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dimanche 16 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (16)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LA SITUATION INTÉRIEURE DE L’ALGÉRIE : LES TÉMOIGNAGES DES CAPITAINES MONTAUGNAC ET SAINT-ARNAUD


Lors du vote du budget pour la colonie pour 1835, les députés avaient stigmatisé les ravages, les spoliations et les atteintes effectuées à l’encontre des coutumes locales par l’armée et les premiers colons tant au niveau de la ville d’Alger qu’à celui de la campagne environnante. 

 

Si on considère la situation pendant la période qui suit la mise en place des pouvoirs en Algérie, on constate que rien n’a véritablement changé : deux témoignages en sont l’expression : ils émanent de deux militaires affectés en « Algérie » en 1937,  le capitaine de Montaugnac et le capitaine de Saint-Arnaud, ils rendent compte, dans les lettres qu’ils adressent à leur famille, de ce qu’ils ont constaté  en prenant leur poste dans la colonie. Je citerai, ci-dessous,  trois extraits de celles-ci car ils témoignent bien de l’ambiance régnant à ce moment dans l’Algérois. 

 

Le premier extrait fut rédigé par le capitaine de Montaugnac qui deviendra ensuite colonel et sera tué à la bataille de Sidi-Ibrahim en 1845 : 

 

«  On n’a  pas la moindre idée du désordre, du gaspillage, de la gabegie qui règnent ici dans toutes les administrations. Chacun tire à soi, spécule sur tout, exploite avec l’impudeur la plus manifeste le pays, l'armée. Les fonds du gouvernement ..sont enfouis, détournés, dilapidés » ….. la colonie n'est peuplée que d’une «  foule de banqueroutiers de tous les pays, des libérés et échappés du bagne : épicier marchand de liqueurs, cafetiers..  cumulant, en outre, tous les genres de spéculations possibles,  contrebandiers exploitant toutes les branches de commerce imaginables, race infernale qui nous gruge et nous saigne à blanc voilà les colons qui fourmillent  dans cette pauvre Afrique. » 

 

Gaspillage, gabegie, désordre, contrebande, spéculation, vol, règne des repris de justice … Montaugnac utilise des mots très forts pour  qualifier la situation à Alger au moment de sa prise de fonction. Rien n’a changé depuis l’arrivée des français en 1830 : les colons, venus en Algérie dans le sillage de l’armée, sont toujours des aigrefins, ne songeant qu’à s’enrichir en particulier en profitant des besoins de l’armée, achetant à bas prix et, souvent, grâce à la contrebande, les produits dont l’armée a besoin et les revendant à un prix prohibitifs ; boutiques, tavernes se développent partout dans la ville et autour des camps. Cette population interlope n’est venue là que pour profiter financièrement de la conquête. 

 

Parallèlement à ce peuplement des villes, il existe toujours la même forme de colonisation basée sur la spoliation des autochtones ; certes, une réglementation a été établie en 1832 afin de supprimer les ventes sauvages ou effectuées sous la menace d’un risque d’expropriation future sous le  prétexte qu’il n’existe pas de titres écrits de propriété ni de bornage des sols: désormais, toute transaction entre un européen et un musulman devra être inscrite au greffe du tribunal. Pour contourner cette injonction, les spéculateurs utilisèrent désormais un système apparenté à la rente foncière.

 

On en trouve mention dans une lettre écrite par un autre militaire, le capitaine de Saint-Arnaud arrivé également en 1837 dans la colonie et qui deviendra plus tard maréchal de France : 

 

«  Il y a, à 300 pas de mon camp, un petit bien à louer ou à vendre ; on n'en demande 270 fr. par an ; avec la culture qui se ferait par deux kabyles fort aisément, , on se ferait un revenu de plus de  1500 fr. en orange, vin, fruits, légumes, orange, citron, figues…  Il y a de tout et en quantité, beaucoup d'arabes ne veulent pas vendre pour le capital, ils ne veulent qu'une rente à vie. Le marché a lieu devant le cadi , cette rente  est minime et jamais de  la valeur de la propriété. On peut très facilement la payer avec une fraction du rapport. Pour 12 fr. par mois et le pain, on a un kabyle qui travaille tant que le jour dure ».

 

Cette lettre clairement la méthode employée : les spéculateurs  négocient avec les autochtones, non la vente de leurs terres, mais la signature d’un bail à rente perpétuelle appelée rente à « ana » ce système est, selon la lettre de Saint Arnaud,  particulièrement avantageux pour l’européen : 

     . La rente est modique, elle est sans risque puisque perpétuelle et donc non modifiable, ce coût minime permet aux européens d’acquérir de vastes domaines et de faire d’importants bénéfices en un court laps de temps, dans l’exemple donné par Saint-Arnaud, on peut estimer à 550 francs le bénéfice annuel de la terre. 

     . Elle permet de contourner les règles du droit musulman, en particulier au niveau des terres habou puisque le régime de la propriété n’est pas modifié, 

 

Il va de soi, comme l’indique le texte ci-dessus,  que les nouveaux possédants ne cultivent pas eux-mêmes le sol, ils emploient, pour cela, des ouvriers agricoles kabyles sous-payés et astreints à un dur travail durant tout le jour. 


Ainsi, naît une société nouvelle basée sur la richesse foncière rappelant fâcheusement les structures serviles des Antilles en associant des travailleurs indigènes exploités et des colons européens oisifs recueillant les fruits du travail de leurs ouvriers. Bugeaud qualifiera ces derniers du sobriquet de «  colons aux gants jaunes ».

 

L’ETAT DE LA COLONISATION


LA COLONISATION DE LA MITIDJA ET L’ECHEC DE BOUFARIK

 En 1836, alors que Blida n’est pas conquise, que les forts de protection de la Mitidja ne sont pas construits et que l’assèchement de la plaine n’est par réalisée,  le maréchal Clauzel, ne tenant pas compte ni des conseils de prudence de la commission ni du vote de la chambre des députés,  publia,  par l’ARRETE DU 27 SEPTEMBRE 1836, sa décision de créer un  centre de colonisation au cœur de la Mitidja à Boufarik, à proximité du camp militaire d’Arlon. 

 

L’arrêté de Clauzel reproduisait le  projet qu’il avait élaboré pour Kouba dans le Sahel où avait été créé un village ayant un plan en damier avec une place centrale et un fossé défensif, Il fit dresser, pour Boufarik, un plan en damier dessiné par le service des bâtiments civils et prévit l’installation immédiate d’une trentaine de familles. Chacun devait bâtir sa maison dans l’alignement des rues. 

 

Les terres à distribuer étaient des terres présumées autrefois  beylicales, elles furent divisées en lots de 4ha. Selon leur apport financier, en matériel et en main d’œuvre, il était possible à un colon de recevoir  trois lots, soit 12ha. La concession n’était cependant que provisoire, elle ne devenait définitive que trois ans plus tard à condition que les prescriptions suivantes aient été respectées : le  colon devait bonifier, assainir et défricher les terres qui lui étaient allouées dans un délai de trois ans (chaque année par tiers), il devait aussi planter 50 arbres fruitiers ou sylvicoles par hectare. Enfin, il devait payer une redevance de deux francs pour tous les travaux que l’Etat avait effectués sur le site avant son arrivée. 

 

Dans les conditions où elle fut pensée et organisée, l’expérience ne pouvait qu’être un échec, Boufarik était établie, en effet, sur un site marécageux non asséché et en pleine zone d’insécurité, les maladies (paludisme, malaria… ) et les incursions arabes décimèrent une grande partie de la population, il faudra attendre que l’armée assainisse l’endroit en le drainant  pour que la colonie puisse  survivre. 

 

L’ORDONNANCE DE 1838

Assez paradoxalement, alors que l’échec de l’expérience de Boufarik était patent, le gouvernement décida d’élargir le champ de l’ordonnance de 1831 afin de rendre possible l’émigration vers la colonie à un plus grand nombre de candidats. 

 

Désormais,  la compétence de délivrance de passeports pour la colonie fut  étendue aux sous-préfets et aux maires. Il était seulement  exigé des candidats à l’émigration un certificat de bonne santé et de moralité, l’Etat prenait en change le passage des travailleurs qualifiés des secteurs industriels et agricoles ainsi que les agriculteurs ayant droit à des concessions agricoles. 

 

Il convient d’expliquer les raisons de cet étonnant paradoxe : 

 

     . D’abord, les restrictions sur la délivrance des passeports en métropole conjuguée à l’immigration clandestine des « Mahonnais » (habitants de la capitale de Minorque, nom donné à tous les espagnols venus s’installer dans la colonie)  ont conduit à une inversion des nationalités dans la colonie. Ainsi, M René Ricoux («  la démographie figurée de l’Algérie, éléments statistiques. » 1880), basant son analyse sur les résultats des premières recensements, indique qu’en 1836, la colonie comporte  plus d’européens étrangers ( 9036 h) que de colons de souche française ( 6485 h soit 44%). 

 

     . Ensuite, la création de grands domaines employant une main d’œuvre d’autochtones ou de Mahonnais, n’a guère d’impact sur le peuplement de l’Algérie par les colons ; or, selon les mentalités de l’époque, on ne peut conserver une conquête que si on l’occupe effectivement et si les colons, eux-mêmes, sont capables d’organiser leur défense.

 

     . La raison principale de la décision gouvernementale réside cependant dans l’intensification de la propagande pour la colonisation de la colonie, organisée par les groupes de pression et relayée par la presse : en dépit de son échec, Boufarik devint une parfaite illustration du mythe colonial, on vantait partout la sollicitude et l’implication de l’Etat ainsi que le courage, la persévérance  et l’opiniâtreté du colon transformant une  terre malsaine, déserte et stérile, en un village prospère et bien cultivé. 

 

Cet état d’esprit est ce que signale, en particulier, Montaugnac : 

 

«  En France écrit-il, on voit la colonie florissante, des établissements s’élevant de toute part  des bulletins mensongers, rédigés par des intrigants,  reproduits avec amplification dans les journaux emphatiques,  vous font un tableau admirable de cette colonie en friche : les colons y abondent,  des terrains immenses sont en plein rapport..  Les  superbes projets des autorités font présager pour l'avenir les plus brillants résultats. En attendant, conclut-il, rien de tout cela,  rien, pas un seul colon. »

 

C’est dans la  perspective de l’application de l’ordonnance  de 1838 que le gouvernement demanda à Clauzel de faire dresser un état des terres disponibles et de rechercher des emplacements pour créer des villages. Il  fut prévu, à cette fin, de lotir six grands haouch domaniaux ; ce projet ne fut cependant pas réalisé à cause de l’insécurité due aux incursions continuelles des Hadjoutes, un ensemble de tribus luttant sans relâche depuis 1830 contre la présence française et réduisant celle-ci à quelques points isolés autour des camps de la Mitidja.

 

Cet assouplissement fut  critiqué par le gouvernement d’Alger qui argua que les candidats au départ seraient certes qualifiés mais, venant des villes, ils ne seraient pas adaptés au marché du travail de la colonie. 

 

Pour pallier à cette critique justifiée, le maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre élabora en 1839/40 une synthèse cohérente de la politique d’émigration permettant de dépasser les antagonismes entre Paris et Alger : 

     . Le nombre de passages pris en charge par l’Etat sera fixé par rapport aux besoins du marché de l’emploi en Algérie.

     . Les sous-préfets et les maires pourront refuser des passeports à ceux qui n’auront pas obtenu du ministère un passage gratuit.

     . Les familles reconnus capables de se livrer à la culture et disposant de ressources pour tenir jusqu’à leur première récolte, pourront obtenir des concessions, au maximum de douze hectares. 

 

Ainsi se définit le portrait de l’émigrant idéal : bonne santé, bonne moralité,  apte à s’insérer dans la nouvelle colonie. 20.000 passages gratuits seront délivrés entre 1841 et 1845, la plus grande partie de ces migrants provient du milieu urbain, 19% seulement  sont issus du monde rural.  

mercredi 12 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (15)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LES OPÉRATIONS MILITAIRES DE LA PAIX DE TAFNA (Mai 1837) À LA NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD AU POSTE DE GOUVERNEUR GÉNÉRAL. (Décembre 1840) 


La paix entre Abd-El-khader fut rompue par les français ; en effet, ceux-ci décidèrent d’ouvrir une route intérieure menant de Constantine à Alger, ils avaient, rappelons-le, déjà conquis les deux premières  étapes du parcours (Djamila et Setif), il leur restait à reconnaître la portion de route de Setif à Alger passant par les « Portes de Fer », un défilé étroit ne mesurant par endroits que 2m, contrôlé à cette époque par des tribus hostiles. 

Selon le commandement militaire, l’ouverture de cette route intérieure était devenue nécessaire depuis la prise de Constantine qui initiait ipso-facto la conquête de l’intérieur. Désormais, les français ne pouvaient plus se contenter, comme précédemment, des seules liaisons maritimes pour relier leurs possessions entre elles. 

Une armée commandée par le duc d’Orleans, fils du roi, réussit à relier Setif à Alger, ne subissant que quelques harcèlements. Cette intrusion des français par les Portes de Fer causa la reprise des hostilités avec l’Emir qui considérait que cette contrée faisait partie de sa zone d’influence du fait du traité de Tafna. 

Pendant toute cette période, la guerre fut menée selon les méthodes habituelles :

     . Les tribus des montagnes et des hauts plateaux fondaient sur les plaines françaises, pillaient et massacraient. Ces raids rendaient problématique la colonisation de la Mitidja qui n’en était qu’à ses prémices.

     . Les français organisaient des expéditions militaires afin de s’emparer des points forts de l’ennemi, 

          . Tout le long du trajet, ils étaient constamment harcelés  lors d’embuscades par les «arabes» dont la cible favorite était l’arrière-garde. 

         . Lorsqu’ils arrivaient au niveau d’une ville tenue par l’ennemi, les français pouvaient la conquérir sans coup férir car l’Emir l’avait évacuée avec tous les habitants. C’est ainsi que les français s’emparèrent de Mila et Miliana vers l’ouest et de Medea vers le sud de Blida.

         . Quand l’armée française quittait la ville pour d’autres théâtres d’opérations, elle y laissait   quelques vivres et  une petite garnison, capable seulement de contrôler la zone étant à portée de ses fusils. Alors, les troupes de l’Emir revenaient pour encercler la cité et surtout pour bloquer ses routes d’accès afin empêcher les convois d’approvisionnement de ravitailler la garnison.  

Cette situation dura jusqu’en décembre 1840, date de la nomination du général Bugeaud au poste de gouverneur général. 

Celui-ci, rappelons-le,  s’était déjà illustré dans l'Oranais lorsqu’il vint commander le camp de Tafna : il avait signé la paix avec ABD-EL-KHADER et avaient modifié les méthodes de guerre en s’adaptant aux techniques de harcèlement de l’adversaire, ce qui lui avait permis de remporter la victoire de l’Oued Sisak.

vendredi 7 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (14)

  L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

LE TRAITE DE LA TAFNA (MAI 1837) ENTRE BUGEAUD ET ABD-EL-KHADER ET LA PRISE DE CONSTANTINE

En voici les principales dispositions :

1: L'Émir Abd el Kader reconnaît la souveraineté de la France en Afrique.

 2 : La France se réserve,

     . dans la province d'OranMostaganemMazagran, et leurs territoires, Oran, Arzew, et un territoire limité mentionné sur la carte à l'Est par la rivière Macta (3) et les marais dont elle sort ; au Sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives sud du lac (2)  et se prolongeant jusqu'à l'oued Maleh (1) dans la direction de Sidi Saïd (Tlemcen)  de cette rivière jusqu'à la mer, appartiendra aux Français.


    
. Dans la province d'Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja ainsi que la zone limitée par la carte et indiqué en note ci-dessous limitée à l'Est par l'oued Khuddra (chez les Aïth Aïcha) (1) , en aval ; au Sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas blidéen, jusqu'à la Chiffa jusqu'au saillant de Mazafran, et de là par une ligne directe jusqu'à la mer,(3)  y compris Koléa et son territoire – seront français.

L’émir voit son territoire agrandi avec annexion du Titteri qui avait sollicité sa venue en 1836 pour y établir la paix. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence

 9 : Les français rendront à l’Emir Tlemcen,  il s'engage à convoyer jusqu'à Oran tous les bagages, aussi bien que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen. En outre, les français laisseront Abd-El-Khader s’installer à Cherchell, ce qui lui donnera un accès à la mer.

7 : L'Émir aura la faculté d'acheter en France, la poudre, le soufre, et les armes qu'il demandera.

10 : Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s'établir sur chacun de leurs territoires.

11 : Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les Français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire arabe, leur seront garanties : ils en jouiront librement, et l'Émir s'engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.

15 : La France maintiendra des agents auprès de l'Émir, et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d'intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu'ils pourront avoir avec les Arabes. L'Émir jouira de la même faculté dans les villes et ports français.

Tafna, le 30 mai 1837

La lecture de ce traité présente deux caractéristiques :

     . Il consacre l’abandon des visées expansionnistes des gouverneurs précédents et en particulier celle du maréchal Clauzel ainsi les français durent évacuer Tlemcen et le camp de la Tafna. En contrepartie, l’émir reconnaît la possession par la France de zones déjà conquises par les Français et y ajoute Blida, localité permettant à la fois de contrôler la Mitidja ainsi que la route menant vers l’arrière-pays. Désormais, les limites des terres françaises sont clairement définies pour éviter toute contestation ultérieure. 

     . Le traité augmente à nouveau les territoires mis sous le contrôle de l’émir puisque celui-ci étend sa domination sur l’arrière-pays algérois ainsi que sur Cherchell, ce qui donne une ouverture sur la mer. En  contrepartie, Abd-El-khader  reconnaît la « souveraineté de la France en Afrique » : ce terme est particulièrement ambigu en ce qui concerne la définition de la zone sur laquelle est reconnue la souveraineté de la France : correspond-elle aux territoires reconnus à la France où s’étend-elle aux territoires occupés par Abd-El-Khader ? Cette imprécision servira de prétexte aux opérations militaires futures.

     . Le traité ne concerne que la partie occidentale des possessions françaises, ni Bougie, ni Bône ne sont concernés.

Ainsi, avec ce traité, on en revient à la politique du général Desmichels et de la paix qu’il signa avec l’émir. Comme la précédente,  cette paix ne sera cependant qu’éphémère, elle permit néanmoins de prélever des troupes des régions d’Alger et d’Oran pour effectuer la conquête de Setif et de Constantine en 1837 puis de Djemila et de Skidda (rebaptisée Philippeville) en 1838. L’acquis de ces deux sites permettait de désenclaver Constantine en lui donnant le contrôle d’une partie de la route de l’intérieur menant à Alger et de relier la ville à la mer. Abd-El-Khader laissa faire, l’est de l’ex-Régence n’ayant pas été placé sous sa domination.

Rentré en France, Bugeaud déconseille la conquête de l’Algérie « possession trop onéreuse dont la nation serait bien aise d’être débarrassée », il préconise cependant le maintien de la présence française mais sous le seul statut militaire afin d’éviter toute colonisation de peuplement

samedi 1 janvier 2022

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (13)

 L’ALGÉRIE FRANCAISE DE 1834 à 1841 (NOMINATION DU GÉNÉRAL BUGEAUD EN TANT QUE GOUVERNEUR GÉNÉRAL

Cette époque se caractérise principalement par trois spécificités : 
     . La poursuite des opérations militaires, à la fois pour étendre la colonisation et pour tenter de limiter le pouvoir d’Abd-El-Khader.
     . La situation intérieure des terres conquises.
     . Les tentatives d’extension de la colonisation.

 LES OPÉRATIONS MILITAIRES ET LA LUTTE CONTRE ABD-El-KHADER JUSQU’AU TRAITÉ DE TAFNA (mai 1837)

Le premier gouverneur général des possessions françaises d’Afrique du Nord, fut le général Drouet d’Erlon ( du 28 juillet 1834-au 8 juillet 1835). Tout en désirant préserver la paix obtenue entre le Général Desmichels et Abd-El-Khader, il craignait, comme d’ailleurs la majorité des commandants militaires, que l’émir étende sa domination au-delà du fleuve  Chelif (voir carte ci-dessous) que le traité avait fixé comme limite de ses possessions et qu’il envisage de se créer un royaume allant du Maroc à la Tunisie, ce qui pourrait être le prélude à une attaque généralisée des territoires français et à la défaite finale de la France.

Prenant le prétexte d’un voyage au-delà du Chelif d’Abd-El-Khader dans le Titteri au sud d’Alger, à l’appel de tribus qui lui était favorables, les français reprirent les hostilités.

La période 1835-1837 fut placée sous le signe du nouveau gouverneur, le maréchal Clauzel, il avait déjà été en poste en Algérie en 1831 en tant que commandant de l’armée d’Afrique et était, comme je l’ai déjà indiqué, un ardent partisan de la colonisation et propagandiste de celle-ci lorsqu’il avait été élu député.

Son second séjour en Algérie fut placé sous un triple échec :

     . Il voulut, dès son arrivée, organiser la colonisation de la Mitidja sans qu’elle soit ni sécurisée ni viabilisée comme l’avait demandé la chambre des députés, ce fut un échec.

    . Ses opérations militaires contre l’Emir furent très coûteuses en hommes sans succès autres qu’éphémères.

   . Il échoua à convaincre le gouvernement et les chambres de sa proposition d’étendre la conquête : « il faut, disait-il, occuper toutes les villes importantes du pays, y placer des garnisons, établir des camps et postes retranchés au centre de chaque province ainsi qu'aux divers points militaires qui doivent être occupés d'une manière permanente; masser sur un point central dans chaque province des troupes destinées à former une colonne mobile qui pourra toujours et instantanément se porter d'un point à un autre, en deux ou trois marches au plus, sans bagages considérables et par conséquent avec une grande célérité. » 

L’échec des opérations militaires entreprises par Clauzel est dû essentiellement à  persistance de l’inadaptation de l’armée française aux conditions topographiques du secteur d’intervention.

En effet, le théâtre des opérations, surtout montagneux, n’est accessible, rappelons-le,  que par les vallées des fleuves dont le cours comporte de nombreuses gorges taillées dans la montagne. Or, les corps expéditionnaires français se déplacent en territoire inconnu, même s’ils comprennent des éclaireurs autochtones pour les guider ; ils sont accompagnés de lourdes pièces d’artillerie et, de ce fait, ne peuvent qu’avancer à vitesse réduite, ce qui laissait tout le temps à l’armée d’Abd-El-Khader d’organiser des embuscades aux endroits où les français seront vulnérables. À cet égard, l’armée de l’émir dispose de deux avantages essentiels : sa parfaite connaissance de la topographie de la région et le fait qu’elle soit composée d’unités légères et très mobiles. Les mouvements des français sont donc émaillés de ces embuscades surprises qui leur occasionnent de lourdes pertes.

Par contre, en terrain plus favorable et, en particulier, là où sont construites les villes, l’armée française, grâce à sa puissance de feu, peut retrouver sa supériorité. Abd-El-Khader en est conscient si bien qu’il ne livre pas le combat et fait évacuer la ville menacée avec tous ses habitants. Par contre, dès que le corps expéditionnaire français quitte la ville pratiquement conquise sans combat et n’y laisse qu’une petite garnison, les troupes de l’émir en profitent pour revenir l’encercler. Elles empêchent les convois d’approvisionnement d’arriver afin d’affamer la garnison française prise au piège et de l’amener à capituler.


En décembre 1835, Clauzel réussit à s’emparer de Mascara, la capitale de l’émir mais il juge préférable de l’évacuer. Puis, en janvier 1836,  il prend Tlemcen, y laisse une garnison et crée, dans la vallée de  l’oued Tafna, un camp retranché pour protéger la ville.

En novembre 1836, en application de sa volonté de conquête de l’arrière-pays, Clauzel improvisa une expédition militaire comportant 7000 hommes  contre le bey de Constantine jusqu’alors indépendant. Cette ville est stratégiquement importante : elle est située sur la route directe ouest-est Alger-Setif-Bone par les GORGES DE FER et sur la route nord-sud reliant le littoral (site de la future Philippeville, actuelle Skidda) et les hauts plateaux jusqu’à Biskra. La prise de Constantine permettrait donc d’ouvrir une voie de pénétration directe allant de la Méditerranée jusqu’au Sahara. 

Cette attaque fut un échec, ce qui conduisit le gouvernement à désavouer le maréchal Clauzel qui fut révoqué le 12 février 1837.

De nouvelles techniques de combat apparurent cependant en 1836 du fait de l’arrivée du général Bugeaud en Algérie pour commander le camp de l’oued Tafna. Il comprit tout de suite que, si elle voulait vaincre, l’armée devait être organisée de la même manière que les troupes d’Abd-El-Khader. Dans cette perspective, Bugeaud créa des corps mobiles et abandonna l’idée de les renforcer par de l’artillerie. Cette innovation lui permit de remporter une victoire dans la vallée de l’oued Sisak, un affluent de l’oued Tafna.

 Après le départ de Clauzel, la politique gouvernementale fut uniquement   de consolider les seules  possessions du littoral, de faire la paix avec l’Emir et  de venger l’affront fait à la France par le bey de Constantine

Le premier objectif, faire la paix avec l’Emir, fut atteint le 10 mai 1837 par le traité de la Tafna entre le général Bugeaud, commandant du camp du même nom et Abd-El-Khader. Cette paix permit le réussite du second objectif, prendre Constantine. 

mardi 28 décembre 2021

LA politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (12)

 L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (3) 

LA POSSIBLE COEXISTENCE : LA SIGNATURE D’UN TRAITÉ DE PAIX ENTRE LE GÉNÉRAL DESMICHELS ET L’ÉMIR ABD-El-KHADER Février 1834 

C’est, selon moi, le mérite du général Desmichels, nommé  commandant de l’armée d’Oran en 1833, d’avoir compris que la violence ne menait à rien, sauf à la dévastation et à la mort, et d’avoir pris l’initiative de négocier avec les arabes.

 

Dans la région d’Oran, se produisit, en 1832, une aspiration de quelques tribus à s’unir pour combattre et, pour cela, à se donner un chef unique. Ils choisirent, pour les diriger, un homme de grand aura, SIDI EL HADJ MAHI ED DIN,  descendant du prophète par sa fille Fatima, il est désormais qualifié, dans les textes, de khalife. Celui-ci appela immédiatement les tribus à fournir des contingents pour effectuer une offensive sur Oran qui échoua ; cela n’empêcha le khalife  de voir grandir son prestige et d’obtenir le ralliement d’autres tribus. En novembre 1832, MAHI ED DIN déclara, lors d’une réunion des chefs de  tribus, qu’il était trop âgé et qu’il ne se sentait plus apte à assumer ses fonctions, il proposa alors de céder la place à son fils, ABD EL KHADER. Celui-ci fut élu Émir des arabes

 


Au moment de sa prise de fonctions à Oran, le général Desmichels se trouve immédiatement confronté aux desseins de l’émir et, en particulier, à son ambition de s’emparer de la région d’ARZEW- MOSTAGANEM afin de se ménager un accès à la mer et, ainsi, d’encercler  Oran et sa région. A cette époque, MOSTAGANEM était aux mains d’une garnison turque du Dey ayant fait allégeance à la France, Desmichels, n’ayant aucune confiance envers ces turcs, s’empara d’Arzew puis de Mostaganem, ce qui occasionna des raids des « arabes » qui voulaient reprendre la région et amena à la tenue d’expéditions punitives de l’armée française : un nouveau cycle de la terreur se mettait ainsi en place.

 

Le général Desmichels, comprenant que la violence ne mènerait à rien, décida alors de tenter d’user de la négociation pour résoudre le conflit : il écrivit une lettre à Abd-El-Khader allant dans ce sens :

 

« S'il vous convenait que nous eussions ensemble une entrevue, je suis prêt à y consentir, dans l'espérance que nous pourrions, par des traités solennels et sacrés, arrêter l'effusion du sang entre deux peuples qui sont destinés par la Providence à vivre ensemble sous la même domination. »

La dernière partie de ce texte est claire : la paix ne pourrait résulter que par la soumission de l’émir à la domination française. 

Le 4 février 1834, le traité est signé : il comporte deux volets qui furent signés par les deux protagonistes : en voici les dispositions principales :

LES CONDITIONS DES FRANCAIS

     . ART. 1er. — A dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le général commandant les troupes françaises et l'émir ne négligeront rien pour faire régner l'union et l'amitié qui doivent exister entre les deux peuples que Dieu a destiné à vivre sous la même domination (sous-entendu, celle de la France) ; à cet effet, des représentants de l'émir résideront à Oran, Mostaganem et Arzew ; de même que pour prévenir toute collision entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara. (Capitale de l’époque d’Abd-El-Khader la capitale sera ensuite transférée à Tlemcen)
     . ART. 2. — La religion et les usages musulmans seront respectés et protégés. 
     . ART. 3. — Les prisonniers seront immédiatement rendus de part et d'autre. 
     . ART. 4. —La liberté du commerce sera pleine et entière. 

En-dessous, se trouve le sceau de l’émir.

 LES CONDITIONS DES ARABES

     . ART. 1er. — Les Arabes auront la liberté de vendre et d'acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce qui concerne la guerre. 
     . ART. 2. — Le commerce de la Merza (Arzew) sera sous le gouvernement du prince des croyants, comme par le passé et pour toutes les affaires. Les cargaisons ne se feront pas autre part que dans ce port. Quant à Mostaganem et Oran, ils ne recevront que les marchandises nécessaires aux besoins de leurs habitants et personne ne pourra s'y opposer. Ceux qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la Merza. 

En dessous se trouve la signature du commandant de l’armée d’Oran.

Seule la première partie du traité, bilingue, fut transmise au ministre de la guerre qui la cautionna  par une lettre au général Desmichels datée du 14 février 1834. Par contre la deuxième partie, rédigée en arabe, ne fut pas transmise au gouvernement, or c’était cette partie qui était la plus contestable à ses yeux : le ministre de la guerre n’avait donné l’autorisation au général de négocier  qu’à la condition que  l’émir reconnaissent explicitement qu'il acceptait la souveraineté de la France, prêterait hommage au roi, payerait un tribut annuel et n'achèterait qu'en France les armes et les munitions dont il aurait besoin. Le général Desmichels fut désavoué et relevé de son commandement en février 1835. Tant qu’il fut présent à Oran, la paix fut préservée.

Le général Desmichels prouva que négocier avec les tribus arabes était certes ardu et aléatoire mais possible, encore fallait-on que les deux parties fassent des propositions qui puissent être concrétisables.

jeudi 23 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (11)

   L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (2)

L’ANNÉE 1834, L’ORGANISATION DES POUVOIRS

En 1834 sont prises deux décisions importantes qui vont engager l’avenir de la colonie  : l’une sur son organisation  politique et l’autre sur la mise en place d’une justice civile.

LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE L’ORDONNANCE DU 22 JUILLET1834 SUR L’ORGANISATION DES POUVOIRS

1. Le commandement général  et la haute administration des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique (ancienne régence d’Alger)  sont confiés à un gouverneur général. Il exerce son pouvoir sous les ordres de notre ministre, secrétaire d’Etat de la guerre

2. Un officier général commandant les troupes
    Un intendant civil,
    Un procureur général,
    Un intendant militaire, 
    Un directeur des finances
sont chargés des différents services militaires civils et militaires sous les ordres et dans les limites de leurs attributions respectives8 

 3. Le gouverneur général a, près de lui, un conseil composé des fonctionnaires désignés dans l’article précédent.

4. jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, les possessions françaises dans le Nord de l’Afrique seront régies par ordonnance.

5. le gouverneur général prépare en conseil les projets d’ordonnances que réclame la situation du pays  et les transmet à notre ministre, secrétaire d’Etat à la guerre. Dans les cas extraordinaires ou urgents, il peut, provisoirement, par voie d’arrêtés, rendre exécutoires les dispositions contenues dans ce projet.

Cette ordonnance est très importante d’abord parce qu’elle clôt la période d’hésitation et de tergiversations de la période précédente, ensuite parce qu’elle augure le cadre de l’organisation administrative de l’Algérie coloniale française.

En premier lieu, est affirmé à deux reprises le fait que la zone d’occupation de l’armée est possession de la France. Le cadre de la conquête est également défini, il comporte l’ensemble des territoires autrefois sous la suzeraineté du Dey d’Alger qui, en 1830 comprenait :

 . Une zone allant de la frontière marocaine à l’Est d’Alger, elle comportait à la fois les plaines littorales et les hauts plateaux et s’étendait jusqu’à l’Atlas saharien.

 . Une zone allant de Bougie à la frontière tunisienne et s’étalant vers le sud jusque l’Aurès. 

. Entre les deux zones, un étroit couloir  contournant des terres tribales restées autonomes.

Cet objectif de conquête sera réalisé à la fin de la monarchie de juillet.

Une deuxième caractéristique de cette ordonnance réside dans le fait qu’elle unifie les pouvoirs en Algérie et les place sous la direction du gouverneur général qui, à celle époque, sera systématiquement un militaire ; désormais, il n’existera plus de contrepouvoir et surtout de séparation entre les territoires civils et les zones militaires, l’intendant civil étant  subordonné au gouverneur général. Celui-ci contrôlera non seulement l’administration et l’armée mais aussi l’organisation de la justice et des finances : il dirigera donc les possessions algériennes de manière quasiment dictatoriale. 

Il existait certes deux limites théoriques à cette omnipotence du gouverneur :

     . Il était entouré d’un conseil comportant les chefs de service choisis par le gouvernement. Il est probable qu’il devait discuter avec eux des décisions à prendre concernant la colonie

     . Il ne pouvait rédiger que des projets de circulaire, pour qu’une circulaire soit promulguée, il fallait l’accord du ministre de la guerre.

Cette deuxième limite était cependant illusoire puisque, en cas d’urgence, le gouverneur avait le droit de faire appliquer ses projets sans attendre l’aval du ministre du fait des importants délais de transmission et de décision.

Enfin, il convient de remarquer que les décisions concernant la colonie sont effectuées par le gouvernement central sans passer par le parlement, ce qui conforte encore plus l’autocratisme du gouvernement de la colonie délégué au gouverneur général.

ORDONNANCE SUR L’ORGANISATION DE LA JUSTICE

Un autre texte important est promulgué le 30 août 1824 concernant la pratique de la justice, jusqu’alors aux mains des tribunaux militaires, ceux-ci restant néanmoins compétents dans leur domaine réservé.

L’ordonnance crée deux types de tribunaux dans les zones soumises au pouvoir civil : des tribunaux français et des tribunaux indigènes.

Les tribunaux français sont organisés à deux niveaux d’instance :
     . Des tribunaux d’instance à Bône, Oran et Alger comportant deux juges officiellement nommés par le roi mais en fait désignés par le gouverneur général.
   . A Alger, un tribunal supérieur possédant le rôle du tribunal d’assises et un tribunal de commerce dont la compétence s’étend à toutes les zones sous administration civile.

 A chaque niveau sont établis des procureurs (procureur local et procureur général)

Les tribunaux « indigènes » restent composés de leurs  juges traditionnels et rendent une justice basée sur leurs propres traditions. Ils sont nommés par le gouverneur et rétribués par l’Etat. Les peines graves  prononcées par ces tribunaux ne peuvent être exécutées sans le visa du procureur. De même, l’exécution ne peut être infligée que par les autorités françaises.

Les domaines de compétence respectifs des tribunaux français et indigènes sont aussi déterminés par cette loi.

     . Les tribunaux français jugent les affaires entre français,

     . Les tribunaux indigènes jugent les différents entre les autochtones, cependant, si des autochtones font appel de la décision des tribunaux indigènes, cela ne peut être effectué que devant le tribunal supérieur, en ce cas, c’est le code pénal français qui est seul applicable. Il se peut alors qu’un délit punissable par la loi locale ne le soit pas par le code français, en ce cas, l’appelant est acquitté.     

     . En ce qui concerne les affaires entre français et autochtones, elles sont du ressort des seuls tribunaux français ; en ce cas, c’est le code pénal français qui est seul compétent. En cas d’affaire mixte, les tribunaux français doivent s’adjoindre un assesseur autochtone avec voix consultative, chargé de traduire en langue vernaculaire les débats et la sentence.

Au vu de ce qui précède, l’ordonnance du 20 aout présente une caractéristique fondamentale   : elle tend à établir implicitement la supériorité du droit français, seul compétent en cas d’appel et aussi dans les affaires mixtes : ainsi un musulman qui s’estime lésé par un français selon le droit islamique, sera débouté si le juge français ne trouve pas dans le code pénal mention du délit équivalent à celui du droit islamique.

lundi 20 décembre 2021

La politique coloniale de la MONARCHIE DE JUILLET en ALGÉRIE (10)

  L’ANNÉE 1834 : LA LEVÉE DES INCERTITUDES (2)

LES DÉBATS À PROPOS DU BUDGET SUR L’ALGÉRIE A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS (29 AVRIL- 3 MAI 1834) SUITE AU RAPPORT DE LA COMISSION. 

Comme tous les ans à cette période, les députés examinaient le projet de budget ; pour 1835, le ministre de la guerre proposa de consacrer  à l’ex régence  la somme de 30 millions pour maintenir en Algérie une armée de 30.000 hommes.

Le débat qui eut lieub est particulièrement intéressant pour quatre raisons :

 . Il se base sur la situation réelle des terres conquises grâce au rapport de la commission parlementaire.

     . Il montre que, grâce aux membres de la commission qui ont pu constater de-visu les crimes et spoliations survenus, ces méfaits que l’on soupçonnait sans preuves, sont désormais avérés, connus et dénoncés par un certain nombre de députés.

     . Il révèle à nouveau, sans doute pour la dernière fois,  l’ampleur  des désaccords entre adversaires et partisans du maintien de la France dans les anciens territoires de la Régence.

     . Il consacre, néanmoins, une nouvelle fois,  la décision du maintien de la France dans les territoires conquis.

Je décrirai ci-dessous, d’abord la position des partisans de l’évacuation des territoires occupés puis  celle des partisans du maintien avant de montrer l’évolution de l’assemblée à ce propos.

LES ADVERSAIRES DE LA COLONISATION

 Le premier orateur est M de Sade, un des participants à l’assemblée de 19 membres, il décrit les méfaits occasionnés dans la région algéroise par l’occupation militaire et est partisan de son évacuation. Il emploie dès le début de son discours’ une formule choc et prémonitoire  : Si vous maintenez l’occupation restreinte, « vous serez obligés d’attaquer pour ne pas être attaqués, vous serez obligé de conquérir si vous ne voulez pas être conquis »

 

Voici ce qu’il dit, au vu de l’expérience acquise lors de sa participation à la commission :

     . Il n’y a aucune fusion possible entre les peuples autochtones, qualifiés par l’orateur d’Arabes, et les français : pour mettre en valeur le pays, il faudra importer des colons de « race » européenne et il faudra se résigner à expulser les naturels, ce qui est synonyme d’extermination.

     . On ne peut pas dire à l’Arabe « plie ta tente et va paître tes troupeaux ailleurs .. chaque tribu possède des territoires d’où elle tire sa subsistance : l’en chasser, c’est le priver de ses moyens d’existenc» il s’en suit une résistance acharnée suivie de représailles ; la conséquence en est que, dans la région d’Oran, les tribus, pour se défendre, se sont groupées autour d’un émir, Abd-El-Khader

     . « À Alger, nous avons abattu 900 maisons sans formalités ni payer d’indemnités, on s’est emparé de 60 mosquées pour le service de l’armée, on en a complètement détruite. Partout où nous avons eu des travaux à entreprendre, on a fouillé les sépultures et dispersé les ossements sans respect pour les Maures ».

     . La conséquence de ces ravages et de la réquisition forcée, fait que la population algéroise a considérablement diminuée, il n’en reste que 20.000 avec adjonction de 4000 européens (surtout venus illégalement). De même, le commerce, après quatre ans d’occupation, est moins important qu’avant. 

     . « Alger était entouré de jardins et d’habitations de plaisance, ressemblant à ceux ceignant Marseille, cela a disparu, les jardins ont été dévastés, les conduites hydrauliques pour l’irrigation sont détruites, les maisons ont été abattues et les charpentes prises pour faire du bois de chauffage et, quand cette ressource a manqué, on a coupé les plantations et les arbres fruitiers, voilà jusqu’à présent, les seuls défrichements que l’on a opéré »

     . On a créé une administration qui a fait venir 400 colons et on a créé deux villages : un de 300 personnes et 30 hectares, un de 100h et 20 hectares. Les pauvres hères qui y habitent sont encore nourris au frais de l’Etat.

     . Il n’y a d’ailleurs que peu de colons véritables, ce sont presque tous des spéculateurs profitant des malheurs des Maures pour leur acheter à vil prix des biens qui leur appartiennent selon le régime de la propriété ancestrale  des terres (on n’en tient évidemment pas compte et on ne cherche même pas à le comprendre)

     « Les musulmans ont fui ces terres qui sont pour eux des terres de désolation, ils vendent leurs terres pour un morceau de pain aux spéculateurs qui accourent dans le pays de tous les ports de la Méditerranée pour y fondre comme une proie qui leur est dévolue ».

 

En ce qui concerne la Mitidja récemment occupée, M de Sade donne les précisions suivantes :

     . Une partie de la plaine est marécageuse, la terre ailleurs est médiocre. La région doit être assainie, sinon elle est inhabitable. Pour cet assainissement, on demande la dépense de deux millions de francs et 3000 travailleurs. On ne trouvera pas d’autochtones pour le faire, il faut espérer qu’on ne songe pas à utiliser l’armée ! en 1832, on a établi des camps mal placés, 1450 soldats sont morts et il fallut en réformer 1500. On ne doit pas non plus songer à employer des prisonniers, ils ne sont ni condamnés à la déportation ni à mourir des miasmes pestilentiels de ces marais.

     . Il faudrait entourer aussi les zones colonisées de fortins car on ne peut labourer qu’à portée du canon. Cela coûtera cher, quand on pense que pour le seul poste de Blida, on demande 2 à 3000 hommes !

     . Dans les plaines de la Mitidja, on a déjà vendu plus de terrains qu’il est possible d’en tirer : sur les 360.000 arpents vendus, il n’y a pas deux tiers qui aient de la valeur, plusieurs acquéreurs apprendront bientôt qu’ils ne possèdent rien du tout.

    . Il est douteux que des denrées tropicales puissent pousser dans le pays.

 

En ce qui concerne la demande des 30 millions pour 30.000 hommes, M de Sade indique que cette somme ne suffira pas : à celle-ci, il faudra ajouter 2,5 millions pour la marine, 1,5 millions de dépenses administratives, 3 millions de travaux, tout cela donne une dépense réelle de 37 millions. Il indique aussi que la commission d’Afrique a produit un plan qui réduirait la dépense à 27 millions pour un effectif de 21.000 soldats.

 

Cette intervention résume parfaitement bien les conclusions de la commission d’Afrique

 

Le deuxième orateur qui se proclame pour le retrait d’Alger, fut André Dupin, le président de la chambre des députés de 1832 à 1839. Il ajoute de nombreuses observations sur l’état lamentable de la conquête française après quatre années de présence de l’armée, en voici quelques extraits :

     . Les Maures avaient de vives préventions contre les chrétiens qui les ont chassés d’Espagne, il fallait les ménager mais ce fut le contraire, les faits sont venus fortifier ces appréhensions ce qui renforça chez les Maures la puissance de leurs souvenirs.

     . L’absence de respect des mosquées, des tombeaux et des propriétés privées  n’est pas seulement le fait des spéculateurs, c’est aussi celui des fonctionnaires civils et militaires qui ont spéculé (Le général Clauzel  reconnaît les faits, et indique qu’il a bien encouragé les achats de terres).

     . Le domaine public de l’ancienne régence ne repose pas sur des actes explicites mais sur la foi testimoniale ; dans leur désir d’avoir des vendeurs de terres, pour se créer un simulacre de titre, on cherchait un habitant qui voulut effrontément s’en dire propriétaire et consentir à la vente.

     . On fait croire aussi aux propriétaires de terres qu’ils étaient bien heureux d’en tirer un prix médiocre parce que tôt ou tard, elles leur seraient enlevées.

 

Ces deux dernières caractéristiques expliquent à la fois le ressentiment des autochtones vis-à-vis des européens mais aussi le saccage du Sahel d’Alger qui, de fertile, est devenue un friche, le désir des spéculateurs étant non de cultiver, mais d’acquérir les plus grands domaines possibles afin de les revendre en faisant du bénéfice.

 

C’est d’ailleurs ce que M Dupin indique explicitement :

     . Le territoire d’Alger appartient désormais à de gros capitalistes.

     . Les spéculateurs marchent à la suite de l’armée pour voir ce qu’ils pourraient s’emparer, ils sont à l’affût d’affaires, achètent des terres à bon marché, servent de prête-nom à des plus puissants, trompent le gouvernement lui vendant de mauvaises denrées et rachetant à bon marché ce qu’ils ont vendu cher.

      . A l’appui de ses allégations, M Dupin cite un exemple évident  de spéculation scandaleuse : on a trouvé, dit-il, dans les magasins beylicaux d’Alger 15500 sacs de blé pesant 80 kg et se vendant au prix moyen de 6 à 7 francs, les spéculateurs les ont achetés  2,70 francs. Après avoir vidé les stocks du gouvernement, il a fallu que l’armée achète du blé pour nourrir les soldats, il lui fut vendu au prix de 17 francs le sac.

 

M Dupin termine son discours en montrant que ces agissements entachent gravement « l’honneur du nom de France »

     . « En arrivant, on a dit : nous vous apportons la civilisation ! La civilisation, c’est la loyauté, le sentiment de la justice, le respect de soi-même et d’autrui. La population maure a de la religion, de l’équité, de la bonne foi, ils savent tenir la parole donnée et ne méritaient pas de recevoir de nous des leçons de barbarie »

    . Nous n’avons apporté que « crimes, assassinat et spoliation »

 

LES PARTISANS DU MAINTIEN

 

Ce constat assez terrifiant n’empêcha pas les partisans du maintien de la France dans l’ex-régence, de montrer que celui-ci est indispensable : ils arguent de trois arguments : 

     . Il y va de l’honneur national, la France serait déconsidérée par l’Europe si elle quittait  ses conquêtes en Afrique du Nord.

     . Si la France quittait l’Algérie, elle perdrait la maîtrise de la Méditerranée occidentale qu’elle a acquise par cette conquête, l’Angleterre en profiterait pour s’en emparer.

     . C’est le devoir de la France de se maintenir à Alger pour y apporter le progrès et la civilisation

 

Ce troisième argument a été en particulier développé  dans le discours d’un orateur que l’on attendrait pas dans l’hémicycle de la chambre des députés, Alphonse de Lamartine, écrivain et homme politique, élu député de Bergues dans le Nord en 1833 : le 3 mai 1834, il prononce un discours que l’on qualifierait aujourd’hui de raciste, proclamant la supériorité de la civilisation européenne sur celle des pays de l’Islam.

 

     . Il proclame d’abord que c’est le devoir de la civilisation européenne d’avoir une politique de colonisation « De grandes colonisations entrent indistinctement dans le système politique que l’époque assigne à la France et à l’Europe ».

     . Renoncer à la conquête serait catastrophique car ce serait l’abandon de la civilisation et le retour à la barbarie islamique : « Remettre les rivages et les villes de l’Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie, la mettre à la garde de ses pirates, nos colons à la protection et à l’humanité de leurs bourreaux. »

     . Abandonner l’idée de la mise en œuvre de la colonisation serait « une pensée antinationale, antisociale et anti humaine que nous devons repousser comme nous repousserions la pensée d’une honte ou d’un crime. »,

     . Ce serait aussi faillir à la grande mission qui est dévolue à la France par la Providence de transmettre notre civilisation aux peuples barbares pour les faire progresser vers le progrès. En ce sens, la conquête de l’ex-régence est une guerre juste ;  « Abdiquerons-nous volontairement ce que la conquête d’Alger nous a donné sur le mahométisme … et que nous perdrions le jour même où le drapeau français s’abaisserait sur le rivage d’Afrique… ce serait renier notre mission et notre gloire, ce serait renier la providence qui nous a fait ses instruments de la conquête la plus juste peut-être qu’une nation ait jamais accomplie »

 

Ce discours préfigure certains discours du 19e siècle sur la supériorité de la race blanche !

 

LA CONCLUSION DES DEBATS


La lecture du « Journal des débats » à propos du vote du budget sur l’Algérie  permet aussi d’apprendre trois informations complémentaires montrant bien l’évolution des mentalités depuis 1830 :

     . L’opinion publique, après avoir subi une intense propagande de la part des groupes de pression (dont Clauzel) favorables au maintien et à la colonisation, s’est convertie à cette idée et pousse le gouvernement à cesser de tergiverser.

     . Le maréchal Soult, président du conseil, indique aux députés que le gouvernement s’est rallié à cette idée : le gouvernement  « n’a jamais entendu abandonner Alger … l’intention du gouvernement était de conserver Alger et de ne jamais l’abandonner »

     . Les députés doivent se résoudre à voter les crédits demandés mais ils demandent au ministre de ne pas financer immédiatement la colonisation et d’affecter les sommes prévues à cet effet, pour assainir la Mitidja afin que les colons puissent s’installer dans des conditions décentes.

 

La lecture des journaux des époques ultérieures me fait penser que ce débat entre les partisans de l’évacuation de l’ex-régence et de sa conservation sera un des derniers de ce type : désormais le maintien de la France dans la colonie ne fera plus l’objet de critiques aussi virulentes que celles que je viens de citer.