L’ELECTION ET LE COURONNEMENT D’HAROLD
Les scènes suivantes sont, pour moi, les plus importantes de la tapisserie de Bayeux, ce sont celles qui permettent de comprendre les événements aboutissant à la bataille de Hastings et de mesurer les diverses interprétations possibles de l’avènement d’Harold.
Voici d’abord la version de Guillaume de Jumièges
« Tout à coup se répandit la nouvelle certaine que le pays d'Angleterre venait de perdre le roi Edouard, et qu'Hérald était orné de sa couronne. Ce cruel Anglais n'attendit pas que le peuple décidât sur l'élection; mais le jour même où fut enseveli cet excellent roi, quand toute la nation était dans les pleurs, ce traître s'empara du trône royal, aux applaudissements de quelques iniques partisans. Il obtint un sacre profane de Stigand, que le juste zèle et les anathèmes du pape avaient privé du saint ministère »
Selon ce texte, Harold se serait emparé du trône par traîtrise avec l’aide de quelques séides et se serait fait couronner par un archevêque privé de toute fonction par le pape.
Force est de constater que cette version est contredite, y compris, par la tapisserie de Bayeux : c’est ce que révèle en particulier l’inscription surmontant le dessin : HIC DEDERUNT HAROLDO CORONA REGIS, (ici, ils donnent à Harold la couronne de roi).
A cet égard, il convient de mentionner que, dans la coutume anglo-saxonne, la désignation du roi appartenait au Wintanagemot, (assemblée composée de membres du haut clergé, des comtes et des barons) : c’est donc, selon ce qui est représenté sur la broderie, en toute légalité qu'Harold (2) fut choisi comme roi d'Angleterre par le Wintanagemot qui lui délégua deux de ses membres pour lui offrir la couronne.
Quelles furent les raisons qui poussèrent ainsi la Wintanagenot à élire Harold roi d’Angleterre rapidement après la mort d'Edouard ? On peut, selon moi, en trouver au moins trois :
- D’abord, il existait un réel danger de voir se dérouler une invasion étrangère et une guerre dont l’Angleterre aurait été le théâtre : en effet, deux candidats à la succession d’Édouard s'étaient manifestés : le duc de Normandie Guillaume et le roi de Norvège Harald 3. Dans de telles conditions, l’élection d’Harold était préférable pour préserver la paix.
- Les deux prétendants au trône étaient des normands alors que le Witanagenot était une institution anglo-saxonne, il était donc logique que l’assemblée préfère un saxon à un normand ; à cet égard, il convient de rappeler que le père d’Harold, Godwin, s’était érigé en champion de la cause anglo-saxonne en s’élevant sans cesse contre la nomination par Édouard de normands aux postes importants du royaume.
- Enfin, Harold dût arguer qu’Édouard l’avait désigné comme héritier sur son lit de mort, ce qui Stigand, présent lors de la mort du roi, dût cautionner.
Ainsi, si on considère les coutumes anglo-saxonnes, Harold était le roi légitime d’Angleterre.
La scène suivante montre Harold devenu roi d’Angleterre : (HIC REISDET HAROLD REX ANGLORUM : ici siégea Harold roi des anglais).
Il est probable que cette scène se déroula après son sacre ; Harold (2) est assis sur le trône, il est vêtu d’une longue tunique et d’une longue cape ; il est coiffé de la couronne et tient le sceptre de justice ainsi que le globe surmonté d’une croix, symboles de son pouvoir. Il est représenté de face, comme l’était d’ailleurs Édouard dans la première vignette de la tapisserie.
A sa gauche, se tiennent deux personnages (B) dont l’un lui présente une épée. On peut penser soit à des vassaux venus rendre hommage au nouveau roi, soit à la dernière phase de l’intronisation avec remise de l’épée symbolisant le rôle primordial du roi dans la défense du royaume.
A sa droite, se trouve Stigant (5) (STIGANT ARCHIEPS), l’archevêque de Canterbury. Il a présidé aux cérémonies du couronnement d’Harold sans toutefois le sacrer, sans doute voulait-t’il éviter toute accusation d’illégitimité du sacre du fait de la non-reconnaissance de sa dignité par le pape (voir article précédent), les onctions du sacre furent effectuées par l’archevêque d’York.
Les scènes suivantes se déroulent, comme la scène du couronnement, dans le palais royal de Londres dont on peut apercevoir plusieurs pièces, les courtisans se sont séparés en deux groupes : les uns acclament le roi (C) mais d’autres (D), appelés par l’un d’eux (E), regardent dans le ciel une étoile pourvue d’une queue flamboyante (F) : (ISTI MIRANT STELLA, ils regardent une étoile).
Pour l'interprétation donnée dans la tapisserie de Bayeux, il va de soi qu'il s’agit d’un signe de Dieu prévenant les hommes la réprobation divine à propos de l’élection et du couronnement d’Harold du double fait du parjure du roi et de l’illégitimité de l’archevêque qui a présidé à sa consécration.
Les scientifiques dont j’ai consulté les travaux, pensent que cette étoile est la comète de Halley ; si cette authentification est exacte, cela pose un problème de chronologie : selon les archives de la cathédrale de Viterbe, la comète fut visible en Italie à partir du 5 avril, ce qui reporterait sa présence dans le ciel de Londres à la fin du même mois. Dans ces conditions, il existe deux possibilités d’interprétation : soit les scènes du sacre et la vision de la comète ne sont pas concomitantes, soit le sacre d’Harold eut lieu en avril et non en janvier ; il est impossible de choisir entre ces deux hypothèses. La présence de la comète est mentionnée par Guillaume de Jumièges : « En ce même temps, il apparut dans le pays de Chester une comète qui portait trois longs rayons, et qui éclaira la plus grande partie du Sud durant quinze nuits consécutives, annonçant, à ce que pensèrent beaucoup de gens, un grand changement dans quelque royaume ».
La scène suivante intitulée HAROLD montre le roi (2) assis sur son trône et penché vers un homme (G) qui semble lui parler à l’oreille, sans doute pour l’informer du mauvais présage que constituait la présence de la comète et la probable invasion prochaine du royaume par les normands. Ce qui permet de le penser c’est le dessin du bandeau inférieur où on aperçoit une flotte fantomatique (H) : Harold, selon l’interprétation que la tapisserie de Bayeux semble donner, aurait eu alors la prescience de l’invasion de l’Angleterre par les deux flottes ennemies de Harald de Norvège et de Guillaume de Normandie.
Prochain article : GUILLAUME PREND LA DÉCISION D’ENVAHIR L’ANGLETERRE.
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