LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)
LA TROISIÈME EXPÉDITION (1167)
La deuxième expédition avait permis au roi de Jérusalem comme à l'émir turc de constater à quel point l'Egypte était riche et faible : pour les deux protagonistes, la conquête du pays devrait être facile.
Šīrkūh réussit à convaincre le calife abbasside de Bagdad qu'une nouvelle expédition permettrait de chasser les chiites de l'Egypte et de rétablir l'unité religieuse autour du sunnisme Nur-Ad-Din, d'abord hésitant se rallia à l'avis du calife et donna l'autorisation à Šīrkūh de lancer une nouvelle offensive. L'armée turque se mît en chemin en janvier 1167 et suivit la longue route intérieure des caravanes.
Quand il apprit cette nouvelle offensive turque, Amaury décida, avec l'appui des principaux seigneurs réunis en conseil à Naplouse, d'organiser une nouvelle expédition en Égypte afin d'empêcher Šīrkūh de s'en emparer. L'expédition partit d'Ascalon à la fin du mois de janvier 1167.
Lorsque Sawar apprit que l'Egypte allait être menacée par les deux armées convergeant vers son pays et qui étaient ennemies l'une de l'autre, il prit conscience que l'Egypte ne disposait pas de troupes capables de mener de front deux offensives, en conséquence, il décida, comme il en avait pris l'habitude, de se concilier l'un d'entre eux pour mieux combattre l'autre. Il fit le choix du roi de Jérusalem qui venait d'arriver en Egypte et offrit son alliance à Amaury.
Le détail des tractations est clairement donnée par Guillaume de Tyr :
Le vizir " résolut donc, de concert avec les Chrétiens, de renouveler les anciens traités, d'établir sur des bases inviolables une convention de paix, et d'alliance perpétuelle entre le seigneur Roi et le calife [fatimide du Caire], d'augmenter la somme des tributs et de les constituer en revenu fixe et déterminé, qui serait payé annuellement au seigneur Roi sur les trésors du calife. Ceux qui intervinrent pour régler ces conventions ... décidèrent qu'il serait alloué au seigneur Roi une somme de quatre cent mille pièces d'or : la moitié fut payée sur-le-champ, et l'on promit que les deux cent mille pièces restantes seraient payées sans la moindre difficulté aux époques déterminées, sous la condition expresse que le seigneur Roi s'engagerait de sa propre main..., à ne point sortir du royaume d'Egypte avant que Syracon (Šīrkūh )et son armée fussent entièrement détruits ou expulsés de toutes les parties du territoire."
On peut s'étonner d'une alliance qui parut impie et de contre-nature à beaucoup de musulmans ; pourtant elle était pour le vizir un moindre mal : si Šīrkūh l'emportait, il savait qu'il resterait dans le pays ; par contre Sawar pouvait penser qu'Amaury regagnerait le royaume sitôt l'armée turque vaincue, étant toujours sous la menace de contre-offensives de Nur-Ad-Din sur le nord du royaume : mieux valait accepter un protectorat lointain, même assorti d'un tribut, plutôt qu'une occupation militaire.
L'armée d'Amaury à laquelle se joignit l'armée égyptienne passa Bilbeis et campa à Forstat ( la première ville sur le site du Caire située sur la rive orientale)
L'armée de Šīrkūh arriva quelque temps plus tard, l'émir décida de contourner Le Caire par le sud, puis il traversa le Nil (2), remonta vers le nord puis installa son camp à Guizeh sur la rive occidentale du fleuve(3). Les deux armées se trouvaient face à face de part et d'autre du Nil, il y restèrent plus d'un mois selon Guillaume de Tyr.
Afin de livrer bataille, les francs décidèrent de construire un pont de bateaux pour traverser le Nil mais dès que le pont fut à portée des archers turcs, ils lancèrent des bordées de flèches qui empêchèrent tout avancement des travaux.
Si on suit ce qu'écrit Guillaume de Tyr, Amaury envoya alors un détachement par bateau jusqu'à un lieu où se trouve une île au centre du Nil (4?) permettant de traverser le fleuve. L'île était occupée par les turcs, ils y venaient effectuer une razzia mais on peut penser aussi que Šīrkūh pensait traverser le fleuve à et endroit pour prendre à revers l'armée Franco-égyptienne, le combat s'engagea, les francs furent vainqueurs et purent passer sur la rive occidentale du fleuve.
Dans cette perspective, menacé par un ennemi supérieur en nombre, il ne restait d'autre choix à Šīrkūh que de refluer vers la moyenne Egypte. Poursuivi par l'armée d'Amaury, il dût livrer le combat à Al-Babayn en mars 1167 (5?)
La bataille fut indécise, chacun pût se croire vainqueur ; cependant, à l'issue de la bataille, les deux armées furent si éprouvées qu'elle durent se replier : l'armée d'Amaury et de Sawar regagna Forstat (1) . Quant-à l'armée turque, elle se porta vers Alexandrie, cité dont le gouverneur, par haine du traité d'alliance entre Sawar et Amaury, avait pris le parti de Šīrkūh.
Les francs décidèrent de se porter vers Alexandrie pour assiéger la ville. La cité, défendue par Saladin le neveu de Šīrkūh ( Šīrkūh avait quitté Alexandrie pour la Moyenne Egypte) résista mais bientôt les habitants d'Alexandrie commencèrent à maugréer contre le blocus effectué par les francs aidés par une flotte italienne, qui empêchait tout approvisionnement et tout commerce.
Le siège d'Alexandrie se termina comme celui de Bilbeis en 1164 : un traité fut signé entre l'émir turc et le roi de Jérusalem : les deux armées s'engagèrent à évacuer l'Egypte : le 20 août 1167, l'armée franque était de retour à Ascalon, l'armée turque arriva en Syrie en septembre.
Ainsi la troisième expédition permit à Sawar de préserver son poste de Vizir ; pourtant, l'Egypte avait perdu une grande partie de son indépendance, la manifestation la plus tangible en était la présence d'une garnison franque au Caire chargée de faire respecter les traités et de percevoir le tribut.
REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet
Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com
vendredi 17 juillet 2015
jeudi 16 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (109) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)
LA DEUXIEME EXPÉDITION DU ROI AMAURY EN EGYPTE (1164)
Amaury qui espérait s'emparer de l'Egypte accepta l'offre de Sawar ( voir article précédent ) , l'armée franque partie début juillet 1164, arrive à Peluse au début du mois d'août 1164. A cette nouvelle, Šīrkūh sentant sa position à Fostat peu sûre (site originel du Caire) décide de rejoindre son neveu Saladin avec toute son armée à Bilbeis
C'est alors que se produisit le second siège de Bilbeis, Amaury et l'armée chrétienne encerclent la ville où se trouve Šīrkūh, Saladin et le corps expéditionnaire turc. Le siège dura trois mois jusque octobre 1164. A cette date, Amaury offrit de faire la paix avec Šīrkūh, la clause principale était que les deux armées quitteraient simultanément l'Egypte. Cet armistice fut accepté par l'émir turc.
La raison de cette proposition de paix s'explique par les graves événements qui se sont déroulés dans les Etats Francs :
. en août 1164, les armées turques se sont emparées d'HARRENC (ou Harim, principauté d'Antioche) et ont remporté la victoire contre les francs ( le prince d'Antioche et le comte de Tripoli ont été fait prisonniers)
. En octobre 1164, Nur-Ad-Din attaque le nord du royaume de Jérusalem et conquiert Baniyas (BELINAS)
Amaury a donc hâte de retrouver son royaume en proie à la menace d'une invasion imminente.
Šīrkūh commençant à manquer d'approvisionnements et n'étant pas informé des succès de Nur-Ad-Din en Syrie, accepta la proposition de paix. Les deux armées quittèrent l'Égypte et en novembre 1164, Amaury fut de retour dans son royaume.
Ainsi, à l'issue de cette seconde expédition, le grand vainqueur est Sawar qui a réussi à reconquérir son poste de vizir et à chasser d'Egypte les deux protagonistes qui menaçaient son pouvoir, l'émir turc Šīrkūh et le roi Amaury.
LA DEUXIEME EXPÉDITION DU ROI AMAURY EN EGYPTE (1164)
Amaury qui espérait s'emparer de l'Egypte accepta l'offre de Sawar ( voir article précédent ) , l'armée franque partie début juillet 1164, arrive à Peluse au début du mois d'août 1164. A cette nouvelle, Šīrkūh sentant sa position à Fostat peu sûre (site originel du Caire) décide de rejoindre son neveu Saladin avec toute son armée à Bilbeis
C'est alors que se produisit le second siège de Bilbeis, Amaury et l'armée chrétienne encerclent la ville où se trouve Šīrkūh, Saladin et le corps expéditionnaire turc. Le siège dura trois mois jusque octobre 1164. A cette date, Amaury offrit de faire la paix avec Šīrkūh, la clause principale était que les deux armées quitteraient simultanément l'Egypte. Cet armistice fut accepté par l'émir turc.
La raison de cette proposition de paix s'explique par les graves événements qui se sont déroulés dans les Etats Francs :
. en août 1164, les armées turques se sont emparées d'HARRENC (ou Harim, principauté d'Antioche) et ont remporté la victoire contre les francs ( le prince d'Antioche et le comte de Tripoli ont été fait prisonniers)
. En octobre 1164, Nur-Ad-Din attaque le nord du royaume de Jérusalem et conquiert Baniyas (BELINAS)
Amaury a donc hâte de retrouver son royaume en proie à la menace d'une invasion imminente.
Šīrkūh commençant à manquer d'approvisionnements et n'étant pas informé des succès de Nur-Ad-Din en Syrie, accepta la proposition de paix. Les deux armées quittèrent l'Égypte et en novembre 1164, Amaury fut de retour dans son royaume.
Ainsi, à l'issue de cette seconde expédition, le grand vainqueur est Sawar qui a réussi à reconquérir son poste de vizir et à chasser d'Egypte les deux protagonistes qui menaçaient son pouvoir, l'émir turc Šīrkūh et le roi Amaury.
mercredi 15 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (108) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE. (Suite)
Je me contenterai de les rappeler ici pour mémoire afin de me cantonner à la quatrième expédition pour laquelle est spécifiée explicitement la participation de l'ordre de l'hôpital. Le récit de ces expéditions est assez facile à effectuer, elles sont en effet décrites avec beaucoup de détails par Guillaume de Tyr.
L'EXPÉDITION PRELIMINAIRE DE 1161
Une expédition préliminaire d'Amaury vers l'Egypte eut lieu en 1161 ; elle avait été en quelque sorte préparée par la prise de Gaza en 1150 et d'Ascalon en 1153. Le roi Baudouin III en 1161 avait en effet envoyé une armée conduite par son frère attaquer l'Egypte. L'armée franque longea la côte jusque Al-Arish ; devant la menace, l'Égypte fatimide négocia : elle promit un tribut annuel de 160.000 dinars contre l'arrêt de l'expédition.
Amaury, devenu roi à la mort de son frère Baudouin III, estima que la situation égyptienne était favorable à une nouvelle expédition : en effet, une série de révolutions de palais s'était produite pour la conquête du pouvoir viziral , la dernière ayant conduit à la déposition par Dirgām en septembre 1163 de Sawar, devenu vizir quelques mois plus tôt. Dirgām fit massacrer tous ses concurrents potentiels en sorte que la structure gouvernementale et militaire de l'Egypte était largement désorganisée au moment de l'offensive d'Amaury
LA PREMIERE EXPÉDITION D'AMAURY EN TANT QUE ROI EN 1163
Le non-paiement du tribut promis en 1161 fut le prétexte saisi par Amaury pour organiser cette nouvelle expédition, la première de son règne ; parti d'Ascalon et Gaza début septembre 1163, l'armée franque longea la côte, passa à Al-Arish puis Peluse puis s'engagea par la route longeant le bras pelusique du Nil vers Bilbeis, la dernière ville fortifiée sur la route du Caire : s'emparer de Bilbeis était donc s'ouvrir le chemin d'accès vers le Caire.
" le Vizir qui se nommait Dargan (Dirgām) (1) marcha à sa rencontre avec une innombrable multitude de combattants, et ne craignit pas de livrer bataille au Roi dans les déserts voisins des frontières de l'Egypte. Cependant, ne pouvant soutenir le choc des nôtres, il perdit beaucoup de monde sur le champ de bataille et quelques prisonniers, et prenant alors la fuite, il fut contraint de se retirer avec ce qui lui restait de troupes, et s'enferma dans une ville voisine, appelée Bilbéis chez les Égyptiens"
Amaury décida d'assiéger Bilbeis afin de s'emparer de cette ville et d'en faire une base de départ vers Le Caire mais les égyptiens décidèrent de rompre les digues du Nil afin d'inonder le pays. Amaury n'eut alors d'autre choix que de lever le siège de Bilbeis et à prendre le chemin du retour. A l'automne 1163, l'armée franque était de retour dans le royaume.
LES ÉVÉNEMENTS D'EGYPTE
Entre la première expédition d'Amaury en tant que roi de 1163 et la deuxième de 1164, se déroule une compétition acharnée entre l'ancien Vizir, Sawar et le nouveau Dirgām, Sawar se réfugie à la cour de Damas, demande secours à Nur-Ed-Din, promet de lui livrer un tiers des ressources de l'Égypte ainsi que la partie Nord-est du delta du Nil et de lui rembourser ses frais de campagne pour prix de son aide. Nur-Ad-Din qui vient de subir une grande défaite au pied du Krack des chevaliers en mai 1163, n'est guère enclin à envoyer une expédition en Égypte, pourtant il se laisse convaincre et envoie un corps expéditionnaire en Égypte sous la conduite de l'émir Šīrkūh.
Dirgām se sentant perdu " adressa au seigneur roi de Jérusalem des députés porteurs de paroles de paix, et le supplia... de lui prêter secours contre les ennemis dont il était menacé. Il offrit de payer un tribut, non seulement tel que celui dont il était convenu antérieurement avec le seigneur roi Baudouin, mais même beaucoup plus considérable, laissant au Roi la faculté d'en fixer le montant, promettant en outre une soumission éternelle, dont les conditions seraient déterminées par un traité d'alliance "
Sawar et le corps expéditionnaire turc arrive le 1er mai 1164 au pied du Caire. Apres trois semaines de siège, la ville est conquise par Šīrkūh, Sawar est rétabli par le calife Al-Adil dans sa dignité de vizir. Comme il en était convenu, Šīrkūh demande au Vizir d'honorer les promesses faites à Damas et, en attendant, envoie son neveu Saladin s'emparer de Bilbeis qui lui avait été dévolu par le traité de Damas et percevoir les impôts au nom de Nur-Ad-Din
" Savar craignit bientôt d'avoir aggravé sa condition..., en introduisant un tel hôte dans le pays, et redoutant de le trouver semblable à la souris enfermée dans l'armoire, ou au serpent réchauffé dans le sein... [et] se hâta d'expédier des députés en Syrie, auprès du seigneur roi de Jérusalem, et les chargea de lui porter des paroles de paix, d'exécuter sans le moindre retard les conventions qui avaient été arrêtées antérieurement entre le seigneur Roi et Dargan, et même, s'il était nécessaire, d'offrir encore déplus grands avantages " il offrit une contribution de mille dinars par jours de campagne ainsi que le fourrage.
À suivre..
1- Selon M Elisseeiff dans son livre sur Nur-Al-Din, L’armée fatimide était commandée non par le Vizir mais par son frere Nāṣir ad-Dīn Fāris al-Muslimīn
Je me contenterai de les rappeler ici pour mémoire afin de me cantonner à la quatrième expédition pour laquelle est spécifiée explicitement la participation de l'ordre de l'hôpital. Le récit de ces expéditions est assez facile à effectuer, elles sont en effet décrites avec beaucoup de détails par Guillaume de Tyr.
L'EXPÉDITION PRELIMINAIRE DE 1161
Une expédition préliminaire d'Amaury vers l'Egypte eut lieu en 1161 ; elle avait été en quelque sorte préparée par la prise de Gaza en 1150 et d'Ascalon en 1153. Le roi Baudouin III en 1161 avait en effet envoyé une armée conduite par son frère attaquer l'Egypte. L'armée franque longea la côte jusque Al-Arish ; devant la menace, l'Égypte fatimide négocia : elle promit un tribut annuel de 160.000 dinars contre l'arrêt de l'expédition.
Amaury, devenu roi à la mort de son frère Baudouin III, estima que la situation égyptienne était favorable à une nouvelle expédition : en effet, une série de révolutions de palais s'était produite pour la conquête du pouvoir viziral , la dernière ayant conduit à la déposition par Dirgām en septembre 1163 de Sawar, devenu vizir quelques mois plus tôt. Dirgām fit massacrer tous ses concurrents potentiels en sorte que la structure gouvernementale et militaire de l'Egypte était largement désorganisée au moment de l'offensive d'Amaury
LA PREMIERE EXPÉDITION D'AMAURY EN TANT QUE ROI EN 1163
Le non-paiement du tribut promis en 1161 fut le prétexte saisi par Amaury pour organiser cette nouvelle expédition, la première de son règne ; parti d'Ascalon et Gaza début septembre 1163, l'armée franque longea la côte, passa à Al-Arish puis Peluse puis s'engagea par la route longeant le bras pelusique du Nil vers Bilbeis, la dernière ville fortifiée sur la route du Caire : s'emparer de Bilbeis était donc s'ouvrir le chemin d'accès vers le Caire.
" le Vizir qui se nommait Dargan (Dirgām) (1) marcha à sa rencontre avec une innombrable multitude de combattants, et ne craignit pas de livrer bataille au Roi dans les déserts voisins des frontières de l'Egypte. Cependant, ne pouvant soutenir le choc des nôtres, il perdit beaucoup de monde sur le champ de bataille et quelques prisonniers, et prenant alors la fuite, il fut contraint de se retirer avec ce qui lui restait de troupes, et s'enferma dans une ville voisine, appelée Bilbéis chez les Égyptiens"
Amaury décida d'assiéger Bilbeis afin de s'emparer de cette ville et d'en faire une base de départ vers Le Caire mais les égyptiens décidèrent de rompre les digues du Nil afin d'inonder le pays. Amaury n'eut alors d'autre choix que de lever le siège de Bilbeis et à prendre le chemin du retour. A l'automne 1163, l'armée franque était de retour dans le royaume.
LES ÉVÉNEMENTS D'EGYPTE
Entre la première expédition d'Amaury en tant que roi de 1163 et la deuxième de 1164, se déroule une compétition acharnée entre l'ancien Vizir, Sawar et le nouveau Dirgām, Sawar se réfugie à la cour de Damas, demande secours à Nur-Ed-Din, promet de lui livrer un tiers des ressources de l'Égypte ainsi que la partie Nord-est du delta du Nil et de lui rembourser ses frais de campagne pour prix de son aide. Nur-Ad-Din qui vient de subir une grande défaite au pied du Krack des chevaliers en mai 1163, n'est guère enclin à envoyer une expédition en Égypte, pourtant il se laisse convaincre et envoie un corps expéditionnaire en Égypte sous la conduite de l'émir Šīrkūh.
Dirgām se sentant perdu " adressa au seigneur roi de Jérusalem des députés porteurs de paroles de paix, et le supplia... de lui prêter secours contre les ennemis dont il était menacé. Il offrit de payer un tribut, non seulement tel que celui dont il était convenu antérieurement avec le seigneur roi Baudouin, mais même beaucoup plus considérable, laissant au Roi la faculté d'en fixer le montant, promettant en outre une soumission éternelle, dont les conditions seraient déterminées par un traité d'alliance "
Sawar et le corps expéditionnaire turc arrive le 1er mai 1164 au pied du Caire. Apres trois semaines de siège, la ville est conquise par Šīrkūh, Sawar est rétabli par le calife Al-Adil dans sa dignité de vizir. Comme il en était convenu, Šīrkūh demande au Vizir d'honorer les promesses faites à Damas et, en attendant, envoie son neveu Saladin s'emparer de Bilbeis qui lui avait été dévolu par le traité de Damas et percevoir les impôts au nom de Nur-Ad-Din
" Savar craignit bientôt d'avoir aggravé sa condition..., en introduisant un tel hôte dans le pays, et redoutant de le trouver semblable à la souris enfermée dans l'armoire, ou au serpent réchauffé dans le sein... [et] se hâta d'expédier des députés en Syrie, auprès du seigneur roi de Jérusalem, et les chargea de lui porter des paroles de paix, d'exécuter sans le moindre retard les conventions qui avaient été arrêtées antérieurement entre le seigneur Roi et Dargan, et même, s'il était nécessaire, d'offrir encore déplus grands avantages " il offrit une contribution de mille dinars par jours de campagne ainsi que le fourrage.
À suivre..
1- Selon M Elisseeiff dans son livre sur Nur-Al-Din, L’armée fatimide était commandée non par le Vizir mais par son frere Nāṣir ad-Dīn Fāris al-Muslimīn
lundi 13 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (107) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE.
A l'avènement du roi Amaury en 1163, la situation du Proche-Orient musulman s'était considérablement modifiée à deux points de vue :
. Au nord-est des Etats francs s'était constituée une puissance redoutable pour les chrétiens avec l'union des émirats d'Alep et de Damas en 1154 sous la domination de l'atabeg Nur-Al-Din. Cette puissance menaçait directement la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli ainsi que la Galilée.
. Au sud par contre, le califat fatimide du Caire s'était considérablement affaibli : le calife était un enfant et la cour califale voyait se dérouler une lutte féroce entre les postulants au titre de Vizir (celui qui dirige effectivement l'Egypte).
Entre ces deux puissances, le roi s'estimait pris en étau : s'il se produisait une attaque coordonnée des turcs de Damas-Alep et des Fatimides d'Egypte, le roi de Jérusalem n'aurait pas les moyens de lutter sur deux fronts, il lui fallait donc abattre un de ces deux ennemis pour empêcher toute alliance entre eux. Le choix du roi se porta sur l'Égypte qui semblait plus facile à vaincre vues ses divisions intestines.
Considéré après coup, ce choix fut une grave erreur à trois points de vue au moins :
. Une alliance offensive entre l'Égypte et les émirs turcs était inenvisageable à cette époque : d'abord parce qu'il existait une animosité profonde entre les turcs sunnites et les Fatimides chi'ites, ensuite et surtout par le fait que l'Égypte de l'époque, empêtrée dans ses querelles internes, n'avait pas les moyens de participer à une offensive contre les francs.
. A cette époque, l'Egypte fatimide n'était guère dangereuse pour les chrétiens, par contre l'union de Damas et Alep sous l'égide du même souverain l'était beaucoup plus, c'est contre Nur-Al-Din qu'il aurait fallu lutter en priorité.
. L'attaque de l'Egypte présentait de grands risques stratégiques : si l'armée franque se trouvait en Égypte, Nur-al-Din aurait les coudées franches face aux Etats francs septentrionaux et en particulier face à la principauté d'Antioche. C'est ce qui se produisit, entre 1164 et 1167, l'atabeg lance plusieurs offensives pendant les expéditions d'Amaury en Égypte, s'empare d'Harrenc, fait perdre à la principauté d'Antioche tout l'Outre-Oronte, prend Banyas en Galilée et obtient le partage du territoire de Tibériade jusqu'alors aux mains des francs.
. Enfin, même si turcs et Fatimides se détestent, la solidarité entre musulmans conduisit l'Egypte à demander secours à Nur-Ad-Din qui envoya un corps expéditionnaire en Égypte. Cela amena l'installation durable des turcs en Égypte. En ce sens, les expéditions en Égypte eurent les mêmes effet que l'attaque de Damas par la seconde croisade : la seconde croisade amena à l'unification de Damas et Alep sous l'égide de Nur-Al-Din, les expéditions d'Égypte aboutirent à l'unification des Etats de Damas, Alep et de l'Egypte sous la souveraineté de Saladin.
Ces risques sont exprimés par les historiens mais qu'en était-il des contemporains de l'événement ? Quels sont les facteurs qui influencèrent le roi de Jérusalem ? Il suffit de lire Guillaume de Tyr pour les trouver :
. le premier facteur est le jeu dangereux du vizir de l'époque appelé Savar par Guillaume de Tyr avec des volte-face fréquentes entre Amaury et Nur-Ad-Din, recherchant l'appui de l'un contre l'autre et changeant d'allié selon les circonstances.
. Cependant, pour moi, la principale motivation est l'appât du gain : l'Égypte est riche et le roi pourra lever dans ce pays des tributs exorbitants soit pour prix de son aide à Savar, soit comme indemnités imposés par le vainqueur. Si on consulte Guillaume de Tyr, on constate que les questions d'argent vont dominer ces campagnes. En extrapolant, on peut supposer que grâce à cette manne financière, le roi pense pouvoir créer une grande armée capable de se retourner efficacement contre Nur-Al-Din.
. Pour les croisés, il existe aussi un autre appât : il sera possible de se partager l'Égypte afin de permettre aux seigneurs présents de se constituer des fiefs pourvus d'importants revenus (ce fait est en particulier attesté pour les Hospitaliers) : ainsi, à ce niveau, l'histoire se répète : comme pour la principauté de Damas, on se partage les terres d'Egypte avant même qu'elles ne soient conquises !
. Enfin, on peut mentionner une motivation qui servira de prétexte et d'alibi, la protection des chrétiens coptes d'Egypte.
A l'avènement du roi Amaury en 1163, la situation du Proche-Orient musulman s'était considérablement modifiée à deux points de vue :
. Au nord-est des Etats francs s'était constituée une puissance redoutable pour les chrétiens avec l'union des émirats d'Alep et de Damas en 1154 sous la domination de l'atabeg Nur-Al-Din. Cette puissance menaçait directement la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli ainsi que la Galilée.
. Au sud par contre, le califat fatimide du Caire s'était considérablement affaibli : le calife était un enfant et la cour califale voyait se dérouler une lutte féroce entre les postulants au titre de Vizir (celui qui dirige effectivement l'Egypte).
Entre ces deux puissances, le roi s'estimait pris en étau : s'il se produisait une attaque coordonnée des turcs de Damas-Alep et des Fatimides d'Egypte, le roi de Jérusalem n'aurait pas les moyens de lutter sur deux fronts, il lui fallait donc abattre un de ces deux ennemis pour empêcher toute alliance entre eux. Le choix du roi se porta sur l'Égypte qui semblait plus facile à vaincre vues ses divisions intestines.
Considéré après coup, ce choix fut une grave erreur à trois points de vue au moins :
. Une alliance offensive entre l'Égypte et les émirs turcs était inenvisageable à cette époque : d'abord parce qu'il existait une animosité profonde entre les turcs sunnites et les Fatimides chi'ites, ensuite et surtout par le fait que l'Égypte de l'époque, empêtrée dans ses querelles internes, n'avait pas les moyens de participer à une offensive contre les francs.
. A cette époque, l'Egypte fatimide n'était guère dangereuse pour les chrétiens, par contre l'union de Damas et Alep sous l'égide du même souverain l'était beaucoup plus, c'est contre Nur-Al-Din qu'il aurait fallu lutter en priorité.
. L'attaque de l'Egypte présentait de grands risques stratégiques : si l'armée franque se trouvait en Égypte, Nur-al-Din aurait les coudées franches face aux Etats francs septentrionaux et en particulier face à la principauté d'Antioche. C'est ce qui se produisit, entre 1164 et 1167, l'atabeg lance plusieurs offensives pendant les expéditions d'Amaury en Égypte, s'empare d'Harrenc, fait perdre à la principauté d'Antioche tout l'Outre-Oronte, prend Banyas en Galilée et obtient le partage du territoire de Tibériade jusqu'alors aux mains des francs.
. Enfin, même si turcs et Fatimides se détestent, la solidarité entre musulmans conduisit l'Egypte à demander secours à Nur-Ad-Din qui envoya un corps expéditionnaire en Égypte. Cela amena l'installation durable des turcs en Égypte. En ce sens, les expéditions en Égypte eurent les mêmes effet que l'attaque de Damas par la seconde croisade : la seconde croisade amena à l'unification de Damas et Alep sous l'égide de Nur-Al-Din, les expéditions d'Égypte aboutirent à l'unification des Etats de Damas, Alep et de l'Egypte sous la souveraineté de Saladin.
Ces risques sont exprimés par les historiens mais qu'en était-il des contemporains de l'événement ? Quels sont les facteurs qui influencèrent le roi de Jérusalem ? Il suffit de lire Guillaume de Tyr pour les trouver :
. le premier facteur est le jeu dangereux du vizir de l'époque appelé Savar par Guillaume de Tyr avec des volte-face fréquentes entre Amaury et Nur-Ad-Din, recherchant l'appui de l'un contre l'autre et changeant d'allié selon les circonstances.
. Cependant, pour moi, la principale motivation est l'appât du gain : l'Égypte est riche et le roi pourra lever dans ce pays des tributs exorbitants soit pour prix de son aide à Savar, soit comme indemnités imposés par le vainqueur. Si on consulte Guillaume de Tyr, on constate que les questions d'argent vont dominer ces campagnes. En extrapolant, on peut supposer que grâce à cette manne financière, le roi pense pouvoir créer une grande armée capable de se retourner efficacement contre Nur-Al-Din.
. Pour les croisés, il existe aussi un autre appât : il sera possible de se partager l'Égypte afin de permettre aux seigneurs présents de se constituer des fiefs pourvus d'importants revenus (ce fait est en particulier attesté pour les Hospitaliers) : ainsi, à ce niveau, l'histoire se répète : comme pour la principauté de Damas, on se partage les terres d'Egypte avant même qu'elles ne soient conquises !
. Enfin, on peut mentionner une motivation qui servira de prétexte et d'alibi, la protection des chrétiens coptes d'Egypte.
dimanche 12 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (106) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LES HOSPITALIERS DANS LA DEFENSE DU ROYAUME
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON (suite)
LE RECIT DE BERNARD LE TRÉSORIER
" Un des fils de Saladin qui était nouvellement à Damas.... manda au comte de Tripoli que le lendemain il le laissât entrer aux terres des Chrétiens en passant sur sa terre [ la Galilée] pour faire une course ( un raid) .
Quand le comte ouït ceci, il fut très-fort dolent, et pensa que, s'il refusait le fils de Saladin, il avait à craindre de perdre l'aide et le conseil de son père, et que s'il lui octroyait sa demande, il en aurait grande honte et grand blâme parmi la chrétienté; mais après il pensa qu'il en garantirait si bien les Chrétiens qu'ils n'y perdraient rien, et que le fils de Saladin ne lui en saurait mauvais gré. Alors il manda au fils de Saladin qu['il lui donnait l'autorisation] de passer à travers sa terre et d'entrer au pays des Chrétiens, à condition qu'il passerait le fleuve au soleil levant et le repasserait avant le soleil couchant, et que pendant ce temps à ceux qui seraient [dans les] villes et [les] maisons, rien ne prendraient et ne feraient aucun dommage. Ainsi le promit le fils de Saladin;
Ce premier extrait est la suite logique des événements qui se sont déroulés auparavant : au nom de leur trêve devenue une quasi-alliance, les turcs demandent à Raymond III l'autorisation de faire une incursion en Galilée pour effectuer un raid d'attaque et de pillage. Raymond III accepte la demande à la condition que l'armée turque ne pille ni les villages ni les maisons de Galilée et se contente de razzier la campagne.
On peut s'étonner de cet accord qui constitue une véritable trahison, certes il était fréquent que des trêves et des alliances existent entre les princes chrétiens et les princes turcs ; loin de se livrer continuellement à la croisade pour les uns et au djihâd pour les autres, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est généralement pacifique avec de courtes périodes de guerre et de longues périodes de trêves. Mais en ce qui concerne l'anecdote ci-dessous et, si on en croit Bernard le Trésorier, on est passé à une autre dimension : un prince chrétien, pour se venger d'un autre prince chrétien, accepte que l'armée turque vienne piller les campagnes chrétiennes ! Raymond III manifeste certes une hésitation mais ce n'est pas celle du croisé, c'est la peur du blâme que sa trahison de la cause chrétienne pourrait lui occasionner
" le lendemain de grand matin [le fils de Saladin] passa le fleuve, vint par devant Tibériade et entra aux terres des Chrétiens. Le comte de Tripoli fit fermer les portes de Tibériade afin que ceux qui étaient dedans ne sortissent pas, de peur qu'il ne leur arrivât dommage... et partout où il savait que les Turcs devaient aller il manda que personne ne sortît ni des villes ni des maisons, car ... ceux qui se tiendraient cois n'auraient rien à craindre, mais s'ils sortaient dans les champs, on les prendrait et on les tuerait tous; puis il envoya au château de Saphet où étaient les chevaliers du roi pour leur mander qu'ils ne se missent pas en route le lendemain."
Ce deuxième extrait montre que Raymond III applique les clauses de l'accord : il laisse entrer l'armée turque et enjoint aux habitants des villes et des villages de ne pas sortir en les prévenant que s'ils désobéissaient, ce serait à leurs risques et périls ; il prévient aussi les Templiers de Safed et de Caco de rester dans leur forteresses. Il va de soi que les templiers ne pouvaient l'accepter ni au nom de leur engagement monastique ni en tant que partisan du roi Guy.
" Quand le maître du Temple sut que les Sarrasins devaient entrer le lendemain dans le pays, il envoya son courrier à un couvent du Temple qui était à quatre milles de là, dans une ville nommée Caco leur manda que, sitôt qu'ils verraient cette lettre, ils montassent à cheval et vinssent à lui, car le lendemain matin les Sarrasins devaient entrer dans le pays.
Sitôt que le couvent eut reçu l'ordre du maître, ils montèrent à cheval vinrent à lui .... puis le lendemain matin se mirent en marche et allèrent à Nazareth. Les chevaliers de la garnison de Saphet étaient quatre-vingt-dix, tant du Temple que de l'Hôpital; ils prirent à Nazareth quarante chevaliers qui y étaient en garnison pour le roi; ils partirent de Nazareth, et firent... sept milles vers Tibériade, et trouvèrent les Sarrasins à une fontaine qui a nom la fontaine du Cresson [près de Saphorie] , car ils étaient déjà retournés jusqu'au pont pour repasser le fleuve et rentrer dans leur pays
Ce troisième extrait témoigne que le maître des templiers Gerard de Ridefort, était resté Galilée après la réunion qui avait tenté de réconcilier le comte de Tripoli et le roi de Jérusalem. Ne pouvant accepter ce qu'il considérait comme une traîtrise, Il rassembla à la hâte 90 chevaliers " tant du Temple que de l'Hôpital " auxquels s'adjoignent 40 chevaliers de Nazareth ayant prêté allégeance au roi Gui de Lusignan.
La présence d'Hospitaliers en tant que chevaliers combattant est donc ici clairement mentionnée. A la tête des hospitaliers se trouve le maître de l'ordre Roger des Moulins comme il est spécifié ensuite. A ces 130 chevaliers s'ajoutait la présence de sergents et d'écuyers à leur service.
Comme on peut le lire ci-dessous, les chrétiens furent défaits ; les têtes des morts furent mises sur les piques et les prisonniers emmenés en captivité.
"Là fut tué le maître de l'Hôpital [Roger des Moulins] et aussi tous les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, hors seulement le maître du Temple [ Gérard de Ridefort] qui s'en échappa et les quarante chevaliers qui étaient en garnison pour le roi à Nazareth furent tous tués. Quand les écuyers du Temple et de l'Hôpital virent que leurs maîtres étaient aux mains avec les Sarrasins, ils se mirent en fuite avec tout le bagage"
Quand le fils de Saladin eut occis et déconfit nos Chrétiens à l'aide de ses Turcs, il mit les têtes des chevaliers du Temple et de l'Hôpital et les fit attacher sur les fers des lances des Turcs. Ils emmenèrent les prisonniers liés, et passèrent de cette manière devant Tibériade. Quand ceux de Tibériade virent que les Chrétiens avaient été déconfits, et que les Turcs en emportaient les têtes sur leurs lances et emmenaient les autres pris et liés honteusement, ils eurent une très-grande douleur. Ainsi le fils de Saladin passa le fleuve au soleil levant, et le repassa au soleil couchant. Il tint bien au comte de Tripoli ses conventions, car il ne fit, ni en château, ni en maison, ni en ville, aucun dommage, mais seulement à ceux qu'il trouva aux champs."
Cette bataille fut un vendredi, l'an de l'incarnation de notre Seigneur 1190, le jour de la fête de saint Jacques et saint Philippe, le premier jour de mai"
Ce texte est, selon moi, intéressant à trois points de vue :
. Il montre bien que la force principale des États francs est celle des ordres de chevaliers, dès qu'il se produit une attaque, ils sont capables de se mobiliser et d'agir rapidement.
. Il montre aussi que les ordres du Temple et de l'Hôpital agissent à leur guise comme s'ils étaient un État dans l'Etat, prenant les décisions eux-mêmes sans tenir compte de l'avis des princes laïcs.
. Il établit clairement la présence de chevaliers hospitaliers combattant.
Pourtant il convient de relativiser ces renseignements car ce texte possède de nombreuses erreurs et invraisemblances que l'on peut constater à la lecture du récit de la bataille de la fontaine de Cresson effectué par Jacques de Vitry. (1)
. Il se pose d'abord la date de cette bataille : 1190 pour Bernard le trésorier, 1er mai 1187 pour Jacques de Vitry. Cette dernière date doit être retenue car dans le texte de Jacques de Vitry la chronologie est donnée.
. De même, les deux textes divergent au niveau du nom du prince turc initiateur de l'attaque : le fils de Saladin, Al-Afdal, pour Bernard le Trésorier, Saladin lui-même pour Jacques de Vitry. Les deux sont possibles puisque Al-Afdal était effectivement à Damas depuis août 1186, cependant, n'étant âgé que de 18 ans, il ne pouvait être qu'un lieutenant de son père. Jacques de Vitry indique que Saladin "envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli", c'est peut être cette avant-garde que commandait Al-Afdal.
. Une autre invraisemblance du texte de Bernard le Trésorier est l'indication que ce raid ne dura qu'une seule journée : Jacques de Vitry indique que ce raid alla jusque la banlieue d'Acre à 47 km de Tibériade : les cavaliers turcs aurait donc effectué presque 100 km et livré bataille en une seule journée !
En ce qui concerne la participation à la guerre des chevaliers hospitaliers, la lecture des deux chroniques donne une impression différente :
. pour Bernard le Trésorier les chevaliers qui partirent de Saphet étaient quatre-vingt-dix, "tant du Temple que de l'Hôpital", ce qui suggère un partage égal de chevaliers entre les deux ordres.
. Jacques de Vitry est beaucoup plus précis " le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir," : cette phrase permet d'imaginer que les templiers de Saphet rencontrèrent sur leur chemin Roger des Moulins accompagné de 10 frères chevaliers et l'amenèrent au combat.
La disparité entre les deux textes est frappante : on a l'impression dans le texte de Bernard le Trésorier les Templiers et les Hospitaliers combattent à part égale avec les templiers, tandis que la chronique de Jacques de Vitry semble affirmer que les Templiers allaient seuls au combat et qu'ils rencontrèrent presque par inadvertance quelques chevaliers Hospitaliers formant escorte au maître et leur proposèrent de se joindre à eux pour repousser l'envahisseur.
Pour ma part, je serais enclin à suivre Jacques de Vitry et à penser que, dans ce cas comme dans le cas de Paneade, le rôle des frères chevaliers doit être largement minimisé et que les forces engagées par l'hôpital lors des guerres proviennent surtout de chevaliers et fantassins stipendiés.
(1) voici le texte de Jacques de Vitry
En conséquence, prenant son principal prétexte de ce que le seigneur de Mont-Réal et de toute la terre située au-delà du Jourdain avait rompu la trêve qui nous liait avec les Sarrasins du voisinage, en leur enlevant un riche butin, il leva une multitude de combattants, cavaliers aussi bien qu'hommes de pied, dans toutes les contrées soumises à son pouvoir, en Egypte, en Arabie, à Damas, à Alep et en Mésopotamie. On dit qu'il rassembla et conduisit à sa suite cinquante mille hommes de cavalerie, sans parler des fantassins. Il envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli (lequel était en trêve avec les Sarrasins), c'est-à-dire les pays de Tibériade et de Nazareth, et se rendirent jusque vers la banlieue de la ville d'Accon, afin de provoquer les nôtres, selon leur usage, dans l'espoir que ceux-ci se lanceraient imprudemment et en désordre à leur poursuite, et pourraient ainsi être mis à mort, ou faits prisonniers. Cette funeste combinaison des impies ne manqua pas en effet de se réaliser. Le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir, furent enveloppés par les ennemis auprès du casal de Robert. Quoiqu'ils n'eussent à leur suite que cent vingt chevaliers, ils résistèrent vigoureusement aux dix mille Sarrasins, leur tuèrent beaucoup de monde, mais furent enfin eux-mêmes presque tous tués ou faits prisonniers. Le maître du Temple s'échappa avec un petit nombre d'hommes; le maître de l'Hôpital périt; et ce fut le premier du mois de mai que les ennemis remportèrent sur les nôtres cette sanglante victoire.
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON (suite)
LE RECIT DE BERNARD LE TRÉSORIER
" Un des fils de Saladin qui était nouvellement à Damas.... manda au comte de Tripoli que le lendemain il le laissât entrer aux terres des Chrétiens en passant sur sa terre [ la Galilée] pour faire une course ( un raid) .
Quand le comte ouït ceci, il fut très-fort dolent, et pensa que, s'il refusait le fils de Saladin, il avait à craindre de perdre l'aide et le conseil de son père, et que s'il lui octroyait sa demande, il en aurait grande honte et grand blâme parmi la chrétienté; mais après il pensa qu'il en garantirait si bien les Chrétiens qu'ils n'y perdraient rien, et que le fils de Saladin ne lui en saurait mauvais gré. Alors il manda au fils de Saladin qu['il lui donnait l'autorisation] de passer à travers sa terre et d'entrer au pays des Chrétiens, à condition qu'il passerait le fleuve au soleil levant et le repasserait avant le soleil couchant, et que pendant ce temps à ceux qui seraient [dans les] villes et [les] maisons, rien ne prendraient et ne feraient aucun dommage. Ainsi le promit le fils de Saladin;
Ce premier extrait est la suite logique des événements qui se sont déroulés auparavant : au nom de leur trêve devenue une quasi-alliance, les turcs demandent à Raymond III l'autorisation de faire une incursion en Galilée pour effectuer un raid d'attaque et de pillage. Raymond III accepte la demande à la condition que l'armée turque ne pille ni les villages ni les maisons de Galilée et se contente de razzier la campagne.
On peut s'étonner de cet accord qui constitue une véritable trahison, certes il était fréquent que des trêves et des alliances existent entre les princes chrétiens et les princes turcs ; loin de se livrer continuellement à la croisade pour les uns et au djihâd pour les autres, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est généralement pacifique avec de courtes périodes de guerre et de longues périodes de trêves. Mais en ce qui concerne l'anecdote ci-dessous et, si on en croit Bernard le Trésorier, on est passé à une autre dimension : un prince chrétien, pour se venger d'un autre prince chrétien, accepte que l'armée turque vienne piller les campagnes chrétiennes ! Raymond III manifeste certes une hésitation mais ce n'est pas celle du croisé, c'est la peur du blâme que sa trahison de la cause chrétienne pourrait lui occasionner
" le lendemain de grand matin [le fils de Saladin] passa le fleuve, vint par devant Tibériade et entra aux terres des Chrétiens. Le comte de Tripoli fit fermer les portes de Tibériade afin que ceux qui étaient dedans ne sortissent pas, de peur qu'il ne leur arrivât dommage... et partout où il savait que les Turcs devaient aller il manda que personne ne sortît ni des villes ni des maisons, car ... ceux qui se tiendraient cois n'auraient rien à craindre, mais s'ils sortaient dans les champs, on les prendrait et on les tuerait tous; puis il envoya au château de Saphet où étaient les chevaliers du roi pour leur mander qu'ils ne se missent pas en route le lendemain."
Ce deuxième extrait montre que Raymond III applique les clauses de l'accord : il laisse entrer l'armée turque et enjoint aux habitants des villes et des villages de ne pas sortir en les prévenant que s'ils désobéissaient, ce serait à leurs risques et périls ; il prévient aussi les Templiers de Safed et de Caco de rester dans leur forteresses. Il va de soi que les templiers ne pouvaient l'accepter ni au nom de leur engagement monastique ni en tant que partisan du roi Guy.
" Quand le maître du Temple sut que les Sarrasins devaient entrer le lendemain dans le pays, il envoya son courrier à un couvent du Temple qui était à quatre milles de là, dans une ville nommée Caco leur manda que, sitôt qu'ils verraient cette lettre, ils montassent à cheval et vinssent à lui, car le lendemain matin les Sarrasins devaient entrer dans le pays.
Sitôt que le couvent eut reçu l'ordre du maître, ils montèrent à cheval vinrent à lui .... puis le lendemain matin se mirent en marche et allèrent à Nazareth. Les chevaliers de la garnison de Saphet étaient quatre-vingt-dix, tant du Temple que de l'Hôpital; ils prirent à Nazareth quarante chevaliers qui y étaient en garnison pour le roi; ils partirent de Nazareth, et firent... sept milles vers Tibériade, et trouvèrent les Sarrasins à une fontaine qui a nom la fontaine du Cresson [près de Saphorie] , car ils étaient déjà retournés jusqu'au pont pour repasser le fleuve et rentrer dans leur pays
Ce troisième extrait témoigne que le maître des templiers Gerard de Ridefort, était resté Galilée après la réunion qui avait tenté de réconcilier le comte de Tripoli et le roi de Jérusalem. Ne pouvant accepter ce qu'il considérait comme une traîtrise, Il rassembla à la hâte 90 chevaliers " tant du Temple que de l'Hôpital " auxquels s'adjoignent 40 chevaliers de Nazareth ayant prêté allégeance au roi Gui de Lusignan.
La présence d'Hospitaliers en tant que chevaliers combattant est donc ici clairement mentionnée. A la tête des hospitaliers se trouve le maître de l'ordre Roger des Moulins comme il est spécifié ensuite. A ces 130 chevaliers s'ajoutait la présence de sergents et d'écuyers à leur service.
Comme on peut le lire ci-dessous, les chrétiens furent défaits ; les têtes des morts furent mises sur les piques et les prisonniers emmenés en captivité.
"Là fut tué le maître de l'Hôpital [Roger des Moulins] et aussi tous les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, hors seulement le maître du Temple [ Gérard de Ridefort] qui s'en échappa et les quarante chevaliers qui étaient en garnison pour le roi à Nazareth furent tous tués. Quand les écuyers du Temple et de l'Hôpital virent que leurs maîtres étaient aux mains avec les Sarrasins, ils se mirent en fuite avec tout le bagage"
Quand le fils de Saladin eut occis et déconfit nos Chrétiens à l'aide de ses Turcs, il mit les têtes des chevaliers du Temple et de l'Hôpital et les fit attacher sur les fers des lances des Turcs. Ils emmenèrent les prisonniers liés, et passèrent de cette manière devant Tibériade. Quand ceux de Tibériade virent que les Chrétiens avaient été déconfits, et que les Turcs en emportaient les têtes sur leurs lances et emmenaient les autres pris et liés honteusement, ils eurent une très-grande douleur. Ainsi le fils de Saladin passa le fleuve au soleil levant, et le repassa au soleil couchant. Il tint bien au comte de Tripoli ses conventions, car il ne fit, ni en château, ni en maison, ni en ville, aucun dommage, mais seulement à ceux qu'il trouva aux champs."
Cette bataille fut un vendredi, l'an de l'incarnation de notre Seigneur 1190, le jour de la fête de saint Jacques et saint Philippe, le premier jour de mai"
Ce texte est, selon moi, intéressant à trois points de vue :
. Il montre bien que la force principale des États francs est celle des ordres de chevaliers, dès qu'il se produit une attaque, ils sont capables de se mobiliser et d'agir rapidement.
. Il montre aussi que les ordres du Temple et de l'Hôpital agissent à leur guise comme s'ils étaient un État dans l'Etat, prenant les décisions eux-mêmes sans tenir compte de l'avis des princes laïcs.
. Il établit clairement la présence de chevaliers hospitaliers combattant.
Pourtant il convient de relativiser ces renseignements car ce texte possède de nombreuses erreurs et invraisemblances que l'on peut constater à la lecture du récit de la bataille de la fontaine de Cresson effectué par Jacques de Vitry. (1)
. Il se pose d'abord la date de cette bataille : 1190 pour Bernard le trésorier, 1er mai 1187 pour Jacques de Vitry. Cette dernière date doit être retenue car dans le texte de Jacques de Vitry la chronologie est donnée.
. De même, les deux textes divergent au niveau du nom du prince turc initiateur de l'attaque : le fils de Saladin, Al-Afdal, pour Bernard le Trésorier, Saladin lui-même pour Jacques de Vitry. Les deux sont possibles puisque Al-Afdal était effectivement à Damas depuis août 1186, cependant, n'étant âgé que de 18 ans, il ne pouvait être qu'un lieutenant de son père. Jacques de Vitry indique que Saladin "envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli", c'est peut être cette avant-garde que commandait Al-Afdal.
. Une autre invraisemblance du texte de Bernard le Trésorier est l'indication que ce raid ne dura qu'une seule journée : Jacques de Vitry indique que ce raid alla jusque la banlieue d'Acre à 47 km de Tibériade : les cavaliers turcs aurait donc effectué presque 100 km et livré bataille en une seule journée !
En ce qui concerne la participation à la guerre des chevaliers hospitaliers, la lecture des deux chroniques donne une impression différente :
. pour Bernard le Trésorier les chevaliers qui partirent de Saphet étaient quatre-vingt-dix, "tant du Temple que de l'Hôpital", ce qui suggère un partage égal de chevaliers entre les deux ordres.
. Jacques de Vitry est beaucoup plus précis " le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir," : cette phrase permet d'imaginer que les templiers de Saphet rencontrèrent sur leur chemin Roger des Moulins accompagné de 10 frères chevaliers et l'amenèrent au combat.
La disparité entre les deux textes est frappante : on a l'impression dans le texte de Bernard le Trésorier les Templiers et les Hospitaliers combattent à part égale avec les templiers, tandis que la chronique de Jacques de Vitry semble affirmer que les Templiers allaient seuls au combat et qu'ils rencontrèrent presque par inadvertance quelques chevaliers Hospitaliers formant escorte au maître et leur proposèrent de se joindre à eux pour repousser l'envahisseur.
Pour ma part, je serais enclin à suivre Jacques de Vitry et à penser que, dans ce cas comme dans le cas de Paneade, le rôle des frères chevaliers doit être largement minimisé et que les forces engagées par l'hôpital lors des guerres proviennent surtout de chevaliers et fantassins stipendiés.
(1) voici le texte de Jacques de Vitry
En conséquence, prenant son principal prétexte de ce que le seigneur de Mont-Réal et de toute la terre située au-delà du Jourdain avait rompu la trêve qui nous liait avec les Sarrasins du voisinage, en leur enlevant un riche butin, il leva une multitude de combattants, cavaliers aussi bien qu'hommes de pied, dans toutes les contrées soumises à son pouvoir, en Egypte, en Arabie, à Damas, à Alep et en Mésopotamie. On dit qu'il rassembla et conduisit à sa suite cinquante mille hommes de cavalerie, sans parler des fantassins. Il envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli (lequel était en trêve avec les Sarrasins), c'est-à-dire les pays de Tibériade et de Nazareth, et se rendirent jusque vers la banlieue de la ville d'Accon, afin de provoquer les nôtres, selon leur usage, dans l'espoir que ceux-ci se lanceraient imprudemment et en désordre à leur poursuite, et pourraient ainsi être mis à mort, ou faits prisonniers. Cette funeste combinaison des impies ne manqua pas en effet de se réaliser. Le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir, furent enveloppés par les ennemis auprès du casal de Robert. Quoiqu'ils n'eussent à leur suite que cent vingt chevaliers, ils résistèrent vigoureusement aux dix mille Sarrasins, leur tuèrent beaucoup de monde, mais furent enfin eux-mêmes presque tous tués ou faits prisonniers. Le maître du Temple s'échappa avec un petit nombre d'hommes; le maître de l'Hôpital périt; et ce fut le premier du mois de mai que les ennemis remportèrent sur les nôtres cette sanglante victoire.
vendredi 10 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (105) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LES HOSPITALIERS DANS LA DEFENSE DU ROYAUME
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON
Elle est nommément citée dans un curieux texte de BERNARD LE TRÉSORIER (continuateur de Guillaume Tyr datant de la fin du 13eme siècle ) mais aussi par JACQUES DE VITRY ; avant de la décrire, il convient de rappeler les événements qui se sont déroulés précédemment.
RAPPEL DES EVENEMENTS CONTEMPORAINS
Le contexte historique de la bataille de la fontaine de Cresson peut être décrit au moyen du récit de Jacques de Vitry illustré par l'arbre généalogique des rois de Jérusalem
Depuis 1174, règne à Jérusalem le roi Baudouin IV atteint de la lèpre, il est sacré roi de Jérusalem alors qu'il est âgé de 13 ans ; jusqu'à ce qu'il atteigne 15 ans, le royaume est dirigé par un régent, le comte Raymond III de Tripoli.
La suite de cette histoire est décrite avec beaucoup de précision dans la chronique de Jacques de Vitry.
"Cependant le roi n'ayant pas voulu se marier, à cause de sa maladie, donna en mariage les deux sœurs qu'il avait, savoir Sibylle, l'aînée, et Isabelle, la cadette, à deux hommes de naissance illustre: Sibylle à Guillaume Longue-Épée, marquis de Montferrat; et Isabelle à Honfroi de Toron. Guillaume étant mort, et ayant laissé un fils encore enfant, qui fut nommé Baudouin, le roi donna sa veuve en mariage à un certain jeune homme du comté du Poitou, nommé Gui de Lusignan; et comme ses infirmités l'accablaient de plus en plus, il lui confia aussi toute l'administration du royaume; mais Gui, ayant encouru la colère du roi [ à cause de son incapacité], perdit son crédit et le gouvernement du pays."
Sa maladie s'allant en s'aggravant, Baudouin IV décide d'organiser sa succession afin d'écarter Gui de Lusignan :
" Le roi ayant alors convoqué les grands du royaume, fit donner l'onction royale à son neveu Baudouin, encore tout petit [âgé de cinq ans ] et remit cet enfant, ainsi que les affaires publiques... sous la tutelle du comte de Tripoli [ Raymond III ].
"Peu de temps après, le roi Baudouin le Lépreux étant entré dans la voie de toute chair, et le jeune roi Baudouin étant mort également [en 1186 ], Gui de Lusignan fut élevé au trône par l'assistance de sa femme Sibylle, à qui le royaume appartenait [en tant que plus proche parent des deux rois défunts et ] en vertu de ses droits héréditaires; et il en prit possession, sans demander le consentement du comte de Tripoli, qui était à cette époque administrateur de tout le royaume. "
Gui de Lusignan était donc devenu roi sans l'avis du régent Raymond III, ce qui ne pouvait qu'indigner le comte de Tripoli. Il s'en suivit une division du royaume entre les partisans de Gui (dont fait partie le maître des templiers Gérard de Ridefort) et ceux de Raymond (dont fait partie le maître des hospitaliers Roger du Moulin)
A cette époque, Raymond III dispose d'une puissance à peu près égale de celle du roi : en effet, outre le comte de Tripoli, a contracté mariage avec la dame de Tibériade, qui était aussi souveraine de toute la Galilée : Raymond III devenait de ce fait comte de Tripoli et prince de Galilée
"Pour organiser sa vengeance, le comte conclut une trêve avec Saladin, sans consulter le roi dont il se déclara l'ennemi"
Ainsi le comte de Tripoli va privilégier le combat contre Gui de Lusignan au détriment du combat contre Saladin !
Cette situation était très dangereuse car Saladin ne manquerait pas de profiter de la division du royaume pour l'attaquer, c'est d'ailleurs ce qu'explique Jacques de Vitry : " Saladin, homme rusé, doué d'une grande expérience et fort habile à la guerre, reconnut aussitôt qu'un royaume divisé en lui-même peut être facilement désolé, et que l'on entre aisément par la vaste brèche que fait la discorde "
Devant ce danger, il se constitua une délégation comportant Balian d'Ibelin, l'archevêque de Tyr et les maîtres du Temple et de l'Hôpital qui rencontra le comte de Tripoli à Tibériade le 29 mars 1187 pour tenter de concilier les points de vue et éviter une guerre interne entre chrétiens. Un mois plus tard eut lieu la bataille de la fontaine de Cresson.
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON
Elle est nommément citée dans un curieux texte de BERNARD LE TRÉSORIER (continuateur de Guillaume Tyr datant de la fin du 13eme siècle ) mais aussi par JACQUES DE VITRY ; avant de la décrire, il convient de rappeler les événements qui se sont déroulés précédemment.
RAPPEL DES EVENEMENTS CONTEMPORAINS
Le contexte historique de la bataille de la fontaine de Cresson peut être décrit au moyen du récit de Jacques de Vitry illustré par l'arbre généalogique des rois de Jérusalem
Depuis 1174, règne à Jérusalem le roi Baudouin IV atteint de la lèpre, il est sacré roi de Jérusalem alors qu'il est âgé de 13 ans ; jusqu'à ce qu'il atteigne 15 ans, le royaume est dirigé par un régent, le comte Raymond III de Tripoli.
La suite de cette histoire est décrite avec beaucoup de précision dans la chronique de Jacques de Vitry.
"Cependant le roi n'ayant pas voulu se marier, à cause de sa maladie, donna en mariage les deux sœurs qu'il avait, savoir Sibylle, l'aînée, et Isabelle, la cadette, à deux hommes de naissance illustre: Sibylle à Guillaume Longue-Épée, marquis de Montferrat; et Isabelle à Honfroi de Toron. Guillaume étant mort, et ayant laissé un fils encore enfant, qui fut nommé Baudouin, le roi donna sa veuve en mariage à un certain jeune homme du comté du Poitou, nommé Gui de Lusignan; et comme ses infirmités l'accablaient de plus en plus, il lui confia aussi toute l'administration du royaume; mais Gui, ayant encouru la colère du roi [ à cause de son incapacité], perdit son crédit et le gouvernement du pays."
Sa maladie s'allant en s'aggravant, Baudouin IV décide d'organiser sa succession afin d'écarter Gui de Lusignan :
" Le roi ayant alors convoqué les grands du royaume, fit donner l'onction royale à son neveu Baudouin, encore tout petit [âgé de cinq ans ] et remit cet enfant, ainsi que les affaires publiques... sous la tutelle du comte de Tripoli [ Raymond III ].
"Peu de temps après, le roi Baudouin le Lépreux étant entré dans la voie de toute chair, et le jeune roi Baudouin étant mort également [en 1186 ], Gui de Lusignan fut élevé au trône par l'assistance de sa femme Sibylle, à qui le royaume appartenait [en tant que plus proche parent des deux rois défunts et ] en vertu de ses droits héréditaires; et il en prit possession, sans demander le consentement du comte de Tripoli, qui était à cette époque administrateur de tout le royaume. "
Gui de Lusignan était donc devenu roi sans l'avis du régent Raymond III, ce qui ne pouvait qu'indigner le comte de Tripoli. Il s'en suivit une division du royaume entre les partisans de Gui (dont fait partie le maître des templiers Gérard de Ridefort) et ceux de Raymond (dont fait partie le maître des hospitaliers Roger du Moulin)
A cette époque, Raymond III dispose d'une puissance à peu près égale de celle du roi : en effet, outre le comte de Tripoli, a contracté mariage avec la dame de Tibériade, qui était aussi souveraine de toute la Galilée : Raymond III devenait de ce fait comte de Tripoli et prince de Galilée
"Pour organiser sa vengeance, le comte conclut une trêve avec Saladin, sans consulter le roi dont il se déclara l'ennemi"
Ainsi le comte de Tripoli va privilégier le combat contre Gui de Lusignan au détriment du combat contre Saladin !
Cette situation était très dangereuse car Saladin ne manquerait pas de profiter de la division du royaume pour l'attaquer, c'est d'ailleurs ce qu'explique Jacques de Vitry : " Saladin, homme rusé, doué d'une grande expérience et fort habile à la guerre, reconnut aussitôt qu'un royaume divisé en lui-même peut être facilement désolé, et que l'on entre aisément par la vaste brèche que fait la discorde "
Devant ce danger, il se constitua une délégation comportant Balian d'Ibelin, l'archevêque de Tyr et les maîtres du Temple et de l'Hôpital qui rencontra le comte de Tripoli à Tibériade le 29 mars 1187 pour tenter de concilier les points de vue et éviter une guerre interne entre chrétiens. Un mois plus tard eut lieu la bataille de la fontaine de Cresson.
mercredi 8 juillet 2015
Mentalités et comportements au temps de la croisade (105) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187
LES HOSPITALIERS DANS LA DÉFENSE DU ROYAUME
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE
Celle-ci est assez difficile à trouver dans les textes médiévaux que j'ai pu consulter en libre accès sur internet. En outre, ils ne donnent guère d'informations sur la question qui me semble la plus importante : les frères-chevaliers participaient-ils effectivement au combat ou le grand-maître ne conduisait-il que les chevaliers et les sergents stipendiés ?
Pour montrer les caractéristiques de la participation de l'ordre de l'hôpital aux guerres défensives, je prendrai deux exemples :
Le premier est cité par Guillaume de Tyr, il concerne les événements consécutifs au DON A L'HÔPITAL DE LA MOITIÉ DE LA VILLE DE PANEADE (Banyas)
L'extrait ci-dessous décrit les motivations de ce don, il ne s'agit évidemment pas d'une aumône mais beaucoup plus d'un partage des frais occasionnés pour la mise en défense de la place tant en entretien de la garnison et que de la participation au renforcement des moyens de défense.
" A peu près à la même époque, Honfroi de Toron, connétable du Roi, et seigneur à titre héréditaire de la ville de Panéade, fatigué des dépenses qu'il avait à faire et des sollicitudes continuelles que lui donnait cette ville, voyant qu'il lui serait impossible de s'y maintenir et de la gouverner à lui seul, obtint le consentement du Roi pour en faire un partage égal avec les frères Hospitaliers ; de telle sorte que ceux-ci étant possesseurs de la moitié de la ville et de toute sa banlieue, entrèrent aussi pour moitié dans toutes les dépenses d'utilité et de nécessité publiques, et concoururent, selon leur devoir, à la défense de leur portion.
Cette ville se trouvait située sur les confins du territoire des ennemis, et par conséquent fort près d'eux, en sorte qu'on ne pouvait y arriver ou en sortir sans courir les plus grands dangers, à moins de marcher avec une forte escorte ou de suivre secrètement des chemins détournés."
Une fois ce don effectué, les hospitaliers durent approvisionner la ville en vivres et installer une garnison afin de soutenir un siège éventuel, en conséquence, l'ordre organisa une caravane qui se dirigea vers Paneade.
"Les frères, après avoir pris possession de la partie de la ville qui leur échut, résolurent un jour de faire des approvisionnements en vivres et en armes, et de conduire des troupes dans la place, afin de la mettre en bon état de défense. Ils rassemblèrent à cet effet un grand nombre de chameaux et d'autres animaux destinés au transport des bagages; ils se mirent en marche avec leur suite, afin d'accompagner leur expédition et de l'appuyer, au besoin, de la force des armes, et se dirigèrent vers la ville de Panéade, dans l'intention de l'approvisionner pour un long espace de temps."
C'est quand ils arrivent aux portes de la ville que la caravane est attaquée : les soldats de l'ordre ne semblent pas avoir résisté longtemps, les uns sont tués, les autres prennent la fuite, ceux qui sont rattrapés sont fait prisonniers : cette faible résistance fait penser qu'il ne devait pas y avoir de frères chevaliers présents car ceux-ci se seraient défendu avec beaucoup plus de vigueur.
"Déjà ils étaient arrivés assez près de la ville avec tous leurs bagages, quand tout-à-coup les ennemis, instruits de leur approche, se présentèrent devant eux, et, les pressant du glaive, renversant et tuant un grand nombre d'entre eux, rompirent les rangs et s'emparèrent du convoi, tandis que le reste de la troupe cherchait son salut dans la fuite. Tous ceux que la vivacité de l'attaque empêcha de se sauver périrent par le glaive ou furent chargés, de fers. Ainsi toutes les provisions qui avaient été rassemblées pour le service de la place tombèrent au pouvoir des ennemis pour être employées à son préjudice."
Au vu de ce qui venait de se produire et pour éviter des attaques ultérieures l'ordre de l'hôpital préféra abandonner sa part dans la ville et le rendit à son ancien propriétaire. Ce renoncement est pour moi un second élément qui permet de penser que l'ordre disposait de moyens militaires insuffisants pour des opérations autres que la garde des forteresses.
"Les frères cependant, redoutant de nouveaux accidents du même genre et les dépenses qui en résultaient, renoncèrent aux conditions stipulées par leur traité, et résignèrent entre les mains d'Honfroi de Toron leur portion de propriété sur la ville, avec les charges et les bénéfices qui en résultaient."
LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE
Celle-ci est assez difficile à trouver dans les textes médiévaux que j'ai pu consulter en libre accès sur internet. En outre, ils ne donnent guère d'informations sur la question qui me semble la plus importante : les frères-chevaliers participaient-ils effectivement au combat ou le grand-maître ne conduisait-il que les chevaliers et les sergents stipendiés ?
Pour montrer les caractéristiques de la participation de l'ordre de l'hôpital aux guerres défensives, je prendrai deux exemples :
Le premier est cité par Guillaume de Tyr, il concerne les événements consécutifs au DON A L'HÔPITAL DE LA MOITIÉ DE LA VILLE DE PANEADE (Banyas)
L'extrait ci-dessous décrit les motivations de ce don, il ne s'agit évidemment pas d'une aumône mais beaucoup plus d'un partage des frais occasionnés pour la mise en défense de la place tant en entretien de la garnison et que de la participation au renforcement des moyens de défense.
" A peu près à la même époque, Honfroi de Toron, connétable du Roi, et seigneur à titre héréditaire de la ville de Panéade, fatigué des dépenses qu'il avait à faire et des sollicitudes continuelles que lui donnait cette ville, voyant qu'il lui serait impossible de s'y maintenir et de la gouverner à lui seul, obtint le consentement du Roi pour en faire un partage égal avec les frères Hospitaliers ; de telle sorte que ceux-ci étant possesseurs de la moitié de la ville et de toute sa banlieue, entrèrent aussi pour moitié dans toutes les dépenses d'utilité et de nécessité publiques, et concoururent, selon leur devoir, à la défense de leur portion.
Cette ville se trouvait située sur les confins du territoire des ennemis, et par conséquent fort près d'eux, en sorte qu'on ne pouvait y arriver ou en sortir sans courir les plus grands dangers, à moins de marcher avec une forte escorte ou de suivre secrètement des chemins détournés."
Une fois ce don effectué, les hospitaliers durent approvisionner la ville en vivres et installer une garnison afin de soutenir un siège éventuel, en conséquence, l'ordre organisa une caravane qui se dirigea vers Paneade.
"Les frères, après avoir pris possession de la partie de la ville qui leur échut, résolurent un jour de faire des approvisionnements en vivres et en armes, et de conduire des troupes dans la place, afin de la mettre en bon état de défense. Ils rassemblèrent à cet effet un grand nombre de chameaux et d'autres animaux destinés au transport des bagages; ils se mirent en marche avec leur suite, afin d'accompagner leur expédition et de l'appuyer, au besoin, de la force des armes, et se dirigèrent vers la ville de Panéade, dans l'intention de l'approvisionner pour un long espace de temps."
C'est quand ils arrivent aux portes de la ville que la caravane est attaquée : les soldats de l'ordre ne semblent pas avoir résisté longtemps, les uns sont tués, les autres prennent la fuite, ceux qui sont rattrapés sont fait prisonniers : cette faible résistance fait penser qu'il ne devait pas y avoir de frères chevaliers présents car ceux-ci se seraient défendu avec beaucoup plus de vigueur.
"Déjà ils étaient arrivés assez près de la ville avec tous leurs bagages, quand tout-à-coup les ennemis, instruits de leur approche, se présentèrent devant eux, et, les pressant du glaive, renversant et tuant un grand nombre d'entre eux, rompirent les rangs et s'emparèrent du convoi, tandis que le reste de la troupe cherchait son salut dans la fuite. Tous ceux que la vivacité de l'attaque empêcha de se sauver périrent par le glaive ou furent chargés, de fers. Ainsi toutes les provisions qui avaient été rassemblées pour le service de la place tombèrent au pouvoir des ennemis pour être employées à son préjudice."
Au vu de ce qui venait de se produire et pour éviter des attaques ultérieures l'ordre de l'hôpital préféra abandonner sa part dans la ville et le rendit à son ancien propriétaire. Ce renoncement est pour moi un second élément qui permet de penser que l'ordre disposait de moyens militaires insuffisants pour des opérations autres que la garde des forteresses.
"Les frères cependant, redoutant de nouveaux accidents du même genre et les dépenses qui en résultaient, renoncèrent aux conditions stipulées par leur traité, et résignèrent entre les mains d'Honfroi de Toron leur portion de propriété sur la ville, avec les charges et les bénéfices qui en résultaient."
mardi 7 juillet 2015
L'ÉCHEC DE L'OFFENSIVE DE LA DEUXIEME CROISADE SUR DAMAS EN 1148 (2)
LES CAUSES DE L'ÉCHEC
Dans le cours de son récit, Guillaume de Tyr évoque une trahison de certains seigneurs francs de Terre Sainte : les damasquins leur ayant versé de l'argent afin qu'ils mènent la croisade vers le sud de la cité, là où il était impossible qu'elle réussisse à prendre Damas,
Dans le paragraphe qui suit la description de la bataille, Guillaume de Tyr va se livrer à une analyse plus précise des causes de l'échec en effectuant une enquête auprès de ceux qui avaient vécu l'événement :
"Je me souviens d'avoir très-souvent questionné à ce sujet des hommes sages, et qui avaient conservé un souvenir très-fidèle des événements de ce temps, et je le faisais principalement avec l'intention de pouvoir consigner dans cette histoire tout ce que j'en aurais appris. Je leur demandais quelle avait été la cause de ce grand malheur, quels étaient les auteurs de ces crimes, comment un projet aussi détestable avait pu être exécuté. J'ai recueilli des rapports fort divers sur les causes que l'on peut assigner à cet événement "
La première mise en cause concerne les seigneurs francs qui espéraient bien obtenir la place qu'ils estimaient leur revenir dans la future principauté de Damas, or ils se virent supplanter par le comte de Flandres, un nouveau venu qui n'aurait dût songer, selon eux, qu'au salut de son âme et qui se révélait n'être venu que pour conquérir une principauté. Plutôt que lui laisser cette principauté, les seigneurs de Terre-Sainte auraient préféré faire échouer la croisade.
" .. quelques personnes pensent que le comte de Flandre pourrait avoir fourni la première occasion de tous ces maux. Après que les Chrétiens furent arrivés auprès de la ville de Damas, lorsqu'ils se furent emparés de vive force des vergers et du passage du fleuve, enfin lorsqu'on eut commencé le siége de la ville, on dit que le comte alla trouver en particulier et séparément les rois de l'Occident... pour en obtenir que la ville lui fût livrée dès qu'elle serait prise ; on assure même qu'on le lui promit. Quelques-uns des grands de notre royaume en furent instruits, et s'indignèrent .... qu'un si grand prince... qui semblait vouloir combattre pour le Seigneur, sans prétendre à aucune récompense, eût demandé qu'on lui adjugeât une si belle portion du royaume; car ils espéraient que tout ce qui pourrait être conquis avec le concours et par les soins des princes pèlerins tournerait à l'agrandissement du royaume et au profit des seigneurs qui y habitaient. L'indignation qu'ils en ressentirent les poussa jusqu'à cette honteuse pensée d'aimer mieux que la ville demeurât entre les mains des ennemis, que de la voir devenir la propriété du comte; et cela, parce qu'il leur semblait trop cruel pour ceux qui avaient passé toute leur vie à combattre pour le royaume ...de voir des nouveaux venus recueillir les fruits de leurs travaux, tandis qu'eux-mêmes... seraient obligés de renoncer à l'espoir des récompenses que leurs longs services semblaient cependant avoir méritées. "
Un autre accusation est proférée contre le prince d'Antioche que la croisade n'avait pas secouru alors qu'il était aux prises avec les armées de Nur-Al-Din et qu'il perdait peu à peu tous les territoires outre-Oronte.
" D'autres disent que le prince d'Antioche, indigné que le roi de France... l'eût abandonné sans vouloir lui prêter assistance, avait engagé quelques-uns des princes de l'armée ... à faire en sorte que les entreprises du Roi n'eussent aucun succès, et qu'il avait obtenu d'eux qu'ils emploieraient tous leurs soins pour le forcer de se retirer honteusement sans avoir réussi dans ses efforts."
Enfin, Guillaume de Tyr reprend cette accusation de concussion et de trahison qu'il avait déjà formulée dans le récit : certains seigneurs francs ayant reçu de l'argent des habitants de Damas pour faire échouer la croisade.
"D'autres enfin affirment qu'il ne se passa rien autre chose si ce n'est que l'or des ennemis corrompit ceux qui firent tout le mal"
Que peut-on penser de ces allégations ? Difficile de le dire, pourtant si on se réfère aux mentalités des seigneurs francs mettant surtout en avant leur avidité de possessions territoriales même au prix de trahison, on peut penser que la première hypothèse peut être envisagée : l'histoire de la première croisade fourmille de ce type de de traîtrise : la conduite de Bohémond à Antioche et celle de Raymond de Toulouse au siège d'Archas montrent bien que, souvent chez les croisés qui étaient venus sans idée de retour, l'appétit de terres était une motivation beaucoup plus forte que le service de Dieu.
Dans le cours de son récit, Guillaume de Tyr évoque une trahison de certains seigneurs francs de Terre Sainte : les damasquins leur ayant versé de l'argent afin qu'ils mènent la croisade vers le sud de la cité, là où il était impossible qu'elle réussisse à prendre Damas,
Dans le paragraphe qui suit la description de la bataille, Guillaume de Tyr va se livrer à une analyse plus précise des causes de l'échec en effectuant une enquête auprès de ceux qui avaient vécu l'événement :
"Je me souviens d'avoir très-souvent questionné à ce sujet des hommes sages, et qui avaient conservé un souvenir très-fidèle des événements de ce temps, et je le faisais principalement avec l'intention de pouvoir consigner dans cette histoire tout ce que j'en aurais appris. Je leur demandais quelle avait été la cause de ce grand malheur, quels étaient les auteurs de ces crimes, comment un projet aussi détestable avait pu être exécuté. J'ai recueilli des rapports fort divers sur les causes que l'on peut assigner à cet événement "
La première mise en cause concerne les seigneurs francs qui espéraient bien obtenir la place qu'ils estimaient leur revenir dans la future principauté de Damas, or ils se virent supplanter par le comte de Flandres, un nouveau venu qui n'aurait dût songer, selon eux, qu'au salut de son âme et qui se révélait n'être venu que pour conquérir une principauté. Plutôt que lui laisser cette principauté, les seigneurs de Terre-Sainte auraient préféré faire échouer la croisade.
" .. quelques personnes pensent que le comte de Flandre pourrait avoir fourni la première occasion de tous ces maux. Après que les Chrétiens furent arrivés auprès de la ville de Damas, lorsqu'ils se furent emparés de vive force des vergers et du passage du fleuve, enfin lorsqu'on eut commencé le siége de la ville, on dit que le comte alla trouver en particulier et séparément les rois de l'Occident... pour en obtenir que la ville lui fût livrée dès qu'elle serait prise ; on assure même qu'on le lui promit. Quelques-uns des grands de notre royaume en furent instruits, et s'indignèrent .... qu'un si grand prince... qui semblait vouloir combattre pour le Seigneur, sans prétendre à aucune récompense, eût demandé qu'on lui adjugeât une si belle portion du royaume; car ils espéraient que tout ce qui pourrait être conquis avec le concours et par les soins des princes pèlerins tournerait à l'agrandissement du royaume et au profit des seigneurs qui y habitaient. L'indignation qu'ils en ressentirent les poussa jusqu'à cette honteuse pensée d'aimer mieux que la ville demeurât entre les mains des ennemis, que de la voir devenir la propriété du comte; et cela, parce qu'il leur semblait trop cruel pour ceux qui avaient passé toute leur vie à combattre pour le royaume ...de voir des nouveaux venus recueillir les fruits de leurs travaux, tandis qu'eux-mêmes... seraient obligés de renoncer à l'espoir des récompenses que leurs longs services semblaient cependant avoir méritées. "
Un autre accusation est proférée contre le prince d'Antioche que la croisade n'avait pas secouru alors qu'il était aux prises avec les armées de Nur-Al-Din et qu'il perdait peu à peu tous les territoires outre-Oronte.
" D'autres disent que le prince d'Antioche, indigné que le roi de France... l'eût abandonné sans vouloir lui prêter assistance, avait engagé quelques-uns des princes de l'armée ... à faire en sorte que les entreprises du Roi n'eussent aucun succès, et qu'il avait obtenu d'eux qu'ils emploieraient tous leurs soins pour le forcer de se retirer honteusement sans avoir réussi dans ses efforts."
Enfin, Guillaume de Tyr reprend cette accusation de concussion et de trahison qu'il avait déjà formulée dans le récit : certains seigneurs francs ayant reçu de l'argent des habitants de Damas pour faire échouer la croisade.
"D'autres enfin affirment qu'il ne se passa rien autre chose si ce n'est que l'or des ennemis corrompit ceux qui firent tout le mal"
Que peut-on penser de ces allégations ? Difficile de le dire, pourtant si on se réfère aux mentalités des seigneurs francs mettant surtout en avant leur avidité de possessions territoriales même au prix de trahison, on peut penser que la première hypothèse peut être envisagée : l'histoire de la première croisade fourmille de ce type de de traîtrise : la conduite de Bohémond à Antioche et celle de Raymond de Toulouse au siège d'Archas montrent bien que, souvent chez les croisés qui étaient venus sans idée de retour, l'appétit de terres était une motivation beaucoup plus forte que le service de Dieu.
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