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vendredi 4 octobre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (15)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA GUERRE DE BRETAGNE : LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

Après avoir décrit le passage du Couesnon, la tapisserie de Bayeux présente la guerre menée par Guillaume contre le duc de Bretagne. Cette dernière comporte trois phases décrites successivement  et semblant constituer une seule histoire en réduisant l’expédition normande  à une simple et glorieuse promenade militaire  ; ce ne fut probablement pas le cas, en effet, la chronologie donnée par la tapisserie de Bayeux n’est pas corroborée par le récit de Guillaume de Poitiers, le seul chroniqueur ayant raconté en détail l’expédition de Bretagne.

La première phase de la campagne eut lieu à Dol ; rappelons les faits mentionnés dans le précédent article : un vassal de Conan, appelé par Guillaume de Jumièges, Rual, s’était révolté contre son suzerain. Ce dernier décida de mettre le siège devant Dol, un des points fortifiés construit par Rual. Rual fit alors appel à Guillaume qui ne manqua pas de profiter de l’occasion pour attaquer la Bretagne.

.ET VENERUNT AD DOL ET CONAN FUGAVERIT : et il vinrent à Dol et Conan prit la fuite
 
Cette partie du récit correspond au récit de Guillaume de Poitiers. A l’arrivée de l’armée normande, Conan abandonna le siège de Dol : « Conan, comme s'il eût craint d'être frappé d'un coup de foudre qui le menaçait de près, s'enfuit avec la plus grande promptitude … abandonnant le siège de Dol, château situé sur son territoire… Cet homme, misérablement épouvanté, écouta plutôt sa frayeur, et continua de fuir. »

La tapisserie de Bayeux est d’un grand intérêt en ce qui concerne le château de Dol et les méthodes d’attaque employées par les normands :

Le château de Dol est construit sur une butte (A) sans doute artificielle et entourée de fossés (B) ; une rampe (C) permet d’accéder au château. Cette rampe se termine par une porte (D) ouvrant sur un bâtiment qui évoque plus une tour qu’un château proprement dit, cette tour est quadrangulaire, elle comprend deux niveaux, le premier niveau comporte deux ouvertures (E), le second étage est terminé par une plateforme crénelée.

Les cavaliers normands attaquent,  ils chargent, protégés par leurs boucliers  (F) et portent des javelots (G).  Quand l’ennemi  est à  portée de leur javelots, ils ouvrent  leurs boucliers, dégagent leurs poitrines pour posséder plus de force et lancent leur javelots (H). Il est étonnant de remarquer qu’un seul cavalier porte un casque et une cotte de mailles, les autres ne sont habillés que de leur tunique.

Cette attaque de la tour de Dol est surprenante eu égard au bandeau explicatif et au texte de Guillaume de Jumièges ; en effet, l’assaut ne pouvait pas se porter sur la tour puisque celle-ci est tenue par l’allié du duc normand. Dans ce cas, il faudrait imaginer que l’attaque a eu lieu contre l’armée bretonne assiégeant Dol mais qui n’est pas représentée sur la tapisserie.

Un petit personnage (J) descend de la plateforme de la tour au moyen d’une corde, sans doute est-il chargé de prévenir Guillaume que l’attaque des normands est devenue inutile puisque Conan vient de fuir.

NOTE COMPLÉMENTAIRE
LE JUGEMENT DE GUILLAUME DE POITIERS SUR LA BRETAGNE.

La Bretagne était incroyablement peuplée d'hommes de guerre; car, dans cette contrée, un chevalier en engendrait cinquante en épousant, à la manière des Barbares, dix femmes ou davantage ... De plus cette nombreuse population s'applique beaucoup aux armes et au maniement des chevaux, et néglige entièrement la culture des champs et la civilisation; ils se nourrissent de très abondants laitages et fort peu de pain. De vastes territoires, qui ne portèrent presque jamais de moissons, sont pour leurs troupeaux de gras pâturages. Lorsqu'ils n'ont pas de guerre étrangère, ils se nourrissent de rapines et de ravages domestiques, et s'exercent au brigandage. Ils vont au-devant des combats avec une joyeuse ardeur, et combattent avec fureur. Accoutumés à repousser, ils cèdent difficilement. Ils exaltent et célèbrent par des réjouissances leurs victoires et la gloire qu'ils se sont acquise dans les combats. Ils prennent plaisir et gloire à enlever la dépouille des morts.

Sans commentaire !

Prochain article  LES OPÉRATIONS MILITAIRES  (suite)

mercredi 2 octobre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (15)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA GUERRE DE BRETAGNE

Un récit détaillé de cette guerre nous est livrée par Guillaume de Jumièges, il présente évidemment le point de vue des normands et explique que, depuis le traité de Saint-Claire-sur Epte, la Bretagne était devenue vassale de la Normandie (ce qui n’est pas prouvé puisqu’on  ne connaît pas les termes exacts de ce traité ni même, d’ailleurs, l’étendue des terres concédées à Rollon). Le refus de Conan 2, duc de Bretagne de 1040 à 1066, de se reconnaître le vassal de Guillaume serait, selon Guillaume de Jumièges, à l’origine de la guerre.

 En fait, selon les sources que j’ai pu consulter, l’attaque de la Bretagne par Guillaume aurait eu deux causes :
   . Alain 3, duc de Bretagne (1008-1040) père de Conan 2 était affilié à la famille ducale de Normandie par son mariage avec une fille du duc Richard 1er de Normandie, Conan 2 était, en conséquence un cousin de Robert 1er, duc de Normandie et père de Guillaume. Du fait de cette parenté, Conan 2 pouvait prétendre à devenir duc de Normandie, arguant du fait que Guillaume n’était qu’un bâtard de Robert 1er.
   . Un vassal de Conan, appelé par Guillaume de Jumièges, Rual dit de Dol s’était révolté contre Conan. Ce dernier décida de mettre le siège devant Dol, Rual fit alors appel à Guillaume qui ne manqua pas de profiter de l’occasion pour attaquer la Bretagne.

Les deux extraits de la tapisserie de Bayeux ci-dessous représentés   montrent le cheminement de l’armée normande vers la Bretagne pour combattre le duc Conan et sont explicitées par les textes :

. HIC WILLEM DUX ET EXERCITUS EIUS VENERUNT AD MONTE MICHAELIS : le duc Guillaume et son armée viennent au Mont Saint Michel.


Le duc (4)  chevauche au milieu de ses troupes, il tient à la main un bâton de commandement. Un de ses hommes d’armes (A) est revêtu d’une cotte de mailles, il porte un casque à nasal ressemblant aux casques vikings  et tient une lance pourvue d’une oriflamme ; par contre, il n’est pas armé d’un bouclier. Les cavaliers portant un bouclier sont, à l'inverse, dépourvus de cottes de mailles. La tapisserie montre le Mont Saint Michel (B) au lointain, cela permet de penser que l’armée de Guillaume est passée en vue du Mont sans s’y arrêter.

. ET HIC TRANSIERUNT FLUMEN COSNONIS. : Ici, ils traversent le fleuve Couesnon. 


l’avant-garde de l’armée est prise par les sables mouvants du Couesnon (C). des hommes à pieds, peut-être descendus de leurs chevaux, s’enfoncent jusqu’à la taille, ils portent leurs boucliers au dessus de la tête (D) pour le protéger ; un cavalier est désarçonné (E)

  . HIC HAROLD DUX TRABEBAT EOS DEARENA : ici, le duc Harold les tire des sables mouvants,
Harold (2) tire un homme sur son dos pour le sauver tandis qu’un autre s’agrippe à lui. Harold, à qui Guillaume a dû confier le commandement de l’avant-garde, montre ici son héroïsme. Il tient son bouclier ouvert ce qui permet d’en voir la poignée intérieure.

Le bandeau inférieur correspondant aux deux scènes évoquées ci-dessus,  comporte des anguilles (F)(toujours présentes dans les eaux du Couesnon), l’une d’entre elles est dévorée par deux poissons (G).

Prochain article : LA GUERRE DE BRETAGNE : LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

dimanche 29 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (14)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LES POURPARLERS ENTRE HAROLD ET GUILLAUME DANS LA GRANDE SALLE DU CHÂTEAU

Le palais de Guillaume est représenté en quatre ensembles séparés :
   . Une tour servant d’entrée (A) comportant une porte ouverte cantonnée de deux tourelles, c’est là que se tient le portier.
   . La grande salle du château (B) ; son plafond est surmonté d’arcades,  elles semblent porter  le toit mais elles pourraient aussi correspondre à un étage.
   . Une salle annexe  qui doit être une chapelle où se tient une jeune fille appelée Aelfgiva (C) identifiée par inscription  (UBI UNUS CLERICUS ET AELFGIVA, ici un clerc avec Aelfgiva).
   . Une autre tour (D) comportant une porte fermée.

Ces quatre dessins permettent de reconstituer l’aspect du château :
   . Une courtine comportant la tour-porte et des tours de défense.
   . Un donjon.
   . Une chapelle ( ?)

Harold (2) est conduit dans la grande salle du palais où on le voit en discussion animée avec Guillaume (4). Harold est vêtu de son costume habituel et porte une cape à fibule qui le distingue des autres personnages représentés, il est facilement reconnaissable à sa longue moustache. Guillaume est assis sur un coffre pourvu d’accoudoirs zoomorphes servant de trône. Il porte son épée, la lame baissée, en signe de paix. Alors que Guillaume discute calmement, Harold semble manifester une certaine agitation.

Quelle fut la teneur de la conversation  entre Harold et Guillaume ? La tapisserie de Bayeux ne comporte aucun commentaire à ce propos, ce qui oblige à se référer aux deux chroniqueurs qui donnent, rappelons-le, la version normande des événements.

A cet égard, il existe une différence chronologique  entre le récit des chroniqueurs :

  La version de Guillaume de Jumièges établit la chronologie suivante : accueil d’Harold en Normandie, combat contre les bretons, serment de fidélité d’Harold à Guillaume puis retour d’Harold en Angleterre :

Le duc… fit demeurer (Harold) quelque temps avec lui, et l'emmena ensuite dans une expédition contre les Bretons. Après que Harold lui eut confirmé à diverses reprises ses serments de fidélité pour le royaume d'Angleterre, le duc lui promit aussi de lui donner sa fille Adelise et la moitié du royaume. ». (Guillaume de Jumièges)

Le récit de Guillaume de Poitiers repris par Orderic Vital donne une chronologie différente : accueil d'Harold à Rouen, serment d’Harold à Bonneville, guerre contre la Bretagne puis retour d’Harold en Angleterre.

« Il (Guillaume) fit entrer Hérald avec les plus grands honneurs dans Rouen, ville capitale de sa principauté…. Le duc se réjouissait de posséder un hôte si illustre, envoyé par le plus chéri de ses proches et de ses amis, et en qui il espérait trouver un très fidèle médiateur entre lui et les Anglais …
Une assemblée ayant été réunie à Bonneville, Hérald jura fidélité au duc selon la coutume chrétienne, ainsi que l'ont rapporté des hommes très-dignes de foi, … (suivent alors les clauses du traité qui seront évoquées ci-dessous).

Ensuite, sachant Hérald brave et avide d'une nouvelle renommée ainsi que les gens de sa suite, le duc les munit d'armes et de chevaux de grand prix, et les mena avec lui à la guerre de Bretagne. Il traita ce député et cet hôte comme un compagnon d'armes, afin, par cet honneur, de se le rendre plus fidèle et plus dévoué »

La tapisserie de Bayeux suit la première version. Elle permet aussi d’identifier la jeune fille appelée Aelfgiva debout dans la chapelle, ce serait cette Adelise promise en mariage à Harold.

Le second texte est très précieux car il permet de connaître la teneur des pourparlers survenus sitôt après la délivrance d’Harold  que la tapisserie de Bayeux semble montrer assez animés.

Voici ce qu’écrit Guillaume de Poitiers :

« Hérald jura fidélité au duc selon la coutume chrétienne ; et, ainsi que l'ont rapporté des hommes très-dignes de foi.., il fit entrer de lui-même dans le nombre des articles du serment, qu'aussi longtemps que vivrait encore le roi Edouard, il serait à sa cour le délégué du duc Guillaume; qu'il s'efforcerait autant qu'il pourrait, par ses conseils et ses secours, de lui faire confirmer, après la mort d'Edouard, la possession du trône d'Angleterre ; que, jusqu'à ce temps, il remettrait à la garde des chevaliers du duc le château de Douvres, fortifié par ses soins et à ses frais; que de même il remettrait au duc d'autres châteaux et d'autres parties de l'Angleterre, dès qu'il l'ordonnerait, et qu'il fournirait aux gardes d'abondantes provisions. Le duc, après l'avoir reçu pour son vassal, lui remit, sur sa demande et avant le serment, toutes les terres lui appartenant. »

Ce serment définit clairement les obligations d'Harold envers  Guillaume :
     - Guillaume confirme à Harold la possession de toutes les terres qu’il possède en Angleterre et en particulier de son comté de Wessex ; Harold devient, de ce fait, le vassal de Guillaume.
     - Harold doit accepter les ordres de Guillaume pour la période intermédiaire entre son retour en Angleterre et l’intronisation de Guillaume en tant que roi d’Angleterre : Il représentera Guillaume en Angleterre et devra le faire accepter par le royaume ; cela sous-entend qu’il devra réunir le Witanegemot (assemblée composée du haut clergé, des comtes et des barons) chargé d’élire le roi selon les coutumes anglo-saxonnes.
     - Enfin, afin de se juguler tout risque de révolte contre accession au trône d’Angleterre, Guillaume se fait remettre un nombre important de châteaux appartenant à Harold pour y installer des garnisons normandes.

Il est impossible de savoir si ce serment a été prêté en ces termes, pourtant, il peut paraître vraisemblable si on considère que le choix du roi dépendrait du witanegemot et non de la volonté d’Édouard qui avait choisi indûment Guillaume comme successeur sans se référer aux coutumes saxonnes, cette idée pourrait expliquer la suite des événements comme je les décrirai postérieurement.

En outre, on peut penser que lors de ces négociations, Harold était en position d’infériorité du fait que Guillaume avait payé sa rançon.

Sitôt les accords conclus, Guillaume et Harold partent combattre Conan, duc de Bretagne qui avait envahi la Normandie.

Sur le bandeau surmonté de la scène des négociations sont représentés deux personnages nus : l’un (E) porte une cognée et semble débiter un tronc, l’autre (F) se tient les jambes écartées mettant en évidence son sexe.

Prochain article : LA GUERRE DE BRETAGNE

jeudi 26 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (13)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA DÉLIVRANCE D’HAROLD (suite)

Les pourparlers entre Guy et les envoyés de Guillaume ayant abouti, Guy va, lui-même,  accompagner Harold jusqu’au château d’Eu pour le remettre à Guillaume.

Guillaume de Poitiers nous permet de connaître les termes de l’accord survenu :
« Le duc Guillaume ayant appris ce qui était arrivé à Hérald, envoya promptement des députés, et le tira de sa prison par prières autant que par menaces... Il rendit de dignes actions de grâces, remit des terres considérables, beaucoup de biens, et de plus de très-forts dons en argent à Gui, qui avait bien mérité de lui, et qui, sans y être forcé ni par récompense ni par violence, lui avait amené lui-même et présenté au château d'Eu un prisonnier qu'il aurait pu à son gré tourmenter, tuer ou vendre »

A la lecture de ce texte, on peut penser que Guy dût exiger que Guillaume verse lui-même la rançon exigée d’Harold pour sa délivrance.

Une fois l’accord survenu, Guy décida de se rendre sur le chemin  d’Eu, château situé quasiment à la frontière entre le Ponthieu et la Normandie pour rencontrer Guillaume et lui livrer Harold. Il est probable que la rencontre se produisit à la limite des deux dominations.

La scène est figurée dans la vignette qui suit :


Guy (3) portant son faucon montre Harold (2) tenant également  son faucon sur le poing,  à Guillaume (4) ; les deux seigneurs sont accompagnés d’hommes d’armes. La légende explicite l’action : HIC WIDO AD DIXIT HARILDUM AD WILHELMUM NORMANORUM DUCEM (Guy conduit Harold à Guillaume, duc des normands)

Les hommes d’armes accompagnant les trois protagonistes sont représentés de la même manière que ceux précédemment décrits ; on peut cependant noter que deux d’entre eux portent des jambières tenues par des sangles entourant le mollet. (A)

Parmi les dessins figurés sur les bandeaux encadrant la scène principale, on peut en remarquer un représentant une femme et un homme nus (B) :  l’homme au pénis en érection tend les bras vers une femme qui semble se protéger le sexe et la tête au moyen de ses mains.

La vignette  suivante est surmontée de l’inscription explicative suivante : HIC DUX WILGEM CUM HAROLDO VENIT AD PALADIUM SUUM (ici le duc Guillaume avec Harold parvient à son palais). Selon ce que j'ai pu observer sur cette scène, on reconnaît bien  Guillaume (4), par contre, Harold ne semble pas représenté.

Guillaume (4) et ses hommes d’armes arrivent en vue de son château, le cavalier situé en avant du cortège (C) hèle le portier (D) pour qu’il ouvre la porte (E).

Prochain article HAROLD ET GUILLAUME DANS LA GRANDE SALLE DU CHÂTEAU


mardi 24 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (12)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA DÉLIVRANCE D’HAROLD

Quand Guillaume,  duc de Normandie,  apprend la captivité d’Harold,  il décide d’intervenir ;  il le peut d’autant plus facilement que Guy est son vassal.

Quatre scènes correspondent à l’histoire de la délivrance d’Harold. A leur propos, il me semble qu’il apparaît une inversion de l’ordre chronologique :

Selon moi, il faut commencer la lecture par la scène où est mentionnée la phrase suivante : HIC VENIT NUNTIUS AD WILGEIMUN DUCEM (un messager vint au duc Guillaume)


Guillaume (4) est assis sur son trône présentant le même aspect que celui de Guy, il porte une épée levée en signe de sa puissance et, comme Guy, porte une longue tunique lui arrivant à mi-mollet et des braies (ou des chausses) à bandes molletières. Devant lui, se tient le messager (A) que l’on peut penser être d’origine saxonne par sa moustache. Il est à demi agenouillé comme il convient à un suppliant. Il est probable que cet homme est celui que l’on a vu dans la scène précédente quitter subrepticement le château de Guy. (Voir article précédent) Si c’est le cas, il est évident que ce messager demande à Guillaume de faire délivrer son maître.

Derrière Guillaume est représenté son château, ce château est semblable à celui d’Edouard et à celui où Harold a pris son repas avant son départ pour le continent. Il est ceint d’une courtine de pierre (B) surmontée d’un chemin de ronde (C) crénelé sur lequel se tiennent deux soldats et comporte des tours de coin (D). Dans l’enceinte du château, s’élève le donjon à deux niveaux : un niveau inférieur dont on n’aperçoit que quelques arcades dissimulées par le rempart et un niveau supérieur comportant la grande salle (E)  qui sert, comme les vignettes précédentes le montraient, à la fois de salle de festins et de salle de réception où se tient le souverain.

NUNTIL WILLEIMI (les messagers de Guillaume)  (F) sont alors envoyés dans le comté de Ponthieu ;  ils présentent le même aspect que les cavaliers qui accompagnaient Guy dans les vignettes précédentes : tunique descendant au niveau des genoux, lance, épée et bouclier décoré.


Ils se présentent devant Guy (3), l’un d’eux pointe son doigt vers lui en un geste qui pourrait sembler de menaces, Guy tient à la main une longue hache de combat, il porte un manteau, une tunique ornée  et des braies serrées au mollet par des bandes molletières ; il est probable que Guy veut impressionner les envoyés de Guillaume par sa tenue somptueuse.

On peut penser que la discussion dût être longue puisque, derrière les deux envoyés, les chevaux piaffent d’impatience, le petit personnage (G) qui tient les rênes des chevaux a bien du mal à les maîtriser.

Finalement les pourparlers aboutirent comme le montrent les vignettes qui vont suivre.

Sous la vignette représentant les pourparlers entre les envoyés de Guillaume et Guy sont figurés quatre scènes de travaux agricoles : 
   - (H) la scène de labour : les paysans utilisent une araire pourvue à l’avant de deux roues, c’est là que se tient un premier paysan qui conduit l’attelage tiré par un âne, derrière, un autre paysan tient le mancheron de labour, l’araire comporte un coutre et un soc, elle n’est pas pourvue d’un versoir et creuse simplement un sillon sans retourner la terre.
   - (J) les semailles effectuées à la volée
   - (K) le hersage avec une herse tirée par un cheval que conduit un paysan.
   - (L) la dernière scène montre un paysan pourvu d’une fronde chassant les oiseaux venant manger les graines.

Prochain article : LA DELIVRANCE D'HAROLD suite.



samedi 21 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (11)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LA PÉRILLEUSE TRAVERSÉE DE LA MANCHE PAR HAROLD

Harold peut prendre la mer comme l’inscription le mentionne : HIC HAROLD NAVIGAVIT (ici Harold prend la mer)

La tapisserie de Bayeux montre Harold (2) embarquant, il a retiré ses braies, a relevé sa tunique et tient son faucon sur le poing. Il est suivi par un homme également pieds nus portant un chien et par deux rameurs tenant leurs rames à la main (A). La profondeur de l’eau est rendue par des ondulations en oblique orientées vers le haut et vers le bateau.

Les rameurs (B) sont déjà à leur poste, ils vont mener le bateau vers le large afin de permettre la navigation à la voile. A l’avant, un marin finit de lever l’ancre (C) ; à l’arrière, pend la rame gouvernail (D) ; au centre du bateau, un marin installe le mât qui portera la voile.

La vignette suivante représente un des bateaux d’Harold voguant en pleine mer.

Ce bateau n’est pas le même que celui précédemment représenté : il possède à la proue et à la poupe, des sculptures figurant des têtes de ce que l’on peut qualifier de monstres mythologiques (E ), tels qu’il devaient en exister sur les drakkars Vikings. Les rames ont été rentrées et les boucliers (F) ont été alignés sur les flancs extérieurs de la coque.


Le bateau navigue au moyen d’une seule voile en utilisant le vent arrière, il est donc totalement dépendant des vents ; la voile, au lieu d’être gonflée, semble hors de contrôle des marins, ce qui signifie que l’embarcation est prise dans une violente tempête. Au moyen d’une longue rame, un marin situé à la proue (G) tente de maintenir le cap.

Sur la bande inférieure est représenté deux scènes de combat :
   . Combat entre un volatile et un félin,
   . Un berger tente de protéger son troupeau contre l’attaque d’un animal sauvage.

La conséquence de cette situation est mentionnée dans l’inscription surmontant le navire : ET VELIS VENTO PLENIS VENIT IN TERRA WINDONIS COMITIS (la voile gonflée par le vent, il échoue sur les terres du comte Guy) cette allégation est mentionnée par les deux chroniqueurs :

: « Harold fit ses préparatifs pour aller régler cette affaire, traversa la mer, et débarqua à Ponthieu, où il tomba entre les mains de Gui, comte d'Abbeville: celui-ci le fit prisonnier ainsi que tous les siens, et le garda étroitement enfermé » (Guillaume de Jumièges,),

« Comme Hérald s'empressait de venir pour cette affaire, après avoir échappé aux dangers de la traversée, il aborda au rivage du Ponthieu, où il tomba entre les mains du comte Gui. Ayant été fait prisonnier avec les gens de sa suite, on le mit en prison » (Guillaume de Poitiers).


La vignette suivante représente un bateau arrivant en vue de la côte. Un homme (H) est grimpé sur le mât et tente de se repérer, les rameurs (J) ont sorti les rames afin d’accéder au rivage tandis qu’un marin se prépare à jeter l’ancre (K). Les hommes du bateau de tête (L) ont déjà débarqué et jeté l’ancre (L) tandis qu’Harold (2) tente d’expliquer sa présence au comte Guy (3) qui se tient sur la grève accompagné d’une troupe d’hommes d’armes.

Guy ne veut rien entendre, il est dans son bon droit car, au nom de son droit de bris et naufrage, il peut saisir sur tout ce qui échoue sur ses plages. Il peut s’emparer des biens matériels et faire prisonniers les occupants des navires jusqu’à ce qu’ils paient une rançon. Harold sitôt débarqué, est saisi par deux hommes d’armes sans même qu’il ait pu remettre ses habits.

L’inscription mentionne ce fait : HIC APPRENDIT WIDO HAROLDUM (ici Guy se saisit d’Harold)


Sur le panneau inférieur, les mêmes scènes de violence se poursuivent : muni d’un bâton, un berger réussit à chasser les bêtes sauvages qui menacent son troupeau.

Prochain article : HAROLD EST EMPRISONNE


CARTE MONTRANT LE LIEU DE DÉPART D'HAROLD ET SON LIEU D’ARRIVÉE 
Jaune : royaume d'Angleterre
Gris : duché de Normandie
Vert : comté de Ponthieu
Orange : duché de Bretagne.

jeudi 19 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (10)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

LE VOYAGE D’HAROLD

Il est décrit dans sept scènes successives :


Sur la première vignette, on voit d’abord  Harold (2) chevaucher à la tête de ses chevaliers vers Bosham, lieu de l’embarquement ; c’est ce qui est indiqué sur la vignette (UBI HAROLD DUX ANGLORUM ET SUI MILITES EQUITANT AD BOSHAM ; ici, Harold duc des anglais chevauche avec ses hommes d’armes vers Bosham). Il est dessiné en tête de la troupe et porte un faucon (A) tenu sur le poing ; devant lui court la meute de ses chiens : Harold profite de son voyage pour chasser au faucon, une forme aristocratique de chasse. Les chevaux portent une selle d’où pendent les étriers.

Devant les chiens est dessiné un arbre superbement stylisé. (B)

La deuxième vignette montre une église (C) (ECCLÉSIA) ; on en distingue l’entrée cantonnée de deux tours (D) ; cette entrée, surmontée d’un toit, doit être un narthex. Au-dessus, se trouve la façade latérale  de l’église comportant une rangée de petites fenêtres. L’église est présentée à peine plus grande que les personnages pour la lisibilité de l’action. Harold (2) est dessiné à demi-agenouillé en prière : cela est habituel quand on doit quitter son pays pour effectuer un long voyage pouvant se révéler périlleux.

Arrivé à Bosham, Il faut attendre la marée montante qui, seule, permettra de mettre en eau les bateaux échoués sur la grève. Harold et ses compagnons en profitent pour se restaurer.

La tapisserie de Bayeux montre un certain nombre de châteaux, cela permet de penser que la partie représentée ci-contre, en représente le donjon. Ce donjon comporte deux niveaux: à l’étage se trouve une grande salle (E) servant ici pour les festins mais où se déroulent tous les actes de la vie quotidienne du seigneur ; cette grande salle est couverte d’un plafond de bois et est accessible par un escalier extérieur. (F)


Au niveau inférieur est dessinée une rangée de  colonnes à chapiteaux reliées par des arcades (G), il est probable que plusieurs de ces rangées de colonnes existaient et qu’elles devaient supporter un plafond en bois,

Les convives sont assis devant la table figurée par un simple trait rouge, de la nourriture est posée à même la table, ils portent à la main une corne à boire, seul Harold (2) tient une coupe.

C’est pendant le repas qu’un serviteur (H) vient annoncer aux voyageurs que la marée est suffisamment montée pour que le départ soit possible.

Prochain chapitre : LE PÉRILLEUX VOYAGE D'HAROLD

mardi 17 septembre 2019

LA TAPISSERIE DE BAYEUX, témoignage de la vie et des mentalités au 11e siècle (9)

HISTOIRE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS DÉCRITS DANS LA TAPISSERIE DE BAYEUX

 LE ROI ÉDOUARD ENVOIE HAROLD EN MISSION.

La première scène de la tapisserie comporte la mention EDWARD REX, (le roi Édouard).



Elle se déroule dans une salle du palais royal. Selon une convention générale à la tapisserie de Bayeux, cette salle est figurée plus grande que le palais lui-même. Ce palais comporte, à gauche, un donjon (A)  reconnaissable à ses deux niveaux, à son entrée précédée d’une rampe, à sa grande salle de l’étage et aux tours qui le cantonnent.

Le palais est lui-même fortifié, comme le montre la tour située à droite qui comporte la porte d’entrée du château. (B)

Le roi (1) est assis sur un coussin surmontant un coffre qui lui sert de chaise ; ce coffre, sans dossier, comporte deux accoudoirs sculptés en forme de têtes de lion et des pieds prenant la forme de pattes de lion ; cette forme de trône se retrouvera dans la plupart des scènes montrant un souverain médiéval en majesté. Devant le trône, se trouve un petit tabouret sur lequel le roi pose les pieds.

Édouard est coiffé de la couronne ; il porte une barbe, sans doute pour montrer son grand âge, tient un sceptre à la main et est vêtu d’un long manteau masquant sa probable tunique en évoquant le pallium caractéristique de la fonction royale. Le roi est représenté de face, ce qui est assez exceptionnel sur la tapisserie de Bayeux, la quasi-totalité des autres personnages l'étant de profil ou plutôt de trois quarts.

De part et d’autre du roi, se trouvent deux hommes dont Harold (2). Harold et son compagnon sont vêtus de la même manière : une tunique courte (appelée le bliaud) à manches longues, tenue à la taille par une ceinture , des braies serrées aux mollets, et des chaussures ; il porte, au-dessus de sa tunique,  un manteau fermé par une broche à l’épaule droite. Ce costume est celui de l’ensemble des personnages nobles et laïcs représentés sur la tapisserie de Bayeux, les paysans sont habillés d'un costume semblable, à l’exception du manteau qui caractérise les nobles.

Il n’est évidemment pas spécifié, sur la tapisserie de Bayeux, la teneur de la conversation entre Harold et le roi. On constate simplement qu’à la suite de cette conversation, Harold quitte l’Angleterre et s’embarque vers la Normandie.

Quel était le but de cette ambassade ? Pour tenter de le découvrir, on peut se référer aux deux chroniques de l’époque rédigées par Guillaume de Poitiers et Guillaume de Jumièges dont voici,
ci-dessous, deux extraits :

Edouard, roi des Anglais, se trouvant, par les dispositions de la Providence, sans héritier direct, avait… institué le duc  (Guillaume) héritier du royaume que Dieu lui avait confié. Dans la suite il envoya… au même duc, Harold, le plus grand de tous les comtes de son royaume par ses richesses, ses dignités et sa puissance, pour lui garantir sa couronne, et confirmer cette promesse par des serments, selon le rite chrétien. (Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum Ducis, chap 31)

Presque dans le même temps Edouard, roi d'Angleterre … assura son héritage à Guillaume, qu'il avait déjà établi son successeur, et qu'il chérissait comme un frère ou un fils… Il lui envoya, pour lui confirmer sa foi par le serment, Hérald, le plus élevé par ses dignités et sa puissance de tous ceux qui étaient soumis à sa domination … Ce fut avec la plus grande sagesse qu'il le choisit, afin que ses richesses et son autorité contraignissent les Anglais à se soumettre dans le cas où …, ils voudraient s'opposer à ce qu'il avait décidé. (Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi ll Ducis Normannorum,)

Ces deux chroniques montrent une parfaite correspondance : Édouard envoie Harold auprès du duc de Normandie pour confirmer à ce dernier qu’il sera le futur roi d’Angleterre.

Leurs témoignages présentant le point de vue des Normands, peuvent paraître, à première vue, difficile à croire : Selon leurs versions, Edouard, roi d’origine anglo-saxonne, contraint à l’exil par l’invasion du royaume de son père par les armées danoises de Sven et dont les ancêtres ont lutté constamment contre les danois, donnerait son royaume à un descendant de ces mêmes danois établis en Normandie !

Pourtant la version des chroniqueurs normands repose sur un certain nombre de raisons : en voici au moins trois :
     - D’abord, la mère d’Edouard, Emma, est elle-même normande, fille du duc Richard 1er et sœur du duc Richard 2
     - Ensuite, Édouard a vécu de 1013 à 1342 en Normandie, soit pendant presque trente ans, il est donc beaucoup plus influencé par la culture normande que par celle de l’Angleterre anglo-saxonne. Cela l'a conduit, comme je l’ai écrit plus haut, à choisir ses dignitaires parmi des normands plus que parmi des anglo-saxons. En outre, il a connu Guillaume enfant et a pu mesurer sa forte personnalité.         -  Enfin, il parait évident que Édouard ne doit pas porter dans son cœur la famille d’Harold, il n'a pas  sans doute pas oublié que le père d’Harold est directement responsable de la mort de son frère Alfred et que Godwin, s’étant érigé systématiquement en contre-pouvoir, voulut imposer au roi son autorité du fait qu’il était  le plus puissant seigneur du royaume. Il est donc probable qu’il craint qu’Harold prenne le pouvoir après sa mort, ce qu’il ne veut à aucun prix. Dans cette hypothèse, le roi devait penser que seul un prince puissant, comme Guillaume, pourrait contrebalancer les aspirations d’Harold à la royauté.

Ces trois raisons rendent-elles vraisemblables la version des chroniqueurs normands ? On ne le saura sans doute jamais.

Prochain article : le voyage d'Harold