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dimanche 12 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (106) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LES HOSPITALIERS DANS LA DEFENSE DU ROYAUME

LA PARTICIPATION EFFECTIVE À LA GUERRE DÉFENSIVE : LA BATAILLE DE LA FONTAINE DE CRESSON (suite)

LE RECIT DE BERNARD LE TRÉSORIER
" Un des fils de Saladin qui était nouvellement à Damas.... manda au comte de Tripoli que le lendemain il le laissât entrer aux terres des Chrétiens en passant sur sa terre [ la Galilée] pour faire une course ( un raid) . 

Quand le comte ouït ceci, il fut très-fort dolent, et pensa que, s'il refusait le fils de Saladin, il avait à craindre de perdre l'aide et le conseil de son père, et que s'il lui octroyait sa demande, il en aurait grande honte et grand blâme parmi la chrétienté; mais après il pensa qu'il en garantirait si bien les Chrétiens qu'ils n'y perdraient rien, et que le fils de Saladin ne lui en saurait mauvais gré. Alors il manda au fils de Saladin qu['il lui donnait l'autorisation]  de passer à travers sa terre et d'entrer au pays des Chrétiens, à condition qu'il passerait le fleuve au soleil levant et le repasserait avant le soleil couchant, et que pendant ce temps à ceux qui seraient [dans les] villes et [les] maisons,  rien ne prendraient et ne feraient aucun dommage. Ainsi le promit le fils de Saladin;

Ce premier extrait est la suite logique des événements qui se sont déroulés auparavant : au nom de leur trêve devenue une quasi-alliance, les turcs demandent à Raymond III l'autorisation de faire une incursion en Galilée pour effectuer un raid d'attaque et de pillage. Raymond III accepte la demande à la condition que l'armée turque ne pille ni les villages ni les maisons de Galilée et se contente de razzier la campagne.

On peut s'étonner de cet accord qui constitue une véritable trahison, certes il était fréquent que des trêves et des alliances existent entre les princes chrétiens et les princes turcs ;  loin de se livrer continuellement à la croisade pour les uns et au djihâd pour les autres, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est généralement pacifique avec de courtes périodes de guerre et de longues périodes de trêves. Mais en ce qui concerne l'anecdote ci-dessous et, si on en croit Bernard le Trésorier, on est passé à une autre dimension : un prince chrétien, pour se venger d'un autre prince chrétien,  accepte que l'armée turque vienne piller les campagnes chrétiennes ! Raymond III manifeste certes une hésitation mais ce n'est pas celle du croisé, c'est la peur du blâme que sa trahison de la cause chrétienne pourrait lui occasionner

" le lendemain de grand matin [le fils de Saladin] passa le fleuve, vint par devant Tibériade et entra aux terres des Chrétiens. Le comte de Tripoli fit fermer les portes de Tibériade afin que ceux qui étaient dedans ne sortissent pas, de peur qu'il ne leur arrivât dommage... et partout où il savait que les Turcs devaient aller il manda que personne ne sortît ni des villes ni des maisons, car ... ceux qui se tiendraient cois n'auraient rien à craindre, mais s'ils sortaient dans les champs, on les prendrait et on les tuerait tous; puis il envoya au château de Saphet où étaient les chevaliers du roi pour leur mander qu'ils ne se missent pas en route le lendemain."

Ce deuxième extrait montre que  Raymond III  applique les clauses de l'accord  : il laisse entrer l'armée turque et enjoint aux habitants des villes et des villages de ne pas sortir en les prévenant que s'ils désobéissaient, ce serait à leurs risques et périls ;  il prévient aussi les  Templiers de Safed et de Caco de rester dans leur forteresses. Il va de soi que les templiers ne pouvaient l'accepter ni au nom de leur engagement monastique ni en tant que partisan du roi Guy.

" Quand le maître du Temple sut que les Sarrasins devaient entrer le lendemain dans le pays, il envoya son courrier à un couvent du Temple qui était à quatre milles de là, dans une ville nommée Caco  leur manda que, sitôt qu'ils verraient cette lettre, ils montassent à cheval et vinssent à lui, car le lendemain matin les Sarrasins devaient entrer dans le pays.

Sitôt que le couvent eut reçu l'ordre du maître, ils montèrent à cheval vinrent à lui .... puis le lendemain matin se mirent en marche et allèrent à Nazareth. Les chevaliers de la garnison de Saphet étaient quatre-vingt-dix, tant du Temple que de l'Hôpital; ils prirent à Nazareth quarante chevaliers qui y étaient en garnison pour le roi; ils partirent de Nazareth, et firent... sept milles vers Tibériade, et trouvèrent les Sarrasins à une fontaine qui a nom la fontaine du Cresson [près de Saphorie] , car ils étaient déjà retournés jusqu'au pont pour repasser le fleuve et rentrer dans leur pays

Ce troisième extrait témoigne que le maître des templiers Gerard de Ridefort, était resté Galilée après la réunion qui avait tenté de réconcilier le comte de Tripoli et le roi de Jérusalem. Ne pouvant accepter ce qu'il considérait comme une traîtrise, Il rassembla à la hâte 90 chevaliers  " tant du Temple que de l'Hôpital "  auxquels s'adjoignent 40 chevaliers de Nazareth ayant prêté allégeance au roi Gui de Lusignan.

La présence d'Hospitaliers en tant que chevaliers combattant est donc ici clairement mentionnée. A la tête des hospitaliers se trouve le maître de l'ordre Roger des Moulins comme il est spécifié ensuite. A ces 130 chevaliers s'ajoutait la présence de sergents et d'écuyers à leur service.

Comme on peut le lire ci-dessous, les chrétiens furent défaits ;  les têtes des morts furent mises sur les piques et les prisonniers emmenés en captivité.

"Là fut tué le maître de l'Hôpital [Roger des Moulins] et aussi tous les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, hors seulement le maître du Temple [ Gérard de Ridefort] qui s'en échappa  et les quarante chevaliers qui étaient en garnison pour le roi à Nazareth furent tous tués. Quand les écuyers du Temple et de l'Hôpital virent que leurs maîtres étaient aux mains avec les Sarrasins, ils se mirent en fuite avec tout le bagage"

Quand le fils de Saladin eut occis et déconfit nos Chrétiens à l'aide de ses Turcs, il mit les têtes des chevaliers du Temple et de l'Hôpital et les fit attacher sur les fers des lances des Turcs. Ils emmenèrent les prisonniers liés, et passèrent de cette manière devant Tibériade. Quand ceux de Tibériade virent que les Chrétiens avaient été déconfits, et que les Turcs en emportaient les têtes sur leurs lances et emmenaient les autres pris et liés honteusement, ils eurent une très-grande douleur. Ainsi le fils de Saladin passa le fleuve au soleil levant, et le repassa au soleil couchant. Il tint bien au comte de Tripoli ses conventions, car il ne fit, ni en château, ni en maison, ni en ville, aucun dommage, mais seulement à ceux qu'il trouva aux champs."

Cette bataille fut un vendredi, l'an de l'incarnation de notre Seigneur 1190, le jour de la fête de saint Jacques et saint Philippe, le premier jour de mai"

Ce texte est, selon moi, intéressant à trois points de vue :
     . Il montre bien que la force principale des États francs est celle des ordres de chevaliers, dès qu'il se produit une attaque, ils sont capables de se mobiliser et d'agir rapidement.
     . Il montre aussi que les ordres du Temple et de l'Hôpital agissent à leur guise comme s'ils étaient un État dans l'Etat, prenant les décisions eux-mêmes sans tenir compte de l'avis des princes laïcs.
     .  Il établit clairement la présence de chevaliers hospitaliers combattant.

Pourtant il convient de relativiser ces renseignements car ce texte possède de nombreuses erreurs et invraisemblances que l'on peut constater à la lecture du récit de la bataille de la fontaine de Cresson effectué par Jacques de Vitry. (1)
     . Il se pose d'abord la date de cette bataille : 1190 pour Bernard le trésorier, 1er mai 1187 pour Jacques de Vitry. Cette dernière date doit être retenue car dans le texte de Jacques de Vitry la chronologie est donnée.
     . De même, les deux textes divergent au niveau du nom du prince turc initiateur de l'attaque : le fils de Saladin, Al-Afdal, pour Bernard le Trésorier, Saladin lui-même pour Jacques de Vitry. Les deux sont possibles puisque Al-Afdal était effectivement à Damas depuis août 1186, cependant, n'étant  âgé que de 18 ans, il ne pouvait être qu'un lieutenant de son père. Jacques de Vitry indique que Saladin "envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli", c'est peut être cette avant-garde que commandait Al-Afdal.
    . Une autre invraisemblance du texte de Bernard le Trésorier est l'indication que ce raid ne dura qu'une seule journée : Jacques de Vitry indique que ce raid alla jusque la banlieue d'Acre à 47 km de Tibériade : les cavaliers turcs aurait donc effectué presque 100 km et livré bataille en une seule journée !

En ce qui concerne la participation à la guerre des chevaliers hospitaliers, la lecture des deux chroniques donne une impression différente :
     . pour Bernard le Trésorier les chevaliers qui partirent de Saphet étaient quatre-vingt-dix, "tant du Temple que de l'Hôpital", ce qui suggère un partage égal de chevaliers  entre les deux ordres.
     . Jacques de Vitry est beaucoup plus précis " le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir," : cette phrase permet d'imaginer que les templiers de Saphet rencontrèrent sur leur chemin Roger des Moulins accompagné de 10 frères chevaliers et l'amenèrent au combat.

La disparité entre les deux textes  est frappante : on a l'impression dans le texte de Bernard le Trésorier les Templiers et les Hospitaliers combattent à part égale avec les templiers, tandis que la chronique de Jacques de Vitry semble affirmer que les Templiers allaient seuls au combat et qu'ils rencontrèrent presque par inadvertance quelques chevaliers Hospitaliers formant escorte au maître et leur proposèrent de se joindre à eux pour repousser l'envahisseur.

Pour ma part, je serais enclin à suivre Jacques de Vitry et à penser que, dans ce cas comme dans le cas de Paneade, le rôle des frères chevaliers doit être largement minimisé et que les forces engagées par l'hôpital lors des guerres proviennent surtout de chevaliers et fantassins stipendiés.

(1) voici le texte de Jacques de Vitry
En conséquence, prenant son principal prétexte de ce que le seigneur de Mont-Réal et de toute la terre située au-delà du Jourdain avait rompu la trêve qui nous liait avec les Sarrasins du voisinage, en leur enlevant un riche butin, il leva une multitude de combattants, cavaliers aussi bien qu'hommes de pied, dans toutes les contrées soumises à son pouvoir, en Egypte, en Arabie, à Damas, à Alep et en Mésopotamie. On dit qu'il rassembla et conduisit à sa suite cinquante mille hommes de cavalerie, sans parler des fantassins. Il envoya d'abord en avant dix mille cavaliers d'élite, qui traversèrent le territoire du comte de Tripoli (lequel était en trêve avec les Sarrasins), c'est-à-dire les pays de Tibériade et de Nazareth, et se rendirent jusque vers la banlieue de la ville d'Accon, afin de provoquer les nôtres, selon leur usage, dans l'espoir que ceux-ci se lanceraient imprudemment et en désordre à leur poursuite, et pourraient ainsi être mis à mort, ou faits prisonniers. Cette funeste combinaison des impies ne manqua pas en effet de se réaliser. Le maître du Temple, sortant imprudemment avec plus de soixante et dix de ses frères, et le maître des Hospitaliers, qui revenait avec dix de ses frères du château de Belvoir, furent enveloppés par les ennemis auprès du casal de Robert. Quoiqu'ils n'eussent à leur suite que cent vingt chevaliers, ils résistèrent vigoureusement aux dix mille Sarrasins, leur tuèrent beaucoup de monde, mais furent enfin eux-mêmes presque tous tués ou faits prisonniers. Le maître du Temple s'échappa avec un petit nombre d'hommes; le maître de l'Hôpital périt; et ce fut le premier du mois de mai que les ennemis remportèrent sur les nôtres cette sanglante victoire.

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