REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

samedi 31 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (4)

En dessous de la scène du  tournoi, la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montre les dames et les chevaliers se livrant à la danse, une activité réprouvée par l'église comme le montre la présence de deux diables : l'un mène la sarabande, l'autre joue de la flûte d'une main et de l'autre frappe sur un tambourin qu'il porte par une lanière passée derrière son cou.

Cette danse évoque nos actuelles danses folkloriques, il n'y a aucun contact physique entre les dames et les jeunes gens puisqu'ils tiennent une tige de fleur (?) qui les relie. Les hommes ont relevé leur tunique pour être plus à l'aise et mieux se déhancher. Le mouvement de déhanchement est visible sur le corps des femmes.

Pour l'église, la danse détourne le chrétien de songer à son salut et est un témoignage des vanités de ce monde et des tentations diaboliques : on ne peut s'y livrer que sous l'emprise du mal !

La scène suivante évoque un autre péché : celui de la pratique courtoise. L'homme a un genou à terre tandis que la femme est debout, leurs mains tendent à se rejoindre sans toutefois se toucher. Il se peut que le chevalier soit le champion de la dame lors du combat, dans ce cas, il pourrait lui dire : " Dame accordez moi de servir sans réserve comme votre homme-lige"

C'est évidemment le diable qui incite le chevalier à déclarer ainsi sa flamme et qui conduit la femme à écouter le compliment.

Ces paroles enflammées n'iront cependant pas plus loin qu'un amour platonique : à cette époque, les mariages sont arrangés par les parents surtout dans le but de recomposer les seigneuries, de les agrandir et d'avoir des héritiers : on épouse une femme que l'on n'aime pas et on aime une femme que l'on épousera pas ! Il y a tout un monde entre la Dame de cœur et la mère de ses enfants !

Malgré cela, l'amour courtois est un péché car pour la même raison que la danse, il détourne de l'aspiration au  salut.

Que de péchés sur cette miniature :  gourmandise, orgueil, abandon aux vanités de ce monde... Ce serait l'enfer si ...

ANNEXE
UN TRÈS BEAU POÈME COURTOIS DE WOLFRAM VON ESCHENBACH (1170-1220)

Mes chants veulent trouver grâce devant toi, femme chérie ! Viens à mon secours ; car je ne puis vivre sans toi. Laisse-moi te consacrer cet hommage que je te voue à jamais, que je te voue jusqu’à la mort. Que tes faveurs me consolent, qu’elles apaisent mes longues douleurs.

Noble dame, mes hommages pourront-ils obtenir qu’un de tes arrêts favorables me rende la joie, que mes peines s’évanouissent, et qu’un amour aussi fidèle reçoive une douce récompense ! Ta bonté me force à te célébrer dans mes vers, peu de temps, si tu repousses mes vœux, longtemps, si tu me rends à la vie.

Noble dame, ta bonté qui me charme, et ton dédain de mon amour ont suspendu le cours de mon bonheur. Veux-tu consoler mon âme ? Une douce parole sortie de ta bouche a tant de charme pour moi. Détourne loin de moi les maux dont je me plains, afin que je puisse encore goûter quelque félicité en cette vie.

vendredi 30 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (3)

Les deux scènes qui suivent le repas sur  la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montrent les diables excitant les chevaliers pendant un tournoi.

La première scène montre la parade des seigneurs devant les dames. Les dames sont installées aux fenêtres de la grande salle du logis seigneurial du château, cette grande salle est toujours située au premier étage de ce logis, ce qui permet par les  fenêtres de bien voir le tournoi. Celui-ci se déroule généralement dans les lices de manière à disposer de plus de place.

Les chevaliers portent sur la tête un chapeau qu'ils garderont sous le casque pour le tournoi ; d'une main, ils arborent leur lance dont la pointe est couverte, pour l'instant, d'un manchon décoré. De l'autre main, ils tiennent les rênes du cheval, le bouclier étant accroché à leur avant-bras par deux sangles. Le cheval est caparaçonné, il porte les armoiries du seigneur. Dans le code de l'amour courtois, chaque dame se choisit un champion qui combattra pour elle et portera ses couleurs.

Evidemment, les diables ont tout intérêt à ce type de comportement : le souci de paraître est aux antipodes de l'humilité évangélique, il témoigne d'un orgueil insupportable, l'orgueil étant le premier et le plus grave des péchés capitaux.

La scène qui suit montre deux diables ailés stimulant l'ardeur des combattants du tournoi. Les participants sont constitués en deux camps, composés  généralement des chevaliers dépendant de deux seigneuries. On discerne leur équipement : casque à visière, cotte de mailles ( représentée par des lignes de points, gantelet, jambières, le reste de l'armure est masquée par la tunique que l'on porte au dessus.

Le tournoi ressemble tout à fait à une guerre : le but est, comme à la guerre,  de désarçonner les adversaires. La technique de combat est particulièrement bien décrite : on fonce vers la troupe adverse, la lance tenue en l'air ; juste avant le contact, on abaisse sa lance pour heurter de plein fouet un adversaire, c'est à celui qui sera le plus rapide et le plus solide sur son cheval . La première vague d'assaut est suivi d'une seconde : d'autres chevaliers  attaquent à l'épée afin de faire tomber ceux que le heurt des lances n'a pas fait chuter .

Deux diables excitent l'ardeur des combattants : peut-être que pendant ce tournoi, il y aura des morts, ce serait pour eux l'enfer assuré !

jeudi 29 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle. (2)

La première image de la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montre le repas.

On se trouve dans la grande salle d'un château et la table dressée est recouverte d'une nappe ; les hommes sont vêtus d'une simple tunique et les femmes portent une robe sur laquelle elles ont mis une tunique ici de couleur verte.

Sur la table, on ne trouve ni assiette, ni cuillère ni évidemment fourchette. Les convives n'ont à la main que des couteaux avec lesquels ils coupent la viande (ici des volailles) directement dans le plat et la portent à la bouche au moyen de leur main ; sur la table se trouvent aussi du pain ainsi que des pichets soit de vin, soit d'eau pour se rincer les doigts entre deux viandes. Normalement, on posait une tranche de pain près de chaque convive afin qu'il puisse poser la viande sur ce pain. Le pain graisseux était ensuite donné aux domestiques.

Sur cette image, les diables incitent les convives à manger en apportant des plats et à boire, le diable assis à gauche tient une coupe dans la main et semble lever cette coupe à la santé des convives.Le repas est agrémenté de diables jouant de la musique, celui de gauche joue de la viole, l'autre souffle dans une trompette.

Tout est fait pour inciter les seigneurs présents à succomber aux vanités de ce monde !

Après le repas se déroulera le tournoi...

mercredi 28 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (1)

Les mentalités de l'époque médiévale oscillent, on l'a vu, entre angoisse de l'enfer et optimisme sur le salut : tandis que les uns s'efforcent de gagner le salut par la foi et leurs mérites, d'autres se disent que l'on peut toujours trouver le moyen de s'en sortir grâce aux méthodes mises à la disposition des chrétiens par les sacrements dispensés par l'Eglise

C'est le cas dans cette miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD datant du 13e siècle.

En premier lieu, il convient d'observer que, dans ce dessin, les diables sont partout : je les ai comptés, il y en a 14, ils incitent au péché et gesticulent de contentement car ils espèrent récupérer toutes ces âmes au jugement dernier.

Cette miniature montre aussi la manière dont on imaginait le diable à l'époque : un personnage velu avec des cornes, parfois de courtes ailes subsistant du temps où il était un ange avant sa déchéance, une queue, des pieds crochus.. Les poils du diable de droite forment un visage humain au niveau de son ventre.

Ces diables, comme on le voit, dans leurs incitations au péché, paraissent beaucoup plus sympathiques que le diable de la pesée d' Autun qui recueille le fruit de leur travail de tentation et peut se permettre de montrer son vrai visage !

Dans les quatre articles qui vont suivre, je décrirai les incitations au péché auxquelles les seigneurs représentés succombent. Pourtant, cette histoire se terminera bien comme on le verra !

mardi 27 mai 2014

L'église médiévale, instrument du salut.

C'est le dernier volet de cette étude sur les concepts de la chrétienté médiévale, elle concernera l'apport effectué par l'église dans le cadre de la société de l'époque.

La description du tympan de Conques m'a permis de proposer deux analyses :
   . La peur de l'enfer est un puissant moteur de moralisation de la société même si elle peut conduire à une angoisse existentielle pour tout acte qui pourrait augmenter le poids des péchés dans la balance.
   . L'église transmet un message d'espoir : l'être humain est capable par les mérites que permet sa foi de gagner le salut.

Il va de soi que l'église en tant qu'institution se devait d'accompagner les fidèles dans leur quête du salut afin qu'ils ne cèdent pas au désespoir du la damnation. Un certain nombre de dispositions furent prises pour donner aux chrétiens les moyens de se rassurer et même de tourner à leur avantage les disposions évangéliques. C'est le cas en particulier de trois sacrements définis et explicités dans le 21ème canon du 4eme concile de Latran tenu en 1215 sous le pontificat du pape Innocent III.

" Tous les fidèles parvenus à l'âge de discrétion confesseront tous leurs péchés au moins une fois l'an à leur propre prêtre; ils accompliront la pénitence qui leur sera imposée et recevront le sacrement de l'eucharistie avec respect au moins à Pâques. Ceux qui ne s'acquitteront pas de ce devoir seront condamnés à être privés, de leur vivant, de l'entrée de l'église, et de la sépulture ecclésiastique après leur mort; et ce statut sera publié souvent dans l'église, afin que personne n'en prétende cause d'ignorance.
Il apparaît dans ce canon une chronologie en trois actes : confession, pénitence, eucharistie.
   . La confession permet au chrétien de reconnaître ses péchés en les nommant au prêtre, le prêtre donne ensuite l'absolution qui a pour conséquence l'effacement des péchés à la condition que le chrétien témoigne de son repentir.
   . Suit alors la pénitence,
   . Alors, ayant réparé ses fautes, le chrétien purifié peut recevoir l'Eucharistie qui, rappelons le, est le moyen de communier avec le corps du Christ et d'obtenir la vie éternelle.

Cette chronologie appelle plusieurs remarques :
     . Il convient d'abord de remarquer que seule l'Eucharistie figure dans les textes évangéliques, ni la confession ni la pénitence n'y sont mentionnées. Le seul terme indiqué dans les évangiles est celui de la repentance,
     . cela induit que confession et pénitence sont des concepts forgés par l'église médiévale au milieu du Moyen-âge et qui furent assortis de théories propres à cette époque.

En premier lieu, l'église effectua la distinction entre la peine éternelle et la peine temporelle :
     . la peine éternelle est celle des supplices de l'enfer. Du fait de la grâce de Dieu et du sacrifice du Fils pour sauver le monde, tout péché avoué est effacé sitôt que la formule d'absolution est prononcée par le prêtre, cependant cet effacement est assorti d'une double condition : il faut que le pécheur exprime son repentir et qu'il s'abstienne ensuite de commettre les mêmes fautes. La peine éternelle n'existe que pour ceux qui ne témoignent pas de repentir ou qui persévèrent dans ce péché. Un prêtre a tout pouvoir pour absoudre un péché, cependant, pour les cas très graves. l'absolution ne pouvait être prononcée que par un ecclésiastique de haut rang voire même parfois par le Pape.
     . la peine temporelle concerne tous les péchés même ceux que Dieu a effacé, elle est due en conséquence de la violation de l'ordre établi au sein de l'église et de la communauté chrétienne et pour sa réparation. La peine temporelle est infligée par l'Eglise. C'est à ce titre que le prêtre impose la pénitence.

Cette pratique des peines temporelles est à mettre en rapport avec une autre disposition doctrinale : celle du purgatoire : quelqu'un qui meurt sans avoir effectué toutes les pénitences consécutives aux peines temporelles doit les accomplir au purgatoire où il souffrira de supplices semblables à ceux de l'enfer mais temporairement seulement, le temps que les pénitences non réalisées de son vivant sur terre soient accomplies.

À cette notion de pénitence et de purgatoire s'ajouta celle des indulgences : les indulgences sont une manière soit de diminuer la lourdeur d'une pénitence, soit d'anticiper en prévention d'une future pénitence à venir. Il est possible d'utiliser ces indulgences pour soi-même ou pour des défunts ce qui permet de diminuer le temps qu'ils devaient rester au purgatoire. (1)


L'Eglise médiévale a beaucoup insisté sur les notions de pénitence et d'indulgence dans le double objectif de permettre aux fidèles d'effacer leurs péchés mais aussi d'oeuvrer pour ses propres desseins : quelques exemples permettent de le montrer :
   .  la croisade et la délivrance des lieux saints garantissait l'indulgence plénière pour tous ceux qui mourraient lors de la croisade.
   . Le pèlerinage était aussi le moyen de remédier aux péchés : on raconte par exemple, que lors d'une confession, un évêque constata qu'un chrétien avait commis un péché si grave qu'il ne pouvait l'absoudre. L'évêque dit alors : je vais écrire ton péché sur une feuille, tu partiras à saint Jacques de Compostelle, arrivé la-bas, tu prieras l'apôtre, puis tu montreras cette feuille et tu feras la pénitence qu'on t'indiquera. L'individu suivit ce conseil, il partit en pèlerinage ; quand il arriva, il montra la feuille, elle était devenue toute blanche : le péché avait été effacé. Des légendes comme celles-ci expliquent l'importance des pèlerinages dans le monde médiéval ainsi que le culte des reliques.
   . Un autre moyen était, comme on l'a dit, de faire des dons à l'église afin que par des messes régulières, on puisse raccourcir le temps de purgatoire. Il arrivait même que certains seigneurs sur leur lit de mort disent à leur fils : tu iras à ma place en pèlerinage, pour la rémission de mes péchés.
   . Il arrivait aussi, mais c'est une perversion du système, que l'on rachète par avance des péchés que l'on va commettre : la tour du beurre à Rouen doit son nom au fait que l'on effectuait des aumônes pour avoir le droit de manger gras pendant le carême.
   . De même des campagnes d'indulgences étaient régulièrement lancées quand on manquait d'argent pour la construction d'une cathédrale,c'est d'ailleurs une de ces campagnes dénoncée par Luther qui donna naissance au protestantisme
   . Enfin, bien entendu, il existait aussi des actes simples de prières, de charité, de mortifications personnelles, de dévouement envers les autres que l'on effectuait soit en guise de pénitence, soit pour acquérir des indulgences.

Si on considère ces éléments, on s'aperçoit que l'on est bien loin de l'angoisse existentielle que révèlent les tympans d'église romane, celle-ci n'était qu'un élément des mentalités médiévales ; en réalité, il était toujours possible de transiger non avec Dieu mais avec l'église, certains en arrivaient même subtilement à concilier vie de péché et rédemption, comme on le montrera dans l'article qui suivra.

lundi 26 mai 2014

LES GRANDS CONCEPTS DE LA CHRETIENTE OCCIDENTALE MÉDIÉVALE.  Obtenir le salut (5) épilogue

3- COMPARAISON ENTRE LE MESSAGE ÉVANGÉLIQUE ET CELUI DU TYMPAN DE CONQUES

Il apparaît à première vue une assez nette différenciation entre la complexité du message évangélique tout en nuances et en subtilités et la représentation du tympan de Conques dispensant un message clair, simple et précis.

À première vue aussi, il semble apparaître une sorte de renversement des valeurs et cela à deux niveaux  :
   - l'Evangile annonçait une bonne nouvelle, celui qui a la foi sera sauvé : " Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez" (MATTHIEU 21-22)
   - le Tympan de Conques semble vouloir dire : vous êtes tous pécheurs et voués à l'enfer si vous ne contrebalancez pas  vos fautes : ce message est exprimé clairement comme en témoigne l'inscription mentionnée au dessous du dernier registre où était gravée la phrase suivante :
PECCATORES TRANSMUTETIS NISI MORES JUDICIUM DURUM VOBIS SCITOTE FUTURUM :
« Pécheurs, si vous ne réformez pas vos mœurs, sachez que vous subirez un jugement redoutable ».

Ce renversement des valeurs est obtenu au moyen de deux procédés :
     . Une nette minoration des moyens cités par le message évangélique pour obtenir le salut : on ne trouve en particulier pas de mention des comportements moraux cités par Jésus : pauvreté, refus des vanités de ce monde de la violence ; la foi et la grâce de Dieu sont vaguement signalés : pour l'église médiévale, seules semblent essentielles les méthodes permettant de rattraper les péchés commis,
     . Une exacerbation de l'idée de péché et des supplices de l'enfer.

Pourtant, si on dépasse cette première impression, on constate que ce message correspond exactement aux préceptes des Évangiles et aux commentaires effectués par saint Augustin : la foi seule ne suffit pas, il faut mettre cette foi en conformité avec ses actes. À cette époque, tous sont chrétiens et sont baptisés, ils sont donc censés avoir la foi, il leur faut ajouter à celle-ci les œuvres qui permettent le salut.

Ces tympans présentent l'étonnant paradoxe d'être à la fois une source extrême d'angoisse et le témoignage d'un surprenant optimisme .

Il est une double source d'angoisse pour ceux qui lèvent le regard au moment d'entrer dans les églises pourvues d'un tympan semblable et qui observent les scènes représentées :
   . Au niveau de leur salut  personnel, ils regardent atterrés les supplices de l'enfer disant par exemple : " j'ai été gourmand hier, voilà ce qui m'arrivera, je vomirai éternellement tout ce que j'ai mangé et bu ! "
   . Au niveau de la fin des temps, ils subissent les violences continuelles des guerres entre seigneurs, et se disent que Jésus a prévu que ces guerres surviendraient juste avant le jugement dernier :  ils regardent le tympan  avec terreur : " et si la fin du monde arrivait maintenant, avec tous les péchés que j'ai commis, j'irais en  l'enfer car la balance ne pencherait sûrement pas du côté du paradis ! Décidément, il faut que je me corrige et que je trouve le moyen de faire pencher le plateau du bon côté ! "
Ainsi, la peur de la balance pouvait conduire à moduler perpétuellement sa vie en fonction de la pesée et de la peur de l'enfer au prix d'angoisses sans cesse renouvelées  !

Pourtant, ces tympans de jugement dernier peuvent être aussi interprétés comme un témoignage d'optimisme : pour l'église de l'époque, l'homme est capable de gagner son salut par ses mérites : certes, il est, comme on l'a dit, attiré par le mal et commet de ce fait des péchés, pourtant, sa foi et les conseils de l'Eglise aidant, il est capable de réagir et de gagner son salut par lui-même. Il en est une preuve évidente : dans tous les tympans, la balance penche toujours du bon côté, ce qui montre bien que finalement, tous les fidèles sont capables de gagner leur salut.

L'évolution survenue est parfaitement résumé par ce tympan d'une petite église des Vosges à Vomecourt sur Madon.

dimanche 25 mai 2014

LES GRANDS CONCEPTS DE LA CHRETIENTE OCCIDENTALE MÉDIÉVALE.  Obtenir le salut (4) : le PARADIS du tympan de Conques

2/ LE SALUT

Les moyens pour obtenir le salut sont beaucoup plus discrets que la description des péchés et sculptés sur trois registres du tympan de l'abbaye de Conques  à droite du Christ en gloire en tant que détails significatifs et presque anecdotiques :
   - tout en haut sont figurées trois vertus théologales  foi, espérance, charité et une vertu catholique, l'humilité sous forme d'anges tenant des phylactères rappelant ces vertus (a) : foi, espérance, humilité, charité, sont les seul éléments  de ce tympan qui rappellent les principaux concepts évangéliques, (1)
   - en dessous, derrière la Vierge et saint Pierre tenant les clés, se trouve le cortège des élus, parmi ceux-ci, on trouve un ermite et un abbé (b) (sans doute les fondateurs de l'abbaye de Conques) puis un personnage couronné (c) (Charlemagne selon les commentateurs de ce tympan) portant une offrande, derrière se trouvent deux moines (d) tenant un diptyque et un reliquaire, manifestement des offrandes effectuées au profit du monastère.
- en dessous est représentée sainte Foy (e), elle est en prières, agenouillée, tandis qu'une main venue du ciel se tend vers elle ; derrière la sainte se trouvent des chaînes de prisonniers symbolisant les miracles accomplis et un autel : là apparaît l'idée de l'intercession : l'homme demande aux saints d'intercéder auprès de Dieu pour obtenir le salut, cette caractéristique se retrouve dans le culte des reliques pratiqué pendant tout le Moyen-âge.

Le registre inférieur de la cathédrale d'Autun montre, parmi les élus, deux personnages particuliers :
   . L'un tient une besace portant une croix, (f) ce qui indique qu'il a été en croisade, or le pape Urbain II lors du prêche de la première croisade au concile de Clermont en 1095 a promis la rémission des péchés à tous ceux qui mourraient dans l'expédition.
   . Le deuxième porte une coquille (g) qui indique qu'il a participé au pèlerinage à saint Jacques de Compostelle.

Ainsi, hormis les vertus évoquées de manière très discrète surtout pour un fidèle qui ne sait pas lire, l'obtention du salut n'est représenté que par les actes suivants :
   . Faire des dons à l'église en échange des prières que feront les clercs pour le salut du donateur.
   . Demander aux saints et saintes d'intercéder pour leur salut.
   . Effectuer des œuvres pies pour rattraper ses péchés dont pèlerinage, croisade... (2)

C'est dans cette perspective que l'on peut répondre à la question laissée en suspens dans les chapitres précédents : que contiennent les deux plateaux de la balance servant à la pesée ?  :
   . D'un côté, se trouvent les péchés
   . De l'autre, les œuvres de bien accomplies mais surtout les moyens mis en œuvre pour rattraper les péchés.

NOTES
1- rappel :
     - les trois vertus théologales (venant de Dieu : foi, espérance, charité
     - les quatre vertus cardinales : justice, prudence, humilité, force (morale)
     - les sept vertus catholiques : chasteté, tempérance, prodigalité, charité, modestie, courage, humilité,

2- sous le cortège des élus se trouve représenté le paradis sous la forme d'une ville avec ses tours crénelées et ses arcades .

   . Au centre, siège Abraham tenant dans ses bras deux enfants qui symbolisent les âmes déjà entrées au paradis ( une iconographie que l'on trouve dans l'art orthodoxe)
   . À gauche,  les vierges sages et leurs lampes mentionnées dans l'Evangile et les martyrs et leurs palmes,
   . A droite, les prophètes et le rouleau de parchemin et les apôtres tenant le livre.


samedi 24 mai 2014

LES GRANDS CONCEPTS DE LA CHRETIENTE OCCIDENTALE MÉDIÉVALE.  Obtenir le salut (3) l'ENFER du tympan de Conques

Le tympan de Conques possède la grande originalité de présenter d'une part le cortège des élus et le paradis et d'autre part, et d'autre part, les damnés en enfer.

1-LES DAMNÉS EN ENFER ET LA PUNITION DES PÉCHÉS

En ce qui concerne les péchés, le tympan de Conques témoigne d'une profusion bien supérieure à l'enseignement évangélique qui présente l'enfer par ces simples mots " une fournaise ardente ou il y aura des pleurs et des grincements de dents".

La scène représente des démons torturant les damnés selon les péchés qu'ils ont accomplis. Cette profusion doit être expliquée avant de la décrire : certains pensent qu'il s'agit de la présentation des péchés dits capitaux de l'église  pourtant, il me semble beaucoup plus vraisemblable que ces scènes infernales sont avant tout le témoignage de l'époque marquée par la violence des guerres privées entre seigneurs et par le cortège de calamités qui les accompagnent, famines, épidémies ...

Dans ce contexte général, les abbayes ne sont pas exemptes de cette violence et vivent quasiment au quotidien l'ambiance d'insécurité, cela explique cette importance accordée aux tortures de l'enfer : les moines de l'abbaye semblent vouloir, en quelque sorte, se venger de tout le mal qu'on leur a fait et qu'ils constatent en assénant deux messages :
   . Aux uns ils semblent dire : " voilà ce que vous avez fait, à notre abbaye, voilà ce qui vous arrivera en enfer"
   . Aux autres, ils ajoutent : " vous avez préféré les vanités de ce monde à votre salut sans écouter notre message, voilà ce qu'il adviendra de vous à la fin des temps"

u Le premier type de message s'adresse à tous les puissants :
   . En tout premier lieu, à un chevalier (1) : un diable le désarçonne de son cheval en l'enfourchant , tandis qu'un autre le tire par les bras. Cette scène évoque les multiples méfaits des chevaliers et en particulier le fait qu'ils convoitent les biens de l'église. Il se produit à cet égard une sorte de cycle infernal : les chevaliers, au moment de leur mort, se rendent compte qu'ils ont commis beaucoup de péchés, ils donnent des terres aux moines en échange de messes dites pour le salut de leur âme. Ainsi l'église s'enrichit, tandis que les héritiers des chevaliers disposent de moins de biens : cela amène ces derniers à tenter de récupérer les terres ou droits concédés à l'eglise et donc à commettre des péchés !
   . Au dessus du chevalier , se trouve un roi ou un prince (2) , il est entouré de démons portant des armes : hache, masse d'armes, épée ; ce mauvais roi a dû se livrer à de multiples guerres et ses ravages ont été ressentis par les moines, un démon lui arrache sa couronne avec les dents pour le punir.
   . Un abbé (3) portant la crosse est forcé de s'agenouiller devant un démon qui semble lui arracher son habit monacal avec ses dents : à cette époque, les seigneurs et les princes avaient pris l'habitude de forcer les moines à élire un membre de leur famille comme abbé afin de ne pas partager leurs fiefs entre leurs héritiers. Ces enfants de seigneur étaient évidemment de mauvais abbés qui ne songeaient qu'à bien vivre et dilapidaient les richesses de l'abbaye. Des procédés semblables se produisaient aussi pour les nominations d'évêques.
   . Au dessus, des moines (4) sont pris dans un filet que tire un diable : ils ont voulu profiter des biens de l'abbaye pour mener grande vie au détriment de la pauvreté monacale, ils seront damnés pour cela.

Le deuxième type de message des moines est la dénonciation des vanités de ce monde :
   . Un démon arrache la langue du menteur, (5)
   . L'avare, celui qui n'a pas donné l'aumône, est pendu, son sac d'or attaché à son cou (6)
   . Le glouton, pendu par les pieds, vomit tout ce qu'il a ingurgité, (7)
   . Le musicien-troubadour qui pervertissait les hommes en les faisant goûter des vanités de ce monde, se voit confisquer sa flûte de pan tandis que le diable lui arrache la langue avec un crochet, (8)
   . Un homme qui a dû chasser sur les terres de l'abbaye est mis à rôtir par un diable à tête de lièvre, (9)
   . Un diable extirpe les mauvaises pensées à un damné en lui arrachant la calotte crânienne, (10)
   . Le faux-monnayeur doit avaler un récipient empli de métal brûlant (11)...
À SUIVRE...