REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

lundi 15 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (4)

  LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834 (2)

LA POLITIQUE DE L’ARMÉE EN ALGÉRIE

 LA POURSUITE DE LA CONQUETE

Sans tenir compte de l’opinion publique ni même probablement du gouvernement, les généraux en charge du corps expéditionnaire envoyé en Algérie  étendent la conquête à d’autres villes qu’Alger et s’emparent des principales villes côtières des « échelles du levant » : ORAN en 1831, BONE (ANNABA) en 1932, BOUGIE, ARZEW, MOSTAGANEM en 1833. À cette époque, la conquête française ressemble à celle des presides espagnols, en formant une chaîne discontinue de possessions allant de la frontière tunisienne à la frontière marocaine. De même, ils s’emparent du Sahel d’Alger, une petite région de collines au sol fertile et bien cultivée.

 

LA CONSTITUTION DE L’ARMEE D’AFRIQUE

Afin de tenter une réponse  aux critiques de ceux qui stigmatisent le fait que l’on sacrifie la vie des français pour une conquête ressentie comme inutile et pour des raisons budgétaires, le gouvernement décida de diminuer l’effectif des soldats envoyés en Algérie. Ainsi, alors que l’armée envoyée à Alger lors de la conquête comportait 37.000 hommes, il fut prévu, dans le budget de 1831,  de réduire les effectifs à 9000 hommes.

 Les militaires en poste à Alger firent part de leur préoccupation quant à ce projet : il leur fallait en effet contrôler les zones conquises pour les pacifier, effectuer de nouvelles conquêtes afin de mieux les protéger, subjuguer les tribus de l’arrière-pays pour faire cesser leurs raids. En outre, il fallait aussi tenir compte de la forte mortalité sévissant parmi les soldats à la fois du fait des attaques venues des hauts-plateaux et de la forte mortalité survenue dans les garnisons en poste dans les fortins établis dans les zones malsaines.

Afin de pallier aux doléances de l’armée à propos de la faiblesse des effectifs et pour l’adapter aux conditions climatiques, géographiques et aux méthodes de combats sévissant dans le pays, l’armée d’Afrique se dota très tôt d’auxiliaires autochtones. Ces corps d’auxiliaires furent très utiles à la fois par leur connaissance du pays et de la langue des habitants.

 Le 1er octobre 1830, le général Clauzel (général en chef de la conquête du 2 septembre 1830 au mois de février 1831, il reviendra en Algérie en tant que gouverneur général en juillet 1835 jusque 1837) décide de créer deux bataillons de 100 autochtones. Les premiers volontaires furent des kabyles de la tribu des Zouaoas, ce qui donna son nom aux zouaves. Le nom est resté bien que, très vite, les zouaves ne comprirent que des français. Ils sont appelés aussi les « chasseurs d’Afrique. » La loi de 1831 cautionna cette décision. Des cavaliers zouaves forment la première unité montée de l’armée d’Afrique. Trois régiments zouaves de cavalerie sont organisés en 1832, 

 De même sont incorporés les compagnies turques à la solde du Dey au fur et à mesure de l’extension de la conquête, ils sont qualifiés du terme génériques d’ « arcos ».ils se différencient en tirailleurs et en spahis à cheval. En 1834, les spahis comprennent 218 cavaliers.

 Enfin, le 9 mars 1831, le gouvernement décida de rétablir la légion étrangère qui avait été supprimée deux mois plus tôt avec création de sept bataillons de 895 légionnaires chacun, cela représente  une force de 4965 légionnaires. Au début, les sept bataillons furent composés selon leur nationalité (3 d’allemands et de suisses, un d’espagnols, un d’italiens, un de belges et d'hollandais et un de polonais) mais très vite, on abandonna cette répartition pour mettre en place le principe de la fusion. Les légionnaires seront formés en France mais ils ne pourront pas intervenir en Métropole, le champ d’action étant limité aux théâtres d’opérations extérieures. 

Ainsi, se constitua l’armée d’Afrique avec association de soldats français et d’unités auxiliaires. Ces dernières étant toutes commandées par des officiers français, ce qui évidemment favorisait la cohésion de cette armée.

LES CONDITIONS DIFFICILES DES COMBATS ET L’INSTAURATION DE LA TERREUR

Les combats que livre l’armée d’Afrique, à cette époque, relèvent plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes du fait de la pression continuelle des tribus qui crée un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

Un peu partout et surtout dans la zone occupée d’Alger, les français se heurtent à trois difficultés majeures :

     . La première résulte de la configuration du relief : les plaines littorales
où se trouvent les villes conquises, sont étroites et sans lien réel les unes avec les autres, sauf par la voie maritime ; très vite, en allant vers le sud, les altitudes s’élèvent et rapidement, on se trouve sur des plateaux dominés par des massifs montagneux culminant à plus de 1500m de haut. Cet arrière-pays forme une barrière continue, difficile d’accès, seules les vallées  encaissées des oueds permettent d’y circuler malaisément.

Dans la région d’Alger, la circulation vers le sud pourrait sembler plus aisée du fait de la présence d’une plaine entre le littoral et les crêtes de l’Atlas de Blida ; en réalité, ce n’est pas le cas, car la plaine, appelée MITIDJA, n’est qu’un vaste marécage malsain infesté de moustiques en sorte que si on y installait un fort de protection, la garnison était vite décimée par la pestilence

     . La deuxième difficulté résidait dans la présence sur les hauts plateaux de tribus belliqueuses soucieuses de chasser les étrangers de leur pays à la fois pour des raisons idéologiques et de fierté collective mais aussi et surtout parce qu’elles considèrent que les terres usurpées par les français sont à elles : beaucoup ont dû, en effet, les abandonner pour échapper à la domination des envahisseurs, les privant ainsi d’espaces qui leur étaient utiles (la Mitidja était, par exemple, une zone de pacage d’été).

     . La troisième raison est la différence entre les techniques militaires des français et celles des tribus :

          . Les tribus  combattent au moyen d’une cavalerie légère extrêmement mobile et possédant l’avantage notoire de connaitre parfaitement le terrain. Leurs attaques sur les terres occupées par les français prennent la forme de raids rapides qui surprennent les postes français et les premiers colons installés. Ils pillent et tuent tant qu’ils le peuvent et  se retirent dès que l’adversaire réagit et organise sa défense.

         . Habitués aux combats en Europe,  les expéditions punitives organisées par les français sont composées de colonnes lourdement armées, disposant de pièces d’artillerie et se mouvant lentement dans un pays qu’ils ne connaissent pas : ils sont à la merci d’embuscades, en particulier dans les gorges des vallées encaissées et de raids aussi soudains de meurtriers.

 En conséquence, pour faire cesser ces raids sur les territoires que les français estiment leur appartenir et dompter ces tribus, l’armée pratiqua une politique de terreur, Cette politique relevait plus de la nécessité qu’à des tentatives impérialistes, du fait de la pression continuelle des tribus qui créaient un climat d’insécurité continuelle dans les zones occupées.

 LA TERREUR

Cette politique de terreur est parfaitement illustrée par le massacre de la tribu des Ouffia en 1832 cité dans un livre de Christian Pierre, l’Afrique française paru  en 1848 :

 «  Un cheik, des confins du Sahara et ennemi personnel du bey Hadj-Ahmed (bey de Constantine sous le Dey, ayant fait allégeance à la France, il conserva son poste),   dont il convoitait le pouvoir, envoya, dans le courant de mars, une députation, au duc de Rovigo (Anne Jean Marie René Savary général d’Empire, commandant en chef de l’armée algérienne de 1831 à 1833 pour l'engager à faire une expédition contre Constantine, et lui promettre, le concours des nombreuses tribus rangées sous son autorité. Ces ambassadeurs n'obtinrent du duc de Rovigo qu'une réponse évasive, mais ils partiront comblés de présents. A quelques lieues d'Alger, des maraudeurs les dépouillèrent sur le territoire de la petite tribu d'El-Ouffla, qui campait près de Maison-Carrée, sous notre protection.

Le général en chef, informé de cet accident, ne prit point, la peine d'en rechercher les circonstances, mais, se livra au contraire, à une précipitation de jugement qu'aucune véritable nécessité ne justifiait,... En vertu de ses instructions, un corps de troupe du 1er chasseur d'Afrique et du 2e bataillon de la légion étrangère …, sortit d'Alger pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit, au point du jour, la tribu, endormie sous ses tentes, et égorgea tous les malheureux El-Oufflas, sans qu'un seul chercha même à se défendre, Tout ce qui vivait fut voué à la mort; ou ne fit aucune distinction d'âge ni de sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances, et l'une d'elles servit, dit-on, à un horrible festin. Tout le bétail enlevé sur ce champ de désolation fui vendu au consul de Danemark ; le reste du butin, sanglantes dépouilles d'un  effroyable carnage, fut exposé au marché de la porte Rab-Ayoun , on y voyait avec horreur des bracelets de femme encore attachés à des poignets coupés, et des boucles d'oreilles pendant à des lambeaux de chair, Le produit de cette vente fut partagé entre les égorgeurs.

Un ordre du jour du 8 avril, consacrant une telle infamie, proclama la haute satisfaction du général pour l'ardeur et l'intelligence que les troupes avaient montrées, Le soir, sa police ordonna aux Maures d'Alger d'illuminer leurs boutiques et de les tenir ouvertes plus tard que de coutume.

Pour combler la mesure de ces excès, le cheikh des El-Ouffîas n'échappa aux fureurs de l'extermination que pour (être jugé), il fut traduit devant un conseil de guerre, jugé et exécuté, bien qu'on eut déjà acquis la certitude que ce n'étaient pas les El Ouffias qui avaient dévalisé les prétendus ambassadeurs du désert.

Mais acquitter le chef, c'était déclarer la peuplade innocente, et condamner moralement ceux qui en avaient ordonné le massacre, »

Le même auteur cite le massacre perpétré  à Bône par le capitaine Youssef (pseudonyme donné par ses troupes à Joseph Venturi qui deviendra plus tard général)

« Des Arabes d'une tribu inconnue, vinrent, sous les murs de la ville, s'emparer quelques bœufs. Le capitaine Youssef décida que les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharézas; le même soir, il partit avec les Turcs, (ARCOS soldats du Dey ralliés à la France) s'embusquer de nuit dans les environs de cette tribu, et, lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards, Une réflexion bien triste suivit cette victoire, lorsqu'on apprit que celte même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône , approvisionnait notre marché, et qui, la veille, jouissait encore de la confiance de Youssef lui-même. Le retour des Turcs fit une funeste impression sur les habitants de la ville, lorsqu'on aperçut une tête d'Arabe sur le drapeau français.

   Ainsi, il s’instaure en Algérie un cycle infernal de la violence. Outrés par la férocité des expéditions de représailles françaises, les tribus organisent des coups de main de plus en plus meurtriers et de plus en plus violents. Cela donne lieu à de nouvelles ripostes des français de plus en plus sanglantes : ils brûlent les douars et massacrent les habitants en n’épargnant personne même les innocents, les femmes et les enfants et repartent en ne laissant derrière eux que ruines et désolations.

  De telles horreurs ne pouvaient pas rester impunies : les expéditions punitives de l’armée française étaient suivies de nouvelles razzias des tribus, établissant ainsi une ère de saccages et de férocité ne paraissant pas devoir finir et qui caractérisa presque toute la période de la Monarchie de Juillet

 Bien peu se rendait clairement compte que ce règne de terreur  ne pouvait mener à rien sauf à des massacres réciproques, très peu de tribus firent leur soumission, les autres furent animées d’un esprit de vengeance de plus en plus fort.


mercredi 10 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (3)

 LES PREMIERES ANNEES DE 1830 À 1834

La capitulation et la Prise d'Alger surviennent le 5 juillet 1830 et sont connues à Paris le 9 juillet. Fort de ce succès militaire, le roi Charles X, à une époque de crise entre les ultras-royalistes et les libéraux, décide de reprendre la main en publiant six  ordonnances dont quatre évoquent un coup d'Etat. (dissolution de la chambre à majorité libérale qui vient d'être élue et modification du suffrage censitaire, musèlement de la presse). Cette publication met le feu aux poudres, le peuple se soulève (les trois Glorieuses des 26-27 et 28 juillet) mais, il se voit imposer par la bourgeoisie un nouveau régime, celui dit de la monarchie de Juillet du roi Louis-Philippe.

 A cette époque, le gouvernement de Louis Philippe est pris au dépourvu par cette occupation militaire  d’Alger et de son immédiate banlieue. Il constate, dès son arrivée aux affaires, que la prise d’Alger était seulement le fruit d’une improvisation destinée à redorer le blason de la monarchie de Charles X : elle n’avait été ni planifiée, ni pensée en tant que projet d’avenir. Dans ces conditions, il lui fallut improviser à la fois en tenant compte de l’opinion publique, du vote des chambres et de l’action de l’armée bien décidée à étendre la conquête.

L’ÉTAT DE L’OPINION PUBLIQUE CONCERNANT LA PART CONQUISE DE L’ALGERIE

 L’opinion publique est partagée en trois camps antagonistes :  

   . Certains prônent non seulement le maintien sous l’obédience française de la région d’Alger et des zones conquises mais aussi l’extension de la conquête vers le sud. Dans un livre pamphlet paru en 1835, un auditeur au conseil d’état, Agenor de Gasparin,  indique, pour les rétorquer, leurs arguments :

         . En colonisant Alger, nous ouvrirons un large débouché à nos produits, échangés avec ceux d'un pays fertile, et transportés par notre marine marchande, qui recevra de ce commerce une nouvelle activité.

         . Nous ouvrirons un lieu de déportation à nos condamnés, et un débouché à la lie de notre population surabondante. 

         . Nous aurons une école pratique où notre armée viendra s'instruire (à une époque où l’Europe est globalement en paix), Nous fortifierons notre puissance militaire, et acquerrons sur la Méditerranée la prépondérance.

        . Par Alger, nous nous assurons des communications importantes et un vaste commerce d'entrepôt. 

        . Nous obéirons à des motifs plus élevés encore, en accomplissant sur le continent africain une grande mission civilisatrice. 

        . Il ne faut pas nous  laisser décourager par la stérilité des premiers efforts, car elle résulte essentiellement des fautes commises par les administrateurs de la colonie. 

        . L'Angleterre nous conteste le droit de garder Alger, dit-on. Notre retraite serait donc une lâcheté, car elle aurait l'air d'être le résultat de ses menaces.

   .  D’autres  voudraient abandonner les terres conquises en Algérie. Comme je l’ai mentionné en prologue, la conquête coloniale est mal vue à l'époque, on se souvient certes encore du cuisant souvenir de la perte de la plupart de nos colonies après le traité de Paris de 1763 consécutivement à la guerre de sept ans, mais la majeure partie des arguments contre la conquête sont plus prosaïques et pratiques : en voici quelques-uns signalés par Agenor de Gasparin :

          . La colonisation coûte cher et nécessite la présence d'importantes troupes de pacification. Les populations autochtones, en effet, sont hostiles et prêtes à bouter l’ennemi hors de leurs frontières : cela ne mérite pas les sacrifices d’hommes et d’argent nécessaires pour maintenir la présence français.

         . La colonie ne rapporte rien, comment des colons pourraient cultiver dans l’état de guérilla perpétuelle ? En outre, les terres fertiles sont peu nombreuses, le sol étant occupé par de nombreux marécages infestés de moustiques qu’il convient de drainer au prix d’efforts financiers considérables.

         . La terre algérienne ne permet pas de cultiver des produits complémentaires à ceux de la métropole comme la canne à sucre et le tabac.

         . Il est illusoire d’imaginer qu’à partir des zones conquises, on puisse développer le commerce d’entrepôts et de transit avec l’Afrique : les plaines littorales sont, en effet, bordées de barres montagneuses et de hauts plateaux peu commodes à franchir. En outre, les sites des ports sont médiocres (à l’exception toutefois de celui d’Oran conquis en 1832)

      . Quelques-uns veulent maintenir la présence française à la zone déjà conquise ; pour  le reste, il suffirait de s’entendre avec les chefs locaux à qui on confierait le pouvoir sous la suzeraineté de la France. L’avenir montrera que cette position  est  intenable du fait du caractère belliqueux des tribus de l’arrière-pays, qui veulent chasser les français de leurs positions et de la configuration géographique du pays. 

  Cette division de l’opinion publique rejaillit bien évidemment lors des débats, généralement houleux à la chambre, en particulier lors du vote du budget du ministère de la défense et du coût prévisionnels du maintien d'une armée importante.

vendredi 5 novembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (2)

  PROLOGUE (2)

L'ETAT DE LA REGENCE ET LE RÉGIME DES TERRES EN  ALGERIE AVANT LA CONQUÊTE FRANÇAISE

Cette parenthèse dans ma description de la conquête de l’Algérie par la France de la Monarchie de Juillet est nécessaire si on veut comprendre les méthodes employées par les français pour effectuer la spoliation des terres et biens des autochtones. 

 

LA REGENCE

Il convient de rappeler d’abord que depuis 1520, date où Kayr Ad Din Barberousse a rendu hommage au sultan Selim 1er, l’Algérie est devenue une province ottomane, cependant, un peu avant la conquête française, les liens s’étaient distendus avec la Sublime Porte : le Dey d’Alger, était devenu pratiquement indépendant même si était maintenue une suzeraineté plus théorique que réelle du Dey au sultan d’Istanbul. Trois beys vassaux du Dey, disposent du

pouvoir régional, ils sont établis à Medea, Oran et Constantine.


Comme le montre la carte, les zones dominées directement par le Dey sont divisés en deux parties reliées par une étroite bande de terres contournant la Kabylie, pays traditionnellement rebelle à toute incursion étrangère. 

Outre ces territoires placés directement sous son obédience, le Dey, par délégation du Sultan, possède une souveraineté plus théorique que réelle sur un ensemble de royaumes, de tribus et de confédération de                                                                                 tribus.


 LE PRINCIPE GENERAL DU REGIME DES TERRES

Une première caractéristique du régime des terres existant dans la Régence d’Alger  est constituée par la différence entre terres mortes et terre vives, 

     . Les premières ne produisent rien et ne sont pas exploitées, elles n’appartiennent à aucun humain jusqu’au moment où quelqu’un décide de les vivifier ; alors, la mise en valeur équivaut à un titre de possession même s’il faut le faire reconnaître par le souverain qui, théoriquement, au nom de Dieu, est possesseur de toutes les terres.    

     . Les terres vives ou vivantes sont classées en deux grandes catégories, les terres ARCH et les terres MELK.

 

LES TERRES ARCH

Les terres ARCH étaient mises à disposition des tribus par le souverain, elles sont collectivement la propriété de la tribu, sont incessibles et inaliénables sans que l’on puisse en vendre même une parcelle. Chaque chef de famille de la tribu reçoit la part de terres qu’il est capable de cultiver et qu’il conserve tant qu’il est à même de le faire. Il ne possède pas la terre et n’en est seulement que l’usufruitier. Il peut néanmoins léguer sa part à ses enfants et

même à ses collatéraux aux mêmes conditions. C’est seulement en cas de déshérence que les terres reviennent à la collectivité, Les terres non attribuées sont communes et servent généralement de zone de pâturages pour les troupeaux. Ce système caractérise plutôt l’intérieur des terres steppiques du pays.

 

Une composante particulière de ces terres ARCH est représentée par les terres MAGHZEN. Elles sont concédées à des tribus constituées en colonies militaires, ce qui permet de suppléer au faible effectif des armées du souverain et des beys. Chaque chef de famille recevait un lot de terre, des instruments de travail, un cheval ; en échange, il s'engageait à fournir à toute réquisition, un service militaire organisé sous les ordres d'un caïd. Ces colonies  devaient réprimer les éventuelles rébellions et percevoir les impôts sur les tribus. 


La différence des terres MAGHZEN avec les terres ARCH était que la concession des premières était révocable à tout moment, par contre, elles sont cultivées de la même manière que les terres ARCH. Les terres MAGHZEN étaient en général établies aux endroits stratégiques.

 

LES TERRES MELK 

Les terres MELK appartenaient en pleine propriété à leurs possédants qui pouvaient les vendre ou les diviser à son gré, elles pouvaient être directement cultivées par leur propriétaire ou par des ouvriers agricoles ayant le statut de fermier ou de métayers.

 

Le danger de ce système résidait dans le morcellement lors des héritages d’autant que, selon le droit musulman, les filles avaient un droit égal à celui des garçons lors du partage.

 

Pour pallier à ce danger, deux solutions avaient été mises en place :

 . Le système des HAOUCH, de grandes fermes appartenant à une famille qui cultive le sol collectivement, elles sont vendables même par parcelle mais, dans ce cas, la famille possède un droit de rachat immédiat sur ces cessions.

 . Les terres HABOU. Le HABOU, dit privé, est constitué par un propriétaire qui indique que le dernier dévolutaire de la terre sera une confrérie, une institution charitable ou encore une mosquée dont celles de Médine et de La Mecque. À partir de ce moment, les terres deviennent inaliénables ; elles sont cependant transmises aux héritiers du fondateur jusqu’à extinction de la lignée. les terres deviennent alors la propriété du dernier dévolutaire et sont qualifiées d'HABOU publics. Ce type de propriété terrienne est appelée WAQF

 

LE BEYLIK

La dernière catégorie de terres, le BEYLIK, correspondaient aux terres appartenant en propre au souverain. Ces terres étaient mises en valeur de diverses manières : elles peuvent être cultivées en faire valoir direct par des fermiers qui recevaient 1/5 des récoltes ; elles pouvaient aussi être concédées à titre d’apanage aux princes, aux dignitaires, aux fonctionnaires ou même à des services publics, elles pouvaient être aussi mises en valeur au

moyen de corvées et être aussi concédées a des tribus et en particulier aux tribus MAGHZEN. La plus grande partie des terres du Sahel d’Alger, possession directe du souverain, portait le nom de DAR ES SULTAN.

 

vendredi 29 octobre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (1)

 PROLOGUE

1- LE LEGS DU PASSÉ 

La volonté de puissance a toujours été partie intégrante des mentalités de l'Europe occidentale, elle a conduit les Etats et les peuples à imposer leur  domination dès qu’ils en furent capables ou dès qu'une opportunité se présenta. En ce sens, ils diffèrent des autres civilisations, et en particulier, es civilisations asiatiques, dont le but était de préserver leur civilisation en se coupant du reste du monde ressenti par eux comme barbare et en préservant simplement leurs marges territoriales pour se prémunir de possibles invasions : alors que les chinois construisaient des murs pour se protéger des mondes extérieurs, les européens attaquaient ces mondes extérieurs pour leur imposer leur domination, les piller  et si besoin était, pour les exterminer. 

 

Les premières de ces colonisations, hormis celles de l’antiquité et du Moyen-âge, furent accomplies lors des grandes découvertes du 16e siècle, elles en constituent l'archétype dans toute leur sauvagerie et leur  inhumanité : il me suffit d'en évoquer ici quelques caractéristiques de la conquête espagnole en Amérique  pour le montrer : 

     . Destruction totale de toutes les civilisations qui sont pratiquement complètement perdue pour nous et de toutes  leurs structures tant politiques, religieuses et administratives. 

     . Spoliation généralisée de tout ce qui avait de valeur, confiscation des terres les plus fertiles, pillage éhonté de  ce qui pouvait avoir de l’intérêt pour permettre l'enrichissement de 

l' Europe 

     . Travail forcé dans les mines et dans les plantations sous des conditions d'une totale inhumanité ; cette mise en esclavage s'accompagnant même d'interrogations pour savoir si les peuples que l'on asservissait étaient des hommes pourvus d'une âme ou des animaux ! 

     . Enfin, une fois le " génocide" accompli, quand il n'y eut plus assez d'hommes valides pour travailler ( à Cuba par exemple qui fut le siège de la  civilisation  ARAWAK des TAINO,   particulièrement brillante et dont il ne reste rien) , les européens eurent recours, sans aucun scrupule, à l'importation d' esclaves noirs  ce qui amena le malheur à frapper de larges pans de l'Afrique. 

    

Ce qui précède est le fait non seulement des espagnols mais aussi de tous les autres peuples européens en particulier aux Antilles : les premiers occupants indiens  furent exterminés tant par le travail que par les guerres, il ne reste que d'eux, outre des objets découverts par les fouilles archéologiques, que quelques inscriptions et pétroglyphes  ininterprétables, ainsi que de rares rescapés  parqués  dans des réserves ; les sociétés antillaises se résument toutes à un dualisme entre les riches colons qui possèdent encore les richesses et les descendants des esclaves auxquels la République française tente actuellement  de redonner un espoir. 

 

Dans la même perspective "génocidaire" se trouvent les guerres indiennes des plaines américaines, l'importation d'esclaves au Brésil... 


Qu’en était-il de l’idéologie coloniale vers 1830 au moment où se produit l’expédition qui amena à la conquête d’Alger ? 

 

Au début du 19e siècle, assez étonnamment, cette idéologie coloniale n’était plus guère à l’ordre du jour dans l’opinion publique, les français ayant été  largement été échaudés par la perte de la plus grande partie de leurs colonies au 18ème siècle, en outre, beaucoup considéraient que la conquête coloniale puis l’exploitation des autochtones étaient contraire aux principes de 1789. 

 

 Dans de telles conditions, comment est-on passé en quelques décennies d’un rejet quasi-général  du système colonial à une politique coloniale exacerbée qui conduira la France à s’emparer de tous les territoires vacants qui seront à sa portée ? 

 

Selon moi, une des clés permettant la compréhension de cette mutation peut être trouvée dans l’étude de la politique de la Monarchie de juillet en Algérie. 



 


mardi 26 octobre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (17) le Prince


LE MACHIAVÉLISME CHEZ LES CHEFS D’ÉTAT ACTUELS

Tout comme les princes de l’époque de Machiavel, les gouvernants des états actuels ont besoin de SAVOIR DISSIMULER LEURS PROPRES SENTIMENTS, certains d’entre eux ont appris à leurs dépens que toute vérité n’est pas bonne à dire, mieux vaut parfois se taire que de s’attirer des inimités durables, le gouvernant aura très vite oublié une phrase prononcée à la légère,  mais l’offensé ne l’oubliera pas surtout que cette maladresse sera immédiatement colportée par les médias afin que tous les citoyens en aient connaissance. 

De même, il est, pour lui, nécessaire d’exhiber sa capacité à exprimer des qualités humaines indéniables, humanité, compassion, compréhension des problèmes de chacun, sens aigu de la justice.. même si au fond de lui-même, il sait qu’il ne possède pas ces qualités. 

 Il doit aussi montrer son aptitude à arbitrer heureusement les conflits et savoir rester au-dessus de la mêlée, cette nécessité est d’autant plus impérieuse, qu’à la différence d’un Prince, il est soumis au choix périodique des citoyens lors des élections. 

Le gouvernant de notre époque doit comme les princes du 16e siècle donc dissimuler sa vraie nature et paraître en public ce qu’il n’est pas réellement. 

Machiavel montre aussi que le MENSONGE est nécessaire pour gouverner, cette allégation est encore plus évidente à notre époque qu’à celle de Machiavel, du fait de la périodicité des élections : lors des campagnes électorales, le candidat promet tout pour se faire élire tout en sachant que, s’il est élu, il ne sera pas capable d’honorer toutes ses promesses : combien de fois entend-on annoncer que tel ou tel organisme sera subventionné sans que cette annonce soit suivie d’effet ! Comme l’écrit Machiavel, il est heureux que les peuples aient la mémoire courte !

Au niveau des SANCTIONS À APPLIQUER  à ceux qui ne respectent pas la loi ou qui ont accompli un geste délictueux, le gouvernant doit, comme l’écrit Machiavel, prendre la décision d'une sanction mais en la faisant accomplir par d’autres, il est, en effet, plus facile de renvoyer un ministre que risquer de s’exposer à l’impopularité. 

De même, un chef d’Etat doit faire en sorte de moduler les sanctions selon les coupables : punir sévèrement un petit délit commis par un humble n’est guère dangereux ; par contre, condamner un puissant n’est pas toujours envisageable car cela pourrait avoir des répercussions dangereuses pour la conduite de l’Etat où le fonctionnement de l’économie.

A l'inverse de l'époque de Machiavel, la pratique de la CRUAUTÉ a disparu dans nos démocraties occidentales, elle ne subsiste dans les régimes dictatoriaux mais aussi, en aspiration, chez nombre d’individus qui demandent par exemple, sans l’exprimer ouvertement, le rétablissement de la peine de mort.

La CONNAISSANCE DE L’ÉTAT D’ESPRIT de la population est, à première vue,  plus facile aujourd’hui qu’à l’époque de Machiavel grâce aux sondages qui mesurent régulièrement la satisfaction des gens vis-à-vis de la politique choisie. La plupart des gouvernants proclament haut et clair qu’ils ne tiennent pas compte des sondages car, pour eux, disent-ils, seul compte l’intérêt supérieur de l’Etat. 

 

Pourtant, cette indifférence n’est qu’apparente, quand les sondages sont défavorables, les gouvernants multiplient les largesses pour s’efforcer de rallier les mécontents. Le but n’est certes pas pour eux de contenter tous les électeurs, il leur suffit de d’en convaincre au moins la majorité. On peut rappeler les  conseils que donne Machiavel aux princes de son époque pour obtenir les faveurs du peuple : ne pas être oppressé,  ne pas être amputé de son patrimoine et avoir  la mémoire courte. Ces conseils sont toujours d’actualité même si les méthodes ont évolué. 

 

Enfin, en ce qui concerne LA CAPACITÉ À RÉAGIR IMMÉDIATEMENT EN CAS DE PROBLÈME et d’infléchir si nécessaire sa politique, les gouvernants des pays de démocratie représentative sont beaucoup moins performants que les Princes du temps de Machiavel et les autocrates de notre époque. 


Ils sont en effet tiraillés entre les multiples sollicitations émanant de l’état de l’opinion, des répercussions économiques ou sociales éventuelles, de la cour des flatteurs qui les entoure,  des prises de position des opposants dans les parlements critiquant à tout propos et semant le doute quant à la justesse des propositions faites par l’exécutif,  …  En conséquence, les décisions sont prises bien trop tard et on a beau jeu de douter de la capacité du chef de l’Etat à régler les problèmes quand ils se présentent.


Ainsi, même s’il existe des différences entre les conditions politiques et sociales de notre époque et celles du  16e siècle,  il me semble que les conseils de Machiavel donnés aux Princes, peuvent être transposables à notre époque ; certes, les gouvernants n’ont pas toute latitude pour agir comme les Princes mais, s’il veulent réussir à se maintenir, ils peuvent se référer à Machiavel et utiliser ses conseils tout en les adaptant aux vicissitudes de leur temps.

 

 

 

lundi 25 octobre 2021

LA PENSÉE POLITIQUE DE MACHIAVEL (16) le Prince

  LE PRINCE (8)

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES 

LES DÉFAUTS QUE LE PRINCE DOIT IMPÉRATIVEMENT ÉVITER

S’il veut conserver son trône et son pouvoir, le Prince doit impérativement éviter trois  défauts majeurs : être rapace, être méprisé et établir des lois qu’il est le premier à violer. 

ÊTRE RAPACE

La pratique de la rapacité et de son corollaire, la vindicte gratuite, est suffisamment importante pour qu’elle soit mentionnée à plusieurs reprises :

Le Prince « doit se garder d’attenter soit au biens de ses sujets, soit à l’honneur de leurs femmes. Pourvu que ces deux choses, c’est-à-dire les biens et l’honneur, soient respectées,  le commun des hommes est content, et l’on n’a plus à lutter que contre l’ambition d’un petit nombre d’individus, qu’il est aisé et qu’on a mille moyens de réprimer.» (le Prince chapitre 11)  

Machiavel va ensuite commenter chacune des atteintes effectuées par le Prince du fait de sa rapacité 

« On (peut être) outragé dans ses biens, dans sa personne, dans son honneur » (discours livre 3 chapitre 6) 

Au niveau des personnes, l’auteur estime que si le Prince a outragé une personne par une menace inique, il ne peut s’en préserver qu’en la condamnant à mort afin qu’elle ne puisse pas se venger : en effet, par peur ou par bassesse, ses proches pourront toujours déclarer que l’outrage ne  concerne que cette personne elle-même et non son entourage.

« Si l’outrage atteint la personne, la menace en est plus dangereuse que l’effet : car la menace seule offre de grands périls ; l’effet n’en présente aucun. Celui que l’on tue ne songe plus à se venger, et le plus souvent ceux qui lui survivent en laissent la pensée à celui qui n’est plus » (ibid)

Ensuite Machiavel aborde les outrages faits aux biens de ses sujets, ce sont, pour lui, les plus graves que l’on puisse faire aux hommes puisque l’une des manifestations de leur perversité est l’appât au gain et la volonté de posséder toujours plus : si le Prince s’empare des richesses d’un individu, celui-ci n’aura plus qu’une idée en tête, se venger ; selon l’auteur, dépouiller un être humain de ses biens est  encore plus irrémissible que de tuer un de ses parents même proche :

« les hommes oublient plutôt la mort d’un père même que la perte de leur patrimoine, et que d’ailleurs il en aura des occasions plus fréquentes. Le prince qui s’est une fois livré à la rapine trouve toujours, pour s’emparer du bien de ses sujets, des raisons et des moyens qu’il n’a que plus rarement pour répandre leur sang » (Le Prince chapitre 17) 

Dans le Discours, il écrit : le Prince «  ne peut tellement dépouiller un homme de ses biens, qu’il ne lui reste un poignard pour se venger. » (livre 3 chapitre 6). 

Enfin, dépouiller un homme de son honneur par exemple  en séduisant sa femme conduira celui-ci à faire n’importe quel acte, y compris en mettant en péril sa propre vie pour se venger. 

Le Prince  « ne peut tellement le déshonorer, qu’il ne lui reste une âme acharnée à la vengeance. De toutes les manières de flétrir l’honneur d’un homme, la plus sensible est d’abord l’outrage fait à sa femme, et ensuite le mépris qu’on a pour lui-même » (discours livre 6 chapitre 3)

Est-ce à dire que le Prince ne puisse pas attenter aux biens de ses sujets ou leur enlever leurs femmes ? Ce serait exagéré de le prétendre, le Prince, comme toujours, doit se maintenir dans un juste milieu, il lui faut « tout à la fois être craint et n’être pas haï » (le Prince 17) : il peut, parce qu’il est craint, voler les biens de quelques-uns  de ses sujets sans que les autres réagissent, mais si ce goût de le rapine s’amplifie, la crainte se changera en haine et le peuple se révoltera. 

« Un prince doit donc éviter ce fardeau de la haine ; s’il parvient donc à s’en garantir, il sera moins exposé aux coups d’un sujet offensé : d’abord, parce qu’il est rare qu’un homme ressente assez profondément une injure pour s’exposer à un péril si manifeste dans la seule vue de se venger ; et ensuite, parce que s’il s’en rencontrait un qui eût le pouvoir et le courage d’exécuter son dessein, il serait retenu par cette affection générale dont il verrait que le prince est l’objet. (Ibid) 

ÊTRE MEPRISABLE

Le deuxième défaut que le Prince doit se garder est de se faire mépriser en se départissent de  son rôle et, ainsi, de ne « jamais compromettre .. la majesté de son rang, majesté qui ne doit l’abandonner dans aucune circonstance » (Le prince chapitre 21) 

Il sera honni s’il paraît « inconstant, léger, efféminé, pusillanime, irrésolu, toutes choses dont le prince doit se tenir loin comme d’un écueil » (ibid) 

Le Prince doit, comme je l’ai écrit, apprendre à dissimuler sa vraie nature pour que rien ne transparaisse de sa véritable personnalité, en « faisant en sorte que dans toutes ses actions on trouve de la grandeur, du courage, de la gravité, de la fermeté ; que l’on soit convaincu, quant aux affaires particulières de ses sujets, que ses décisions sont irrévocables, et que cette conviction s’établisse de telle manière dans leur esprit, que personne n’ose penser ni à le tromper ni à le circonvenir. (Ibid)

NE PAS RESPECTER LES LOIS QU’ON A ÉDICTÉES 

Le troisième défaut est d’imposer des lois à ses sujets et de ne pas en tenir compte pour soi-même. 

C’est ce qu’écrit Machiavel dans cet aphorisme : « le plus funeste exemple qu’on puisse, à mon avis, donner dans un État, c’est de créer une loi et de ne point l’observer » (discours livre 1 chapitre 45) 

Pour le montrer, l’auteur prend l’exemple de la situation de la Romagne avant le règne du pape Alexandre 6, à une époque où cette contrée était dominée par des seigneurs qui donnaient cours à leurs instincts pervers et où le « brigandage et l’assassinat était monnaie courante : 

« Ces désordres avaient leur source dans la méchanceté des princes, et non dans la corruption des peuples …  parce que ces princes, quoique pauvres, voulaient vivre dans le faste ; et, contraints de se livrer à de nombreuses exactions, ils les multipliaient sous toutes les formes. 

Une de leurs pratiques les plus perfides consistait à faire des lois pour prohiber certaines actions ; ensuite, ils étaient les premiers à fournir des facilités pour les enfreindre et laissaient les coupables dans l’impunité, jusqu’à ce qu’ils eussent vu leur nombre se multiplier : alors ils prenaient le parti de venger l’outrage fait aux lois, non par zèle pour la justice, mais dans l’espoir d’assouvir leur cupidité en s’enrichissant par des amendes.

De là une foule de désordres : les peuples s’appauvrissaient sans se corriger, et ceux qui se trouvaient ainsi appauvris cherchaient à s’en dédommager aux dépens des peuples moins puissants qu’eux ; de là tous ces crimes dont nous avons parlé, et qu’on ne peut attribuer qu’à la conduite du prince. » (Livre 3 chapitre 29) 

Cet exemple permet à Machiavel de formuler une conclusion générale à propos des défauts à péremptoirement éviter pour un Prince afin de s’assurer un long règne : 

« Il est donc nécessaire ou de n’offenser personne, ou de satisfaire à la fois tous ses ressentiments, puis de rassurer les citoyens, et de leur rendre la confiance et la tranquillité. » Discours 1 45

Ainsi, selon Machiavel, le Prince doit donc être un personnage à part à qui il faut apprendre à gouverner en lui montrant qu’il devra respecter quatre critères s’il veut se maintenir au pouvoir : 

   . Dissimuler sa vraie nature en montrant à ses sujets des qualités qu’il ne possède pas nécessairement. Savoir dissimuler, par une éducation adéquate, sa nature foncièrement perverse.

   . Mettre en œuvre les qualités de paraître qui lui permettent de faire illusion afin de durer mais avoir recours si nécessaire à des méthodes qui sont normalement à proscrire chez le commun des mortels pour réussir à gouverner.

   . Connaître avec acuité les ressorts psychologiques qui animent les peuples de manière à ce que sa majorité accepte son autorité et cautionne sa manière de gouverner.

   . Ne jamais hésiter à agir dès qu’une décision est prise et infléchir sa politique selon les circonstances.    . 

Ces quatre affirmations sont-elles de tous les temps ? S’appliquent-elles au chef d’Etat actuels ? C’est à ces questions que je me propose de répondre dans ce qui suit. 

vendredi 8 octobre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (15) le Prince

 LE PRINCE (7)

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES.  

LES QUALITÉS DONT DOIT FAIRE PREUVE LE PRINCE 

TENIR COMPTE DES CONSEILS DES GENS AVISÉS QUI L’ENTOURE.

La deuxième qualité que le Prince doit développer est de tenir compte des conseils qu’on lui donne  et, par antiphrase d’éliminer la camarilla des flatteurs qui se pressent autour de lui.

De multiples exemples historiques montrent bien la nocivité extrême des courtisans : 

     . D’abord, ils abondent toujours dans le sens des propos du Prince même s’ils savent que ce sont des contre-vérités afin de se faire bien voir de lui et d’obtenir indûment de nouvelles faveurs de sa part.

     . Ensuite et surtout, ils s’érigent en écran entre le Prince et la réalité en se chargeant de lui épargner toutes les mauvaises nouvelles qui lui déplairont et de, ce fait, le trompent en lui faisant croire à des informations qu’ils savent fausses.

Pour bien gouverner, le Prince doit, selon Machiavel, user d’une méthodologie selon quatre caractéristiques : 

     . Il doit d’abord  « faire choix dans ses États de quelques hommes sages, et leur donner, mais à eux seuls, liberté entière de lui dire la vérité » ,  (le Prince chapitre 23) le Prince, en conséquence, doit accepter que ses conseillers ne soient pas d’accord avec lui, seule devra compter pour lui, la franchise de leurs propos, il doit aussi écouter « patiemment la vérité » (ibid). 

    . Le Prince doit aussi choisir plusieurs conseillers afin d’obtenir une pluralité d’avis, rien ne serait plus dommageable pour lui de s’en remettre à un seul conseiller en  confiant le pouvoir « entièrement entre les mains de quelque homme très habile, qui seul le maîtrise et le gouverne ; auquel cas, du reste, il peut, à la vérité, être bien conduit, mais pour peu de temps, car le conducteur ne tardera pas à s’emparer du pouvoir ».

     . Le Prince doit être aussi maître de l’ordre du jour des réunions pour éviter toute cacophonie dans les discussions. C’est lui qui pose les questions et les conseillers doivent se borner de répondre « aux choses sur lesquelles il les interrogera » (ibid). Les conseillers n’auront pas à faire des suggestions sur un autre sujet que celui sur lequel il leur demande leur avis. 

« Un prince doit donc toujours prendre conseil, mais il doit le faire quand il veut, et non quand d’autres le veulent ; il faut même qu’il ne laisse à personne la hardiesse de lui donner son avis sur quoi que ce soit, à moins qu’il ne le demande » (ibid) 

     . Une fois les conseillers écoutés, le Prince doit prendre sa décision seul : « Il doit, du reste, les consulter sur tout, écouter leurs avis, résoudre ensuite par lui-même… il doit enfin ne vouloir entendre aucune autre personne » (Ibid), ensuite, il doit « agir selon la détermination prise, et s’y tenir avec fermeté » (ibid) 

« Le prince qui en use autrement est ruiné par les flatteurs, ou il est sujet à varier sans cesse, entraîné par la diversité des conseils ; ce qui diminue beaucoup sa considération. » (ibid) 

Cette méthode de gouvernement peut paraître assez paradoxale au vu de ce que Machiavel pense de la nature perverse et foncièrement mauvaise de l’homme. Il écrit, en effet, que non seulement les conseillers doivent manifester une grande sagesse mais aussi que le Prince doit être également sage puisqu’il doit choisir avec discernement les conseillers qui l’entoureront. 

« Ceux qui prétendent que tel ou tel prince qui paraît sage ne l’est point effectivement, parce que la sagesse qu’il montre ne vient pas de lui-même, mais des bons conseils qu’il reçoit, avancent une grande erreur ; car c’est une règle générale, et qui ne trompe jamais, qu’un prince qui n’est point sage par lui-même ne peut pas être bien conseillé ».. « « En un mot, les bons conseils, de quelque part qu’ils viennent, sont le fruit de la sagesse du prince, et cette sagesse n’est point le fruit des bons conseils. » (ibid)

Peut-on supposer que, grâce à la dissimulation de sa vraie nature, le Prince puisse acquérir la sagesse ? , ce serait étonnant. Dans ces conditions, faut-il penser que l’éducation donnée au Prince puisse corriger ou plutôt masquer sa perversité de base ? C’est plutôt la seconde alternative qui doit être privilégiée. 

TÉMOIGNER DE L’EMPATHIE ENVERS SES SUJETS

La troisième qualité que le Prince doit acquérir est de paraître humain envers le peuple qu’il gouverne : une citation tirée du livre 21 du Prince montre tout ce qu’il doit accomplir pour faire croire qu’il est bienveillant peuvent lui apporter 

« Un prince doit encore se montrer amateur des talents, et honorer ceux qui se distinguent dans leur profession. Il doit encourager ses sujets, et les mettre à portée d’exercer tranquillement leur industrie, soit dans le commerce, soit dans l’agriculture, soit dans tous les autres genres de travaux auxquels les hommes se livrent ; en sorte qu’il n’y en ait aucun qui s’abstienne ou d’améliorer ses possessions, dans la crainte qu’elles ne lui soient enlevées, ou d’entreprendre quelque négoce de peur d’avoir à souffrir des exactions. 


Il doit faire espérer des récompenses à ceux qui forment de telles entreprises, ainsi qu’à tous ceux qui songent à accroître la richesse et la grandeur de l’État. Il doit de plus, à certaines époques convenables de l’année, amuser le peuple par des fêtes, des spectacles ; et, comme tous les citoyens d’un État sont partagés en communautés d’arts ou en tribus, il ne saurait avoir trop d’égards pour ces corporations ; il paraîtra quelquefois dans leurs assemblées, et montrera toujours de l’humanité et de la magnificence, sans jamais compromettre néanmoins la majesté de son rang, majesté qui ne doit l’abandonner dans aucune circonstance » (le Prince Livre 21)