Dans le cours de son récit, Guillaume de Tyr évoque une trahison de certains seigneurs francs de Terre Sainte : les damasquins leur ayant versé de l'argent afin qu'ils mènent la croisade vers le sud de la cité, là où il était impossible qu'elle réussisse à prendre Damas,
Dans le paragraphe qui suit la description de la bataille, Guillaume de Tyr va se livrer à une analyse plus précise des causes de l'échec en effectuant une enquête auprès de ceux qui avaient vécu l'événement :
"Je me souviens d'avoir très-souvent questionné à ce sujet des hommes sages, et qui avaient conservé un souvenir très-fidèle des événements de ce temps, et je le faisais principalement avec l'intention de pouvoir consigner dans cette histoire tout ce que j'en aurais appris. Je leur demandais quelle avait été la cause de ce grand malheur, quels étaient les auteurs de ces crimes, comment un projet aussi détestable avait pu être exécuté. J'ai recueilli des rapports fort divers sur les causes que l'on peut assigner à cet événement "
La première mise en cause concerne les seigneurs francs qui espéraient bien obtenir la place qu'ils estimaient leur revenir dans la future principauté de Damas, or ils se virent supplanter par le comte de Flandres, un nouveau venu qui n'aurait dût songer, selon eux, qu'au salut de son âme et qui se révélait n'être venu que pour conquérir une principauté. Plutôt que lui laisser cette principauté, les seigneurs de Terre-Sainte auraient préféré faire échouer la croisade.
" .. quelques personnes pensent que le comte de Flandre pourrait avoir fourni la première occasion de tous ces maux. Après que les Chrétiens furent arrivés auprès de la ville de Damas, lorsqu'ils se furent emparés de vive force des vergers et du passage du fleuve, enfin lorsqu'on eut commencé le siége de la ville, on dit que le comte alla trouver en particulier et séparément les rois de l'Occident... pour en obtenir que la ville lui fût livrée dès qu'elle serait prise ; on assure même qu'on le lui promit. Quelques-uns des grands de notre royaume en furent instruits, et s'indignèrent .... qu'un si grand prince... qui semblait vouloir combattre pour le Seigneur, sans prétendre à aucune récompense, eût demandé qu'on lui adjugeât une si belle portion du royaume; car ils espéraient que tout ce qui pourrait être conquis avec le concours et par les soins des princes pèlerins tournerait à l'agrandissement du royaume et au profit des seigneurs qui y habitaient. L'indignation qu'ils en ressentirent les poussa jusqu'à cette honteuse pensée d'aimer mieux que la ville demeurât entre les mains des ennemis, que de la voir devenir la propriété du comte; et cela, parce qu'il leur semblait trop cruel pour ceux qui avaient passé toute leur vie à combattre pour le royaume ...de voir des nouveaux venus recueillir les fruits de leurs travaux, tandis qu'eux-mêmes... seraient obligés de renoncer à l'espoir des récompenses que leurs longs services semblaient cependant avoir méritées. "
Un autre accusation est proférée contre le prince d'Antioche que la croisade n'avait pas secouru alors qu'il était aux prises avec les armées de Nur-Al-Din et qu'il perdait peu à peu tous les territoires outre-Oronte.
" D'autres disent que le prince d'Antioche, indigné que le roi de France... l'eût abandonné sans vouloir lui prêter assistance, avait engagé quelques-uns des princes de l'armée ... à faire en sorte que les entreprises du Roi n'eussent aucun succès, et qu'il avait obtenu d'eux qu'ils emploieraient tous leurs soins pour le forcer de se retirer honteusement sans avoir réussi dans ses efforts."
Enfin, Guillaume de Tyr reprend cette accusation de concussion et de trahison qu'il avait déjà formulée dans le récit : certains seigneurs francs ayant reçu de l'argent des habitants de Damas pour faire échouer la croisade.
"D'autres enfin affirment qu'il ne se passa rien autre chose si ce n'est que l'or des ennemis corrompit ceux qui firent tout le mal"
Que peut-on penser de ces allégations ? Difficile de le dire, pourtant si on se réfère aux mentalités des seigneurs francs mettant surtout en avant leur avidité de possessions territoriales même au prix de trahison, on peut penser que la première hypothèse peut être envisagée : l'histoire de la première croisade fourmille de ce type de de traîtrise : la conduite de Bohémond à Antioche et celle de Raymond de Toulouse au siège d'Archas montrent bien que, souvent chez les croisés qui étaient venus sans idée de retour, l'appétit de terres était une motivation beaucoup plus forte que le service de Dieu.
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