politique : ainsi le nouveau commandant en chef de l’armée, le général Berthezène, en poste du 21 février au 6 décembre 1831 écrivit au ministre de la guerre que : 


« Ce serait une grande erreur et bien funeste de penser qu’il suffit de jeter sur les côtes d’Alger des familles indigentes prises au sein des villes ou dans les campagnes pour leur procurer du pain… Il faut que les illusions cessent »


Cette remarque était alors parfaitement justifiée : le Sahel d’Alger, autrefois fertile et prospère, était abandonné du fait de l’émigration massive des tribus qui y vivaient et qui refusaient de se plier au joug des français ; les terres étant en friche, elles étaient incultivables dans l’immédiat, à cela s’ajoute l’insécurité due aux fréquentes incursions des tribus de l’intérieur  et la spéculation éhontée des terres effectuée par les français  que j’évoquerai plus loin dans mon propos : la colonisation agricole n’est donc pas possible à ce moment selon les autorités militaires.


Dans cette perspective, les migrants venus pour échapper à la misère à Paris, n’auraient d’autre choix que de rester en ville en devenant des errants et des assistés surtout, qu’en plus, les autorités militaires devaient gérer un afflux important d’immigrés clandestins venus de tout le pourtour méditerranéen chassés de chez eux par la misère. Pour y remédier, le commandant en chef n’avait d’autre solution que de les renvoyer chez eux ou de les entretenir, tout cela aux frais du budget alloué à l’armée. 


Il convient de noter que le général Berthezène fut, comme Desmichels, un des rares commandants de l’armée à préférer la négociation et  l’entente avec les autochtones plutôt que l’emploi de la force.

 

LA CIRCULAIRE DU 18 MAI 1831

Le gouvernement tint compte de l’avis du général Berthezène, comme le montre la circulaire du 18 mai 1831, signée  par Casimir-Perier, président du conseil et ministre de l’intérieur et adressée aux préfets, elle clarifiait rationnellement la politique de l’immigration en Algérie  comme le montre ces quelques extraits  significatifs : 

 

« Jusqu’à ce jour, le territoire d’Alger a été considéré comme l’une des échelles de Barbarie et les passeports pour cette destination ont été délivrés par le département des Affaires Étrangères, conformément aux anciens règlements.


La situation particulière où se trouve cette contrée par suite de son occupation par les troupes françaises et les demandes multipliées des voyageurs qui désirent s’y rendre dans l’espoir de s’y procurer des ressources, ont fait reconnaître que le moment était venu d’apporter des modifications aux dispositions en  vigueur et de confier aux préfets le soin de délivrer les passeports pour Alger, sauf les restrictions qu’exigeraient impérieusement l’état du pays, l’intérêt de l’armée et celui, non moins important,  des voyageurs qui peuvent se laisser égarer par des rapports mensongers ou inexacts. 

 

Le préambule est parfaitement explicite sur la situation en 1831 : 

    . Il indique que les demandes de départ pour Alger se sont multipliées . 

    . Il stipule que toutes les autorisations devront passer du ministère des Affaires Étrangères au ministère de l’intérieur qui ne subit théoriquement pas l’influence de l’armée. En outre, il décentralise la décision au niveau des préfets ce qui dilue la prise de décision rendant plus difficile l’action des groupes de pression. 

    . Il montre que la finalité de la conquête évolue parmi les hautes sphères gouvernementales : Les territoires conquis sont placés dans une situation intermédiaire, ce n’est plus une simple zone d’occupation militaire, ce n’est pas encore une colonie de jure de la France.  Cette circulaire est dans la même veine que celle qui sépara les fonctions civiles et militaires par la création d’un intendant civil chargé de l’administration des territoires pacifiés. 

 

Après ce préambule, le gouvernement annonce ses décisions qui vont dans le sens de la lettre du général   Berthezene : les candidats à l’immigration sont divisés en quatre classes : 


    . « Dans la première, se trouvent les négociants établis qui se rendent dans ces parages pour des occupations commerciales et reviennent après les avoir terminées. Rien ne s’oppose à ce que vous leur délivriez des passeports, » : il ne s’agit pas dans ce cas de candidats à la colonisation.


    . En ce qui concerne ceux qui désirent former des « établissements agricoles sur le territoire d’Alger » l’obtention de passeports doit être assortie de trois  conditions : 

          . Les personnes « doivent avoir les fonds nécessaires pour acquérir des terrains, se procurer les instruments aratoires et les bestiaux convenables »,

          . Elles ne peuvent occuper que des zones qu’ils pourront acheter ou louer ou en obtenant de l’état  des concessions (à titre gratuit ou avec redevance) quand l’Etat aura fini de recenser les terres disponibles.   

          . Ce n’est qu’aux environs d’Alger, seul point occupé par les troupes, et où il est possible de se livrer sans danger aux travaux agricoles, que les colons pourront s’installer.


    . Les deux autres classes, les gens sans fortune et les ouvriers ne pourront obtenir de passeports. (1) sauf si l’administration ou les entreprises privées les recrutaient pour travailler. 


Ainsi, selon cette circulaire,  se définit clairement la manière dont le gouvernement envisage la colonisation : elle devra s'effectuer essentiellement  sous le forme de petites propriétés foncières occupées par des colons indépendants qui achèteront leur exploitation et le matériel nécessaire pour mettre les terres acquises  en valeur. 


Cette circulaire dût être critiquée en particulier à la chambre des députés par ceux qui accusent le gouvernement de ne pas assez encourager la colonisation, ce qui nécessita une mise au point du Maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre lors de la séance de la Chambre du 22 juin 1831 : 


« Le gouvernement, déterminé à favoriser le développement progressif de la colonie d’Alger s’est occupé par tous les moyens qui pourraient concourir à ce but. Mais la sûreté des colons demande des précautions et des mesures qui exigent de la prudence et du temps. C’est dans cette vue que l’on accordera le passage gratuit, avec la ration de bord, aux familles et aux individus des classes ouvrières et agricoles, susceptibles de vivre du produit de leur travail, et de porter en Afrique quelques moyens d’existence..


Ils devront se rendre à Toulon à leurs frais et ne recevrons à Alger aucune espèce d’allocation du gouvernement … les autorisations ne seront délivrées qu’en vertu de décisions spéciales du ministre de la guerre. Elles ne dispensent pas d’un passeport régulier, nécessaire seulement pour se rendre à Toulon. L’obligation  de ne pas trop étendre, quant à présent, le nombre des colons est imposée par la nécessité de leur procurer un abri…Un établissement comme celui d’une colonie, pour être durable et prospérer, ne doit pas se faire avec trop de précipitation, il faut cultiver, semer, recueillir avant de consommer » (paru dans le Moniteur puis dans le journal des débats)


On remarque dans cette intervention du président du conseil, deux aménagements de la loi de mai 1831 :

-       La délivrance des passeports est revenue au ministère de la guerre, sans doute afin de mieux coordonner les départs,

-       Le transport des colons de Toulon à aux territoires conquis en Afrique  sera financé par l’Etat.


NOTE 1 la suite de la circulaire concernant les deux dernières catégories de français 

« Dans  la troisième catégorie, se rangent les individus qui n’ont aucune ressource en France et qui, ayant entendu parler de la colonisation d’Alger, demandent à y être envoyés, la plupart même aux frais du gouvernement. Ne négligez rien pour leur faire comprendre que, dans leur propre intérêt, vous ne pouvez donner suite à leur demande, que le territoire d’Alger n’offre, en ce moment, aucune exploitation où ils puissent être admis à travailler et qu’ils seraient forcés bientôt de revenir, après avoir épuisé le peu d’argent qu’ils auraient emporté.


​Il en est de même des ouvriers de tous genres qui forment la quatrième classe et qu’une espérance de travailler porte à réclamer des passeports pour Alger. L’état dans lequel se trouve encore cette place, les faibles ressources qu’elle offre aux étrangers pour s’y procurer des moyens d’existence, ne permettent pas de grossir le nombre des malheureux qui s’y sont rendus à la suite de l’armée et qui, presque tous, sont en proie aux besoins les plus pressants. »

vendredi 3 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (6)

    LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (4)

COMMENT LES FRANÇAIS METROPOLITAINS REAGIRENT-ILS FACE AUX VIOLENCES DE L’ARMEE EN ALGERIE ?

LA PRESSE FACE À LA POLITIQUE DE VIOLENCE ET DE TERREUR INSTAURÉE EN ALGÉRIE


Pour tenter de mesurer les informations dont la presse avait connaissance et donc qu'elle transmettait à l'opinion publique, je me servirai de deux sources :
      . Les mémoires du Baron Pichon, nommé intendant civil et qui était en poste en Algérie en 1832-33 au moment où Savary exerçait sa politique de terreur.
      . Les journaux (journal des débats politiques et littéraires et Sémaphore de Marseille)  des mêmes années.   
(Sources Gallica)

 LE LIVRE PLAIDOYER DU BARON PICHON DANS « ALGER SOUS LA DOMINATION FRANÇAIS SON ÉTAT PRÉSENT ET SON AVENIR » PARU  EN 1833.
Dans les mémoires du baron Pichon, écrites pour se justifier face aux critiques concernant son administration alors qu’il était en poste en Algérie, on trouve un long chapitre (livre 1 chapitre 8) concernant la manière dont la presse rendait compte des événements survenus dans l’ex-régence d’Alger. En voici quelques extraits significatifs :

 Le premier évoque le massacre de la tribu d’El-Ouffia

« Si les correspondants avaient vraiment été animés du zèle du bien public que n’ont-ils pas appelé l’attention sur tant d’objets dignes d’être signalés à l’opinion ?  Comme la presse a-t-elle gardé le silence sur l’exécution militaire commise, dans la nuit du 6 au 7 avril sur la petite tribu des El-Ouffias, une tribu amie qui était venue se placer, depuis notre arrivée, sous (notre) protection ? » Pourtant, cette affaire a été largement divulguée à Alger même , d’abord parce que  Savary a fait paraître une proclamation félicitant l’armée et ensuite du fait que le cheik des El-Ouffia a été publiquement jugé et exécuté le 21 avril.

A remarquer que le Baron Pichon avait écrit le 22 avril au président du conseil pour dénoncer cette exécution d’un innocent, on ignore ce qui s’en suivit.

Le second extrait condamne une exécution sans jugement « Comment la presse a-t-elle rien su des exécutions clandestines et faite sans jugement à Oran qui ont forcé le duc de Rovigo au si notable ordre du jour du 5 juin 1832 ? »

 Cet ordre du jour fut publié le 22 juin 1832 dans le « moniteur algérien » et ainsi mis  à la connaissance de tous les algérois et des correspondants de presse. « Le général en chef saisit cette circonstance pour informer les officiers … qu’il a appris, par des rapports dignes de foi que des hommes avaient été mis à mort sans jugement.. tout homme accusé et incarcéré est sous la protection de la loi… » (Baron Pichon page 407)

 La troisième affaire concerne l’incarcération et la déportation sans jugement d’autochtones : 

Pourquoi la presse n’a-t-elle pas «  appelé l’intérêt et la pitié sur les quinze ou vingt maures, turcs ou arabes, enfants, jeunes ou vieillards amenés à Marseille sur la Calypso et détenu au fort saint Jean … ils se plaignent d’être arrachés à leur pays et à leurs familles sans procès ni jugement. … tout Alger a connu les embarquements sur la Calypso. Si la déportation devait être infligée aux maures et aux arabes, pourquoi ne pas la prononcer publiquement ? ». En outre, tous les biens de ces déportés furent confisqués et vendus par l’armée.

 Pour expliquer ce silence de la presse, il écrit : «  ce silence ne peut s’expliquer que par la terreur qu’inspirent (les méthodes de l’autorité militaire)… tout est rentré sous le régime d’une occupation militaire pure et simple : la latitude du pouvoir, la discrétion sans borne que cette occupation entraîne .. sont faits pour inspirer à tout le monde une juste crainte.. Les natifs craignaient de se compromettre en s’adressant à notre gouvernement »

 LA MANIÈRE DONT  « LE JOURNAL DES DEBATS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES » RELATE LE MASSACRE DES EL-OUFFIAS

Afin de vérifier les allégations du Baron Pichon, je me suis permis de consulter ce quotidien, un  des rares journaux à la portée directe du lecteur sur le site internet de Gallica, pour la période allant d’avril à juin 1832, dates pendant lesquelles la presse était susceptible de rendre compte du massacre des El-Ouffias .

Le 22 avril 1832 parait l’article suivant :

"On nous écrit  d’Alger le 7avril  … pour vous faire part d’un événement militaire qui a produit dans Alger le meilleur effet. Il existe à deux lieues de la Ferme-Modèle, (un jardin de la banlieue actuelle d’Alger où étaient cultivées diverses plantes afin de constater si elles pouvaient s’acclimater dans le pays), une tribu qui avait commis quelques actes d’hostilité et qui, ces jours derniers, avait embauché (ou plutôt débauché) une vingtaine de soldats de la légion étrangère. Ce matin, à la pointe du jour, le général en chef… a fait cerner le village de cette tribu et, après une courte résistance, tout a été passé au fil de l’épée. Les soldats de la légion étrangère qui s’étaient laissé séduire ont été fusillés dans le village même. Un certain nombre de têtes d’arabes ont été exposées toute la journée dans le quartier des zouaves. On a pris aux arabes 3000 têtes de bétail … ce soir, les cafés sont illuminés et les habitants d’Alger de toutes les classes se sont empressés d’adresser au général en chef leurs félicitations sur le résultat de cette expédition conduite avec autant de prudence que de vigueur et qui, en imprimant aux arabes un singulier effroi, préviendra probablement toute attaque sérieuse de leur part.

A l’inverse de ce qu’écrit le Baron Pichon, l’affaire du massacre des El-Ouffias ne fut pas occultée par la presse. Cependant, on peut constater  que la version données par l’auteur de cet article est assez différente du récit que j’ai mentionné précédemment : selon ce qu’il rapporte,  l’extermination de la tribu fut due, non au fait qu’une ambassade a été attaquée, mais parce qu’elle était composée d’agitateurs hostiles ayant même débauché des légionnaires, sans doute pour s’en servir comme mercenaires. En outre, la lettre témoigne de la joie des algérois et qualifie l’action de Rovigo de prudente. (1)

Le massacre des El Ouffias a été cité une deuxième fois dans le journal des débats le 1er mai sous la forme d’un communiqué du ministère de la guerre. Il comporte deux pièces qui donnent une version sensiblement différente de ce qui est relaté le 22 avril :

     . Le premier document est le rapport du duc de Rovigo au ministre daté du 9 avril. Il mentionne bien que les ambassadeurs ont été détroussés et ajoute que les El-Ouffias avaient bien tenté de débaucher des légionnaires mais que ceux-ci ont prévenu leur chef qui leur a enjoint de jouer le jeu. (l’article du 22 avril précisait que les légionnaires ont été fusillés en tant que traitres). Rovigo ajoute aussi qu’après leur rencontre avec les El-ouffias, les soldats  ont été attaqués par une tribu voisine qui cherchait, elle aussi, à recruter des effectifs. Deux légionnaires sont retrouvés morts, la tête tranchée, sans que le duc sache qui a commis le crime.
     . Le deuxième texte a été écrit par le cheik des Krechichana le 12 avril. Rovigo lui avait enjoint de rechercher les effets volés aux ambassadeurs, il indique qu’il les a retrouvés chez certains membres de sa tribu mais, selon le cheik, ils avaient été déjà pillés par d’autres.

 Ainsi, le ministre désavoue implicitement le général en chef : les El-Ouffias ne seraient redevables que d’avoir tenté de débaucher des soldats, par contre, ce ne sont pas eux qui ont attaqué les ambassadeurs comme l’indique la lettre du cheik.

 Dans de telles conditions, on comprend que l’exécution du cheik des El-Ouffias survenu le 21 avril, après que la vérité ait été connue, n’ait pas été mentionnée dans « le journal des débats » : l’opinion publique, comme l’écrit le Baron Pichon, n’a donc été qu’imparfaitement informée par ce journal  : selon moi, l’article du 1er mai n’eut pour but que de noyer le public non averti, dans des détails qu’il ne pouvait comprendre sans avoir une connaissance approfondie du sujet ; seule la version du 7avril étant claire et explicite pour l’opinion publique, il est probable que la majorité des français dût penser que  Rovigo avait eu raison de tuer les  El-Ouffia et éliminer ainsi des fauteurs de troubles.

En ce qui concerne les deux autres affaires cités par le Baron Pichon, je n’en ai trouvé nulle trace dans les journaux.

  (1) A remarquer, en ce qui concerne la prudence du général en chef, l’analyse que fait de lui un de ses adjoints, le général Brossard : « Le caractère définitif du commandement et de l’administration du duc de Rovigo est une impétuosité brusque, violente, irréfléchie dans les paroles, et incohérente dans son action, ayant pour objet de faire prévaloir ses capricieuses volontés indépendamment de la nature des choses et, souvent en dépit de la raison, sans considération du juste et de l’injuste. ». Cette analyse n’est pas étonnante quand on sait que Savary fut ministre de la police sous l’Empire ! 

L’AFFAIRE DES TÊTES COUPEES

Dans son livre, le Baron Pichon indique que la presse a quand même évoqué, dans les journaux, l’affaire des têtes coupées au bout d’une pique :

 « Pour dire toute ma pensée .. j’ai vu avec peine, je l’avoue, nos journaux, en avril 1831, employés par les correspondants à préparer l’opinion aux têtes rapportées aux arçons des selles de nos cavaliers et roulant plusieurs jours dans les cours des casernes et vanter les avantages des supplices turcs comme privant le supplicié de tout espoir d’une autre vie.

N’est-ce pas une amère dérision que de parler de porter de cette manière la civilisation en Afrique ? »

Il évoque aussi en note de bas de page une réflexion d’un colon au duc de Rovigo : «  apportez des têtes ! des têtes ! Bouchez les conduits crevés avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez ! »

Cette pratique des têtes coupées est effectivement mentionnée dans la presse comme le montre un article du SÉMAPHORE DE MARSEILLE (22 AOÛT 1833) citant une lettre qui a été expédiée d’Alger :

« …Un certain nombre de têtes coupées feront plus pour leur civilisation et surtout pour la tranquillité de la colonie que tous les moyens de douceur qu’on pourrait employer…on ne peut être assuré de la soumission d’un musulman qu’en obtenant son changement de foi. Tant qu’il est fidèle à sa religion, il est fidèle à la haine envers les chrétiens dont cette religion lui fait une loi. »

Le rédacteur du journal indique à la fin de cette lettre qu’il n’est pas d’accord avec de telles allégations !

 La méthode des têtes coupées fut aussi évoquée lors d’un débat à la chambre des députés : voici un discours du baron Mounier cité dans « la gazette nationale ou le moniteur universel » du  20 avril 1833 :

« J’ai  toujours vu avec tristesse, même avec un sentiment pénible pour l’honneur national, les expéditions qu’on nous présentait comme des victoires où des colonnes sorties d’Alger fondaient sur des tribus arabes, massacraient tout ce qu’elles rencontraient et ramenaient leur bétail qui était ensuite vendu à l’encan. J’ai lu dans les bulletins non officiels mais imprimés dans des feuilles autorisées, je crois, par le gouvernement, que des cavaliers, je ne dirais pas français mais à la solde de la France, rapportaient des têtes suspendues à la selle de leurs chevaux,

Ce n’est pas là porter la civilisation en Afrique, c’est introduire la barbarie sous le drapeau français »

 Il paraît donc évident que l’opinion savait que cette infâme pratique des têtes coupées existait.

 L’AFFAIRE DE LA PROFANATION D’OSSEMENTS HUMAINS

 Je tiens à citer aussi une lettre citée dans le SÉMAPHORE DE MARSEILLE du 2 mars 1833, car il montre à quel point la violence et la cruauté peuvent déboucher sur des actes d’une ignoble infamie :

 « J’ai appris par la voie publique que, parmi les os qui servent à la fabrication du charbon animal, il s’en trouve qui appartiennent à l’espèce humaine ; mu par un sentiment de philanthropie, j’ai voulu me convaincre moi-même jusqu’à quel point on pouvait ajouter foi à un pareil bruit, je me suis rendu en conséquence à bord de la bombarde, la Bonne Joséphine, … venant d’Alger, et chargée d’os, là, après avoir examiné avec la plus grande attention, une certaine quantité de ces os, j’en ai reconnu plusieurs faisant partie, en effet, de la charpente humaine, j’y ai vu des crânes, des cubitus, et des fémurs de la classe adulte récemment déterrés et n’étant pas entièrement privés de parties charnues.

Une pareille chose ne devrait être tolérée et l’autorité compétente devrait empêcher que l’on continuât ainsi à trafiquer des restes des hommes… en commandant au peuple plus de respect pour les morts, il montrerait peut-être plus de respect pour les vivants. … l’existence des raffineries de sucre de notre cité ne serait pas menacée par la répugnance que l’on commence à manifester de se servir d’une substance dans laquelle entre une matière provenant du corps humain.

La politique de notre colonie d’Alger serait plus efficace en rendant plus favorable nos ennemis arabes et bédouins ; instruits qu’on leur enlève les ossements de leurs pères, (ils) sont dans un état de fanatisme religieux tel qu’ils mettent en pièces et dévorent même quelquefois les français faits prisonniers. Je vous prie, monsieur,  de bien vouloir insérer ma lettre dans votre journal … SEGAUD docteur en médecine

 Cet article mérite une double explication :

     . Lors de grands travaux publics d’aménagements (route, places..), il arrivait que l’on tombe sur des cimetières ; en ce cas, les ossements  étaient déplacés sans aucun respect pour les morts ; la lettre du docteur SEGAUD témoigne que ces ossements pouvaient être aussi récupérés pour être utilisés à des fins industrielles.
     . En effet, les sucreries avaient besoin d’ossements d’animaux : le sucre est naturellement une pâte molle  de couleur marron. Pour le blanchir, à cette époque, on utilise du « charbon  animal » qui a la propriété de décolorer les liquides. Il se présente sous la forme d’une poudre ressemblant à de la suie, on l’obtient en faisant chauffer des os à haute température à l’abri de l’air : faire commerce des  ossements humains pillés dans les cimetières pouvaient donc être une bonne affaire !
 
Il va de soi que cette affaire fit grand bruit, le ministre de la guerre fut informé et ordonna à l’intendant civil de la province d’Alger de mener une enquête pour déterminer les origines de ce commerce et pour le faire immédiatement cesser. 

On peut conclure de ce qui précède que l’opinion publique devait être partiellement informé des actes de cruauté et d’inhumanité était commis en Afrique. Hélas pour la vérité, le public était beaucoup mieux informé de l’attrait que suscitait la nouvelle colonie au titre de la colonisation que par les crimes qui s’y déroulaient. 


jeudi 25 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (5)

   LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (3)

COMMENT LES FRANÇAIS METROPOLITAINS REAGIRENT-ILS FACE AUX VIOLENCES DE L’ARMEE EN ALGERIE ?

 

Répondre à cette question, au vu des documents que j’ai trouvés, peut s’effectuer à deux niveaux :

     . En utilisant quelques courriers significatifs échangés entre le gouvernement et l’autorité militaire

     . En tentant de mesurer l’état d’esprit de l’opinion publique par le biais des articles de presse qui pouvait l’influencer.

 

 LES TENTATIVES DU GOUVERNEMENT DE MORALISATION DES PRATIQUES DE L’ARMÉE D’ALGÉRIE.

L’exécutif se rendait bien compte que l’armée en Algérie, profitant de l’interrègne et de la faiblesse du gouvernement de Louis Philippe, agissait en toute indépendance et appliquait ses propres principes usant de la force sans tenir compte des règles élémentaires de justice et d’équité devant la loi régissant la société métropolitaine. La plupart du temps, il était mis devant le fait accompli, ne disposant pratiquement d’aucune marge de manœuvre.

A chaque fois qu’il était informé des agissements des militaires, il n’avait d’autre choix que d’y répondre par un envoi de lettres de reproches voilés aux militaires concernés. Cet échange de lettres  est révélateur du fossé séparant la position entre d’une part, les autorités parisiennes, soucieuses de préserver l’Etat de droit et, d’autre part, le commandement de l’armée d’Afrique

Ainsi, le président du Conseil, Casimir Perrier  écrivit au duc de Rovigo, commandant en chef des armées en Algérie en décembre 1831, « Quant aux populations d’Alger, le principe (…) doit être, après leur avoir fait sentir notre force, de ne rien négliger pour nous les concilier par la justice et par les sentiments de leur propre intérêt. » 

Plus tard, le ministre de la guerre et président du conseil, le maréchal Soult écrivit le 14 janvier 1832   à Savary, duc de Rovigo commandant en chef de l’armée d’Afrique, pour lui faire part de sa préoccupation concernant l’inobservance de la loi par les tribunaux militaires :

« C’est avec peine, que je remarque fréquemment des erreurs qui sembleraient liées à l’ignorance de la loi et de la jurisprudence des tribunaux militaires… Je tiens beaucoup à l’exact accomplissement des devoirs qui sont imposés par la législation militaire. » 

Dans une lettre 21 janvier 1832 adressée à nouveau au duc de Rovigo, le maréchal Soult spécifie précisément ce que doit être la politique de la France dans la Régence : 

« Quant aux Arabes et aux Turcs, faîtes en sorte d’entretenir avec eux de bons rapports en conservant néanmoins un langage ferme pour leur en imposer et en agissant à leur égard suivant les règles de la plus stricte équité et jamais d’une manière contraire aux lois ni à ce qu’une bonne politique peut avouer. »

Le 27 mars 1932,  le duc de Rovigo répond ainsi au ministre de la guerre

L’établissement d’un pouvoir civil est un projet bien conçu dans l’intérêt des progrès de la civilisation, mais l’expérience que l’on fait journellement de l’application de ce principe prouve que le pouvoir civil lui-même doit être subordonné à l’action militaire qui le protège, autrement, on ira toujours de collision en collision et la confiance que l’on voudrait prendre dans la consolidation de notre puissance sur ce pays-ci ne s’établira pas. » 

Le 18 octobre 1932, le duc de Rovigo réitère ses observations  au ministre de la guerre :

« Mon opinion, est que les Maures ont déjà assez d’avantages sur nous dans l’état présent des choses, sans leur offrir encore la garantie de nos lois… Accorder aux Maures la faveur des formes protectrices de nos lois, en harmonie avec la civilisation de la France, ce serait leur mettre dans les mains une arme qu’ils ne manqueraient pas de tourner contre nous. » 

Lorsque Savary fait exécuter en février 1833 deux cheiks qu’il avait invités pour négocier avec eux en garantissant leur sécurité, le maréchal exprime clairement sa colère :

« Il n’y a pas ici d’exécution sans jugement mais ce qui a précédé la traduction devant le conseil de guerre peut certainement être considéré comme la violation d’un sauf-conduit … (de tels moyens) tendraient à détruire dans le pays toute la confiance dans nos promesses et le gouvernement ne pourrait approuver un tel usage de votre pouvoir discrétionnaire »

 Ces admonestations ne serviront à rien, la violence et les massacres ne cesseront pas et s’amplifieront même sous l’égide de Bugeaud

On aurait pu penser que le gouvernement ne se serait pas contenté de ces simples réprimandes face à la politique de violence et de représailles initiés par le commandement militaire et aurait agi pour les faire cesser ; ce ne fut pas le cas à une exception toutefois : le 1er décembre 1831, Casimir-Perier créa deux pouvoirs indépendants, celui de l’intendant civil relevant du président du conseil en charge des territoires pacifiés  et celui du commandant de l’armée sous l’obédience du ministre de la guerre. Ce système  fut  abandonné au bout de quatre mois, tant les positions entre l’intendant civil et le commandant militaire étaient antagonistes : l’intendant civil se plaignait que les règles de l’état de droit étaient sans cesse bafouées tandis que les autorités militaires reprochaient à l’intendant civil d’entraver leurs actions. Le poste d’intendant civil fut certes maintenu mais il fut subordonné au pouvoir militaire.

lundi 15 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (4)

  LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (2)

LA POLITIQUE DE L’ARMÉE EN ALGÉRIE

 LA POURSUITE DE LA CONQUETE

Sans tenir compte de l’opinion publique ni même probablement du gouvernement, les généraux en charge du corps expéditionnaire envoyé en Algérie  étendent la conquête à d’autres villes qu’Alger et s’emparent des principales villes côtières des « échelles du levant » : ORAN en 1831, BONE (ANNABA) en 1932, BOUGIE, ARZEW, MOSTAGANEM en 1833. À cette époque, la conquête française ressemble à celle des presides espagnols, en formant une chaîne discontinue de possessions allant de la frontière tunisienne à la frontière marocaine. De même, ils s’emparent du Sahel d’Alger, une petite région de collines au sol fertile et bien cultivée.

 

LA CONSTITUTION DE L’ARMEE D’AFRIQUE

Afin de tenter une réponse  aux critiques de ceux qui stigmatisent le fait que l’on sacrifie la vie des français pour une conquête ressentie comme inutile et pour des raisons budgétaires, le gouvernement décida de diminuer l’effectif des soldats envoyés en Algérie. Ainsi, alors que l’armée envoyée à Alger lors de la conquête comportait 37.000 hommes, il fut prévu, dans le budget de 1831,  de réduire les effectifs à 9000 hommes.

 Les militaires en poste à Alger firent part de leur préoccupation quant à ce projet : il leur fallait en effet contrôler les zones conquises pour les pacifier, effectuer de nouvelles conquêtes afin de mieux les protéger, subjuguer les tribus de l’arrière-pays pour faire cesser leurs raids. En outre, il fallait aussi tenir compte de la forte mortalité sévissant parmi les soldats à la fois du fait des attaques venues des hauts-plateaux et de la forte mortalité survenue dans les garnisons en poste dans les fortins établis dans les zones malsaines.

Afin de pallier aux doléances de l’armée à propos de la faiblesse des effectifs et pour l’adapter aux conditions climatiques, géographiques et aux méthodes de combats sévissant dans le pays, l’armée d’Afrique se dota très tôt d’auxiliaires autochtones. Ces corps d’auxiliaires furent très utiles à la fois par leur connaissance du pays et de la langue des habitants.

 Le 1er octobre 1830, le général Clauzel (général en chef de la conquête du 2 septembre 1830 au mois de février 1831, il reviendra en Algérie en tant que gouverneur général en juillet 1835 jusque 1837) décide de créer deux bataillons de 100 autochtones. Les premiers volontaires furent des kabyles de la tribu des Zouaoas, ce qui donna son nom aux zouaves. Le nom est resté bien que, très vite, les zouaves ne comprirent que des français. Ils sont appelés aussi les « chasseurs d’Afrique. » La loi de 1831 cautionna cette décision. Des cavaliers zouaves forment la première unité montée de l’armée d’Afrique. Trois régiments zouaves de cavalerie sont organisés en 1832, 

 De même sont incorporés les compagnies turques à la solde du Dey au fur et à mesure de l’extension de la conquête, ils sont qualifiés du terme génériques d’ « arcos ».ils se différencient en tirailleurs et en spahis à cheval. En 1834, les spahis comprennent 218 cavaliers.

 Enfin, le 9 mars 1831, le gouvernement décida de rétablir la légion étrangère qui avait été supprimée deux mois plus tôt avec création de sept bataillons de 895 légionnaires chacun, cela représente  une force de 4965 légionnaires. Au début, les sept bataillons furent composés selon leur nationalité (3 d’allemands et de suisses, un d’espagnols, un d’italiens, un de belges et d'hollandais et un de polonais) mais très vite, on abandonna cette répartition pour mettre en place le principe de la fusion. Les légionnaires seront formés en France mais ils ne pourront pas intervenir en Métropole, le champ d’action étant limité aux théâtres d’opérations extérieures. 

Ainsi, se constitua l’armée d’Afrique avec association de soldats français et d’unités auxiliaires. Ces dernières étant toutes commandées par des officiers français, ce qui évidemment favorisait la cohésion de cette armée.

LES CONDITIONS DIFFICILES DES COMBATS ET L’INSTAURATION DE LA TERREUR

Les combats que livre l’armée d’Afrique, à cette époque, relèvent plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes du fait de la pression continuelle des tribus qui crée un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

Un peu partout et surtout dans la zone occupée d’Alger, les français se heurtent à trois difficultés majeures :

     . La première résulte de la configuration du relief : les plaines littorales
où se trouvent les villes conquises, sont étroites et sans lien réel les unes avec les autres, sauf par la voie maritime ; très vite, en allant vers le sud, les altitudes s’élèvent et rapidement, on se trouve sur des plateaux dominés par des massifs montagneux culminant à plus de 1500m de haut. Cet arrière-pays forme une barrière continue, difficile d’accès, seules les vallées  encaissées des oueds permettent d’y circuler malaisément.

Dans la région d’Alger, la circulation vers le sud pourrait sembler plus aisée du fait de la présence d’une plaine entre le littoral et les crêtes de l’Atlas de Blida ; en réalité, ce n’est pas le cas, car la plaine, appelée MITIDJA, n’est qu’un vaste marécage malsain infesté de moustiques en sorte que si on y installait un fort de protection, la garnison était vite décimée par la pestilence

     . La deuxième difficulté résidait dans la présence sur les hauts plateaux de tribus belliqueuses soucieuses de chasser les étrangers de leur pays à la fois pour des raisons idéologiques et de fierté collective mais aussi et surtout parce qu’elles considèrent que les terres usurpées par les français sont à elles : beaucoup ont dû, en effet, les abandonner pour échapper à la domination des envahisseurs, les privant ainsi d’espaces qui leur étaient utiles (la Mitidja était, par exemple, une zone de pacage d’été).

     . La troisième raison est la différence entre les techniques militaires des français et celles des tribus :

          . Les tribus  combattent au moyen d’une cavalerie légère extrêmement mobile et possédant l’avantage notoire de connaitre parfaitement le terrain. Leurs attaques sur les terres occupées par les français prennent la forme de raids rapides qui surprennent les postes français et les premiers colons installés. Ils pillent et tuent tant qu’ils le peuvent et  se retirent dès que l’adversaire réagit et organise sa défense.

         . Habitués aux combats en Europe,  les expéditions punitives organisées par les français sont composées de colonnes lourdement armées, disposant de pièces d’artillerie et se mouvant lentement dans un pays qu’ils ne connaissent pas : ils sont à la merci d’embuscades, en particulier dans les gorges des vallées encaissées et de raids aussi soudains de meurtriers.

 En conséquence, pour faire cesser ces raids sur les territoires que les français estiment leur appartenir et dompter ces tribus, l’armée pratiqua une politique de terreur, Cette politique relevait plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes, du fait de la pression continuelle des tribus qui créaient un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

 LA TERREUR

Cette politique de terreur est parfaitement illustrée par le massacre de la tribu des Ouffia en 1832 cité dans un livre de Christian Pierre, l’Afrique française paru  en 1848 :

 «  Un cheik, des confins du Sahara et ennemi personnel du bey Hadj-Ahmed (bey de Constantine sous le Dey, ayant fait allégeance à la France, il conserva son poste),   dont il convoitait le pouvoir, envoya, dans le courant de mars, une députation, au duc de Rovigo (Anne Jean Marie René Savary général d’Empire, commandant en chef de l’armée algérienne de 1831 à 1833 pour l'engager à faire une expédition contre Constantine, et lui promettre, le concours des nombreuses tribus rangées sous son autorité. Ces ambassadeurs n'obtinrent du duc de Rovigo qu'une réponse évasive, mais ils partiront comblés de présents. A quelques lieues d'Alger, des maraudeurs les dépouillèrent sur le territoire de la petite tribu d'El-Ouffla, qui campait près de Maison-Carrée, sous notre protection.

Le général en chef, informé de cet accident, ne prit point, la peine d'en rechercher les circonstances, mais, se livra au contraire, à une précipitation de jugement qu'aucune véritable nécessité ne justifiait,... En vertu de ses instructions, un corps de troupe du 1er chasseur d'Afrique et du 2e bataillon de la légion étrangère …, sortit d'Alger pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit, au point du jour, la tribu, endormie sous ses tentes, et égorgea tous les malheureux El-Oufflas, sans qu'un seul chercha même à se défendre, Tout ce qui vivait fut voué à la mort; ou ne fit aucune distinction d'âge ni de sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances, et l'une d'elles servit, dit-on, à un horrible festin. Tout le bétail enlevé sur ce champ de désolation fui vendu au consul de Danemark ; le reste du butin, sanglantes dépouilles d'un  effroyable carnage, fut exposé au marché de la porte Rab-Ayoun , on y voyait avec horreur des bracelets de femme encore attachés à des poignets coupés, et des boucles d'oreilles pendant à des lambeaux de chair, Le produit de cette vente fut partagé entre les égorgeurs.

Un ordre du jour du 8 avril, consacrant une telle infamie, proclama la haute satisfaction du général pour l'ardeur et l'intelligence que les troupes avaient montrées, Le soir, sa police ordonna aux Maures d'Alger d'illuminer leurs boutiques et de les tenir ouvertes plus tard que de coutume.

Pour combler la mesure de ces excès, le cheikh des El-Ouffîas n'échappa aux fureurs de l'extermination que pour (être jugé), il fut traduit devant un conseil de guerre, jugé et exécuté, bien qu'on eut déjà acquis la certitude que ce n'étaient pas les El Ouffias qui avaient dévalisé les prétendus ambassadeurs du désert.

Mais acquitter le chef, c'était déclarer la peuplade innocente, et condamner moralement ceux qui en avaient ordonné le massacre, »

Le même auteur cite le massacre perpétré  à Bône par le capitaine Youssef (pseudonyme donné par ses troupes à Joseph Venturi qui deviendra plus tard général)

« Des Arabes d'une tribu inconnue, vinrent, sous les murs de la ville, s'emparer quelques bœufs. Le capitaine Youssef décida que les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharézas; le même soir, il partit avec les Turcs, (ARCOS soldats du Dey ralliés à la France) s'embusquer de nuit dans les environs de cette tribu, et, lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards, Une réflexion bien triste suivit cette victoire, lorsqu'on apprit que celte même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône , approvisionnait notre marché, et qui, la veille, jouissait encore de la confiance de Youssef lui-même. Le retour des Turcs fit une funeste impression sur les habitants de la ville, lorsqu'on aperçut une tête d'Arabe sur le drapeau français.

   Ainsi, il s’instaure en Algérie un cycle infernal de la violence. Outrés par la férocité des expéditions de représailles françaises, les tribus organisent des coups de main de plus en plus meurtriers et de plus en plus violents. Cela donne lieu à de nouvelles ripostes des français de plus en plus sanglantes : ils brûlent les douars et massacrent les habitants en n’épargnant personne même les innocents, les femmes et les enfants et repartent en ne laissant derrière eux que ruines et désolations.

  De telles horreurs ne pouvaient pas rester impunies : les expéditions punitives de l’armée française étaient suivies de nouvelles razzias des tribus, établissant ainsi une ère de saccages et de férocité ne paraissant pas devoir finir et qui caractérisa presque toute la période de la Monarchie de Juillet

 Bien peu se rendait clairement compte que ce règne de terreur  ne pouvait mener à rien sauf à des massacres réciproques, très peu de tribus firent leur soumission, les autres furent animées d’un esprit de vengeance de plus en plus fort.


mercredi 10 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (3)

 LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834

La capitulation et la Prise d'Alger surviennent le 5 juillet 1830 et sont connues à Paris le 9 juillet. Fort de ce succès militaire, le roi Charles X, à une époque de crise entre les ultras-royalistes et les libéraux, décide de reprendre la main en publiant six  ordonnances dont quatre évoquent un coup d'Etat. (dissolution de la chambre à majorité libérale qui vient d'être élue et modification du suffrage censitaire, musèlement de la presse). Cette publication met le feu aux poudres, le peuple se soulève (les trois Glorieuses des 26-27 et 28 juillet) mais, il se voit imposer par la bourgeoisie un nouveau régime, celui dit de la monarchie de Juillet du roi Louis-Philippe.

 A cette époque, le gouvernement de Louis Philippe est pris au dépourvu par cette occupation militaire  d’Alger et de son immédiate banlieue. Il constate, dès son arrivée aux affaires, que la prise d’Alger était seulement le fruit d’une improvisation destinée à redorer le blason de la monarchie de Charles X : elle n’avait été ni planifiée, ni pensée en tant que projet d’avenir. Dans ces conditions, il lui fallut improviser à la fois en tenant compte de l’opinion publique, du vote des chambres et de l’action de l’armée bien décidée à étendre la conquête.

L’ÉTAT DE L’OPINION PUBLIQUE CONCERNANT LA PART CONQUISE DE L’ALGERIE

 L’opinion publique est partagée en trois camps antagonistes :  

   . Certains prônent non seulement le maintien sous l’obédience française de la région d’Alger et des zones conquises mais aussi l’extension de la conquête vers le sud. Dans un livre pamphlet paru en 1835, un auditeur au conseil d’état, Agenor de Gasparin,  indique, pour les rétorquer, leurs arguments :

         . En colonisant Alger, nous ouvrirons un large débouché à nos produits, échangés avec ceux d'un pays fertile, et transportés par notre marine marchande, qui recevra de ce commerce une nouvelle activité.

         . Nous ouvrirons un lieu de déportation à nos condamnés, et un débouché à la lie de notre population surabondante. 

         . Nous aurons une école pratique où notre armée viendra s'instruire (à une époque où l’Europe est globalement en paix), Nous fortifierons notre puissance militaire, et acquerrons sur la Méditerranée la prépondérance.

        . Par Alger, nous nous assurons des communications importantes et un vaste commerce d'entrepôt. 

        . Nous obéirons à des motifs plus élevés encore, en accomplissant sur le continent africain une grande mission civilisatrice. 

        . Il ne faut pas nous  laisser décourager par la stérilité des premiers efforts, car elle résulte essentiellement des fautes commises par les administrateurs de la colonie. 

        . L'Angleterre nous conteste le droit de garder Alger, dit-on. Notre retraite serait donc une lâcheté, car elle aurait l'air d'être le résultat de ses menaces.

   .  D’autres  voudraient abandonner les terres conquises en Algérie. Comme je l’ai mentionné en prologue, la conquête coloniale est mal vue à l'époque, on se souvient certes encore du cuisant souvenir de la perte de la plupart de nos colonies après le traité de Paris de 1763 consécutivement à la guerre de sept ans, mais la majeure partie des arguments contre la conquête sont plus prosaïques et pratiques : en voici quelques-uns signalés par Agenor de Gasparin :

          . La colonisation coûte cher et nécessite la présence d'importantes troupes de pacification. Les populations autochtones, en effet, sont hostiles et prêtes à bouter l’ennemi hors de leurs frontières : cela ne mérite pas les sacrifices d’hommes et d’argent nécessaires pour maintenir la présence français.

         . La colonie ne rapporte rien, comment des colons pourraient cultiver dans l’état de guérilla perpétuelle ? En outre, les terres fertiles sont peu nombreuses, le sol étant occupé par de nombreux marécages infestés de moustiques qu’il convient de drainer au prix d’efforts financiers considérables.

         . La terre algérienne ne permet pas de cultiver des produits complémentaires à ceux de la métropole comme la canne à sucre et le tabac.

         . Il est illusoire d’imaginer qu’à partir des zones conquises, on puisse développer le commerce d’entrepôts et de transit avec l’Afrique : les plaines littorales sont, en effet, bordées de barres montagneuses et de hauts plateaux peu commodes à franchir. En outre, les sites des ports sont médiocres (à l’exception toutefois de celui d’Oran conquis en 1832)

      . Quelques-uns veulent maintenir la présence française à la zone déjà conquise ; pour  le reste, il suffirait de s’entendre avec les chefs locaux à qui on confierait le pouvoir sous la suzeraineté de la France. L’avenir montrera que cette position  est  intenable du fait du caractère belliqueux des tribus de l’arrière-pays, qui veulent chasser les français de leurs positions et de la configuration géographique du pays. 

  Cette division de l’opinion publique rejaillit bien évidemment lors des débats, généralement houleux à la chambre, en particulier lors du vote du budget du ministère de la défense et du coût prévisionnels du maintien d'une armée importante.

vendredi 5 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (2)

  PROLOGUE (2)

L'ETAT DE LA REGENCE ET LE RÉGIME DES TERRES EN  ALGERIE AVANT LA CONQUÊTE FRANÇAISE

Cette parenthèse dans ma description de la conquête de l’Algérie par la France de la Monarchie de Juillet est nécessaire si on veut comprendre les méthodes employées par les français pour effectuer la spoliation des terres et biens des autochtones. 

 

LA REGENCE

Il convient de rappeler d’abord que depuis 1520, date où Kayr Ad Din Barberousse a rendu hommage au sultan Selim 1er, l’Algérie est devenue une province ottomane, cependant, un peu avant la conquête française, les liens s’étaient distendus avec la Sublime Porte : le Dey d’Alger, était devenu pratiquement indépendant même si était maintenue une suzeraineté plus théorique que réelle du Dey au sultan d’Istanbul. Trois beys vassaux du Dey, disposent du

pouvoir régional, ils sont établis à Medea, Oran et Constantine.


Comme le montre la carte, les zones dominées directement par le Dey sont divisés en deux parties reliées par une étroite bande de terres contournant la Kabylie, pays traditionnellement rebelle à toute incursion étrangère. 

Outre ces territoires placés directement sous son obédience, le Dey, par délégation du Sultan, possède une souveraineté plus théorique que réelle sur un ensemble de royaumes, de tribus et de confédération de                                                                                 tribus.


 LE PRINCIPE GENERAL DU REGIME DES TERRES

Une première caractéristique du régime des terres existant dans la Régence d’Alger  est constituée par la différence entre terres mortes et terre vives, 

     . Les premières ne produisent rien et ne sont pas exploitées, elles n’appartiennent à aucun humain jusqu’au moment où quelqu’un décide de les vivifier ; alors, la mise en valeur équivaut à un titre de possession même s’il faut le faire reconnaître par le souverain qui, théoriquement, au nom de Dieu, est possesseur de toutes les terres.    

     . Les terres vives ou vivantes sont classées en deux grandes catégories, les terres ARCH et les terres MELK.

 

LES TERRES ARCH

Les terres ARCH étaient mises à disposition des tribus par le souverain, elles sont collectivement la propriété de la tribu, sont incessibles et inaliénables sans que l’on puisse en vendre même une parcelle. Chaque chef de famille de la tribu reçoit la part de terres qu’il est capable de cultiver et qu’il conserve tant qu’il est à même de le faire. Il ne possède pas la terre et n’en est seulement que l’usufruitier. Il peut néanmoins léguer sa part à ses enfants et

même à ses collatéraux aux mêmes conditions. C’est seulement en cas de déshérence que les terres reviennent à la collectivité, Les terres non attribuées sont communes et servent généralement de zone de pâturages pour les troupeaux. Ce système caractérise plutôt l’intérieur des terres steppiques du pays.

 

Une composante particulière de ces terres ARCH est représentée par les terres MAGHZEN. Elles sont concédées à des tribus constituées en colonies militaires, ce qui permet de suppléer au faible effectif des armées du souverain et des beys. Chaque chef de famille recevait un lot de terre, des instruments de travail, un cheval ; en échange, il s'engageait à fournir à toute réquisition, un service militaire organisé sous les ordres d'un caïd. Ces colonies  devaient réprimer les éventuelles rébellions et percevoir les impôts sur les tribus. 


La différence des terres MAGHZEN avec les terres ARCH était que la concession des premières était révocable à tout moment, par contre, elles sont cultivées de la même manière que les terres ARCH. Les terres MAGHZEN étaient en général établies aux endroits stratégiques.

 

LES TERRES MELK 

Les terres MELK appartenaient en pleine propriété à leurs possédants qui pouvaient les vendre ou les diviser à son gré, elles pouvaient être directement cultivées par leur propriétaire ou par des ouvriers agricoles ayant le statut de fermier ou de métayers.

 

Le danger de ce système résidait dans le morcellement lors des héritages d’autant que, selon le droit musulman, les filles avaient un droit égal à celui des garçons lors du partage.

 

Pour pallier à ce danger, deux solutions avaient été mises en place :

 . Le système des HAOUCH, de grandes fermes appartenant à une famille qui cultive le sol collectivement, elles sont vendables même par parcelle mais, dans ce cas, la famille possède un droit de rachat immédiat sur ces cessions.

 . Les terres HABOU. Le HABOU, dit privé, est constitué par un propriétaire qui indique que le dernier dévolutaire de la terre sera une confrérie, une institution charitable ou encore une mosquée dont celles de Médine et de La Mecque. À partir de ce moment, les terres deviennent inaliénables ; elles sont cependant transmises aux héritiers du fondateur jusqu’à extinction de la lignée. les terres deviennent alors la propriété du dernier dévolutaire et sont qualifiées d'HABOU publics. Ce type de propriété terrienne est appelée WAQF

 

LE BEYLIK

La dernière catégorie de terres, le BEYLIK, correspondaient aux terres appartenant en propre au souverain. Ces terres étaient mises en valeur de diverses manières : elles peuvent être cultivées en faire valoir direct par des fermiers qui recevaient 1/5 des récoltes ; elles pouvaient aussi être concédées à titre d’apanage aux princes, aux dignitaires, aux fonctionnaires ou même à des services publics, elles pouvaient être aussi mises en valeur au

moyen de corvées et être aussi concédées a des tribus et en particulier aux tribus MAGHZEN. La plus grande partie des terres du Sahel d’Alger, possession directe du souverain, portait le nom de DAR ES SULTAN.