REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet



Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com

mardi 3 juin 2014

LE RÈGNE DE LA MORT : XIVe et XVe SIÈCLES (2) : prologue

L'abaissement du pouvoir impérial après 1250 puis le déclin du pouvoir de la papauté survenu pendant la deuxième moitié du 14e siècle jusqu'au début du 15e siècle, furent suivis de celui du pouvoir royal en France (GUERRE DE CENT ANS) puis en Angleterre (GUERRE DES DEUX ROSES 1455-1485 (1)

Dans le royaume de France, cet abaissement eut pour cause à l'origine une querelle de succession après la mort successive des trois fils de Philippe le bel : en 1328, après la mort de Charles IV, outre le roi de Navarre, deux princes revendiquèrent la succession : Philippe de Valois, neveu du roi Philippe le Bel  et le roi d'Angleterre Édouard III, son petit-fils. Ce dernier  fut écarté au nom de la loi salique, une loi franque que l'on retrouva fort à propos pour cela.

La guerre ne survint cependant pas  directement de ce fait mais de conflits à propos des fiefs possédés par le roi d'Angleterre en France (dont la riche Aquitaine) ce qui amena Édouard III à débarquer en France en 1346.

Je ne décrirai pas ici les événements mais en indiquerai seulement les principales caractéristiques :
   . Il n'y eut, pendant ces années de guerre, que quelques rares batailles rangées, toutes perdues par le roi de France,  (Crecy en1346, Poitiers en 1356, Azincourt en 1415). Le reste du conflit fut marqué par des ravages des soldats (dont ceux des grandes compagnies) et par des guerres de sièges des châteaux et des villes, ce qui amena une grande misère dans tous le royaume.
   . La capture du roi Jean II le bon, la folie de Charles VI encouragèrent les féodaux du royaume à des révoltes qui devinrent même des guerres civiles (guerre des Armagnacs et des Bourguignons), ravageant également le pays, ce qui conduisit à des révoltes des paysans, les jacqueries, ainsi que des mouvements communaux dans les villes. (2)
  . À cela s'ajoutèrent les hécatombes de la Peste Noire.

La PESTE NOIRE fut l'événement qui marqua le plus les mentalités des hommes des XIVe et XVe siècle. Pour comprendre cet impact, il convient de citer un texte de Jean de Venette tiré de ses "chroniques latines"

L’an du Seigneur 1348, le peuple de France et pour ainsi dire du monde entier fut frappé par une autre calamité que la guerre. En effet à la famine et à la guerre qui existaient déjà vinrent s’ajouter dans les diverses parties du monde les épidémies et les tribulations. Cette année-là, 1348, au mois d'août, on vit au-dessus de Paris une étoile, dans la direction de l'Ouest, très grande et très claire, après l'heure de vêpres, et alors que le soleil n'était pas encore couché... La nuit venant, cette grosse étoile éclata en rayons qu'elle projeta sur Paris et vers l'Orient, avant de se désintégrer totalement... II est possible que ce fût le présage de la pestilence qui allait venir, pestilence qui tôt après s'ensuivit, à Paris et par toute la France.

Cette année-là, à Paris, et dans le royaume de France et non moins - dit-on - dans le reste du monde, et aussi l'année suivante, il y eut une si grande mortalité d'êtres humains des deux sexes, et davantage des jeunes que des vieux, qu'à peine les pouvait-on ensevelir. Ils n'étaient malades que deux ou trois jours, puis mouraient tout d'un coup, comme encore en bonne santé ; et tel qui aujourd'hui était en bonne santé était mort le lendemain, et porté en fosse. II leur venait soudain des bosses sous les aisselles et à l'aine, dont l'apparition était l'annonce infaillible de la mort.

On disait que cette pestilence venait d'une infection de l'air et des eaux, car en ce temps il n'avait ni famine ni pénurie de vivres, au contraire. On en rendit responsables les Juifs qu'on accusa d'avoir infecté puits et cours d'eau, et d'avoir corrompu l'air. La cruauté du monde se déchaîna contre eux si bien qu'en Allemagne et ailleurs où vivaient les Juifs, ils furent massacrés et occis par les chrétiens et brûlés un peu partout, par milliers.

Le monde n’est pas sorti amélioré. Car les hommes furent après encore plus cupides et avares, car ils désiraient posséder bien plus qu’auparavant ; devenus plus cupides, ils perdaient le repos dans les disputes, les brigues, les querelles et les procès.  Le terrible fléau infligé par Dieu ne fit pas naître non plus la paix entre les rois et les seigneurs ; au contraire les ennemis du roi de France et de l’Église les attaquèrent par terre et par mer plus vigoureusement et plus méchamment qu’auparavant, et de plus grands malheurs encore pullulèrent.


Ce long texte décrit la chronologie telle que la vécurent les contemporains :
   . Dieu annonce aux hommes par des prodiges dans le ciel qu'ils commettent trop de péchés et que s'ils ne se repentent pas, il se détournera du monde des humains et le livrera au Diable.
   . La peste est donc ressentie comme une punition infligée aux hommes, un texte de Grégoire de Tours datant du VIe siècle décrit la peste comme suit : " la mort était subite car il se produisait à l'aine ou à l'aisselle une blessure à la manière d'une morsure de serpent et on était frappé à mort par ce poison en sorte qu'on rendait l'âme le lendemain ou le troisième jour" ; quand on sait que le serpent évoque le diable, on comprend mieux la signification de cette peste.
   . La persécution des juifs est à mettre en rapport avec une idée courante à cette époque : les juifs sont responsables de la mort de Jésus, (cette représentation du Christ mort sera un thème iconographique caractéristique de l'art du  XVe siècle.)
   . La peste n'a pas guéri les hommes qui se montrèrent aussi cruels qu'auparavant, ce qui amenait à penser que de tels fléaux se reproduiraient inéluctablement.

À tous ces événements s'en ajouta un autre d'une grande importance, l'IRRESISTIBLE AVANCE DES TURCS OTTOMANS. Ceux-ci après avoir envahi les Balkans et la Grèce, se sont emparé de Constantinople en 1453, ont détruit l'empire byzantin et remplacé la croix chrétienne par le croissant de l'Islam (3)

En 1459, le pape Pie II prononce ce discours pour susciter l'organisation de nouvelles croisades :
" Nous nous faisons la guerre entre nous et nous laissons les Turcs libres d'agir à leur guise. Pour les motifs les plus futiles, les chrétiens courent aux armes et se livrent de sanglantes batailles et quand il s'agit de combattre les Turcs qui jettent le blasphème à la face de notre Dieu, qui détruisent nos églises, qui ne veulent rien moins qu'anéantir le nom chrétien, personne ne consent seulement à lever la main. En vérité, tous les chrétiens de nos jours se sont dérobés, tous sont devenus des serviteurs inutiles. "

Rien ne sera cependant fait pour endiguer cette avance qui pour beaucoup était un autre fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes. C'est ce que prétendit plus tard Luther en disant : " le turc est le peuple de la colère de Dieu"

Ainsi, la fin du Moyen-âge constitue une époque troublée pendant laquelle semblent disparaître tous les facteurs d'ordre d'autrefois : Papauté et Empire abaissés, royaumes ravagés par la guerre, épidémies...

Pour les gens de cette époque, tous ces événements sont liés au fait que Dieu a abandonné le monde et l'a livré au diable et à la Mort. Pour le montrer, je me propose de décrire quelques œuvres d'art :
   . La peste noire à Tournai    . Les Pietà
   . Les Mises au Sépulcre
   . Une Danse macabre
   . La mort en action et le Char de la mort
   . Les tortures de l'enfer d'après les surprenantes œuvres de Jérôme Bosch.
   . La nef des fous
   . Les flagellants

NOTES
1-la GUERRE DES DEUX ROSES opposa les descendants de trois des fils d'Edouard III :
   . Richard II petit-fils d'Edouard III,
   . Les descendants de Jean de Gand, duc de Lancastre fils d'Edouard III dont fit parti Henri V le vainqueur d'Azincourt et Henri VI couronné roi de France et d'Angleterre..
   . Les descendants d'Edmond de Lengley autre fils d'Edouard III, duc d'York.
Finalement c'est un descendant des Lancastre qui l'emporta, Henri VII, en fondant la dynastie des Tudor.

2-Les guerres entre la royauté et les grands féodaux se poursuivirent bien après 1453, date officielle de la fin de la guerre, puisque la dernière bataille se déroula avec la mort du duc de Bourgogne à Nancy en 1477

3- à remarquer que parallèlement à l'expansion turque en Europe orientale, se produit la reconquête chrétienne en Espagne : le dernier royaume musulman, celui de Grenade disparaît en 1492
.

dimanche 1 juin 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (5)

La dernière image de la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD, témoigne de l'immoralité  de cette histoire.

Le chevalier est dans son lit, il vient de mourir. Normalement, avec tous les péchés qu'il a commis, il devrait aller en enfer, ce ne sera pas le cas : on peut le constater par deux détails sur ce dessin :
   . En premier lieu, le diable situé à droite du dessin part dépité, il semble dire : " voilà une âme que je n'aurai pas en enfer !" 
   . Surtout, on aperçoit, au dessus du lit,  un petit personnage qui semble flotter, la tète tournée vers le haut, c'est l'âme du chevalier qui vient de quitter son corps et monte au ciel.

Comment cela est-il possible ?

L'explication réside en la présence d'un moine près du mort : juste avant de mourir, le chevalier a confessé tous ses péchés, s'en est repenti et en a obtenu l'absolution ; en outre, il a effectué une donation à l'église sous la forme d'un droit ou d'une terre ; en échange, les moines devront prier pour lui et effectuer des messes en son nom, chacune réduisant le temps de purgatoire : grâce à de telles dispositions, le chevalier peut mourir tranquille, il est sûr d'obtenir son salut.

Ainsi coexistent à cette époque deux visions contradictoires : tandis que les uns mènent une vie d'angoisse suscitée par la peur des supplices de l'enfer, d'autres mènent grande vie puisque, au dernier moment, ils pourront prendre les dispositions qui effaceront leurs péchés !

samedi 31 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (4)

En dessous de la scène du  tournoi, la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montre les dames et les chevaliers se livrant à la danse, une activité réprouvée par l'église comme le montre la présence de deux diables : l'un mène la sarabande, l'autre joue de la flûte d'une main et de l'autre frappe sur un tambourin qu'il porte par une lanière passée derrière son cou.

Cette danse évoque nos actuelles danses folkloriques, il n'y a aucun contact physique entre les dames et les jeunes gens puisqu'ils tiennent une tige de fleur (?) qui les relie. Les hommes ont relevé leur tunique pour être plus à l'aise et mieux se déhancher. Le mouvement de déhanchement est visible sur le corps des femmes.

Pour l'église, la danse détourne le chrétien de songer à son salut et est un témoignage des vanités de ce monde et des tentations diaboliques : on ne peut s'y livrer que sous l'emprise du mal !

La scène suivante évoque un autre péché : celui de la pratique courtoise. L'homme a un genou à terre tandis que la femme est debout, leurs mains tendent à se rejoindre sans toutefois se toucher. Il se peut que le chevalier soit le champion de la dame lors du combat, dans ce cas, il pourrait lui dire : " Dame accordez moi de servir sans réserve comme votre homme-lige"

C'est évidemment le diable qui incite le chevalier à déclarer ainsi sa flamme et qui conduit la femme à écouter le compliment.

Ces paroles enflammées n'iront cependant pas plus loin qu'un amour platonique : à cette époque, les mariages sont arrangés par les parents surtout dans le but de recomposer les seigneuries, de les agrandir et d'avoir des héritiers : on épouse une femme que l'on n'aime pas et on aime une femme que l'on épousera pas ! Il y a tout un monde entre la Dame de cœur et la mère de ses enfants !

Malgré cela, l'amour courtois est un péché car pour la même raison que la danse, il détourne de l'aspiration au  salut.

Que de péchés sur cette miniature :  gourmandise, orgueil, abandon aux vanités de ce monde... Ce serait l'enfer si ...

ANNEXE
UN TRÈS BEAU POÈME COURTOIS DE WOLFRAM VON ESCHENBACH (1170-1220)

Mes chants veulent trouver grâce devant toi, femme chérie ! Viens à mon secours ; car je ne puis vivre sans toi. Laisse-moi te consacrer cet hommage que je te voue à jamais, que je te voue jusqu’à la mort. Que tes faveurs me consolent, qu’elles apaisent mes longues douleurs.

Noble dame, mes hommages pourront-ils obtenir qu’un de tes arrêts favorables me rende la joie, que mes peines s’évanouissent, et qu’un amour aussi fidèle reçoive une douce récompense ! Ta bonté me force à te célébrer dans mes vers, peu de temps, si tu repousses mes vœux, longtemps, si tu me rends à la vie.

Noble dame, ta bonté qui me charme, et ton dédain de mon amour ont suspendu le cours de mon bonheur. Veux-tu consoler mon âme ? Une douce parole sortie de ta bouche a tant de charme pour moi. Détourne loin de moi les maux dont je me plains, afin que je puisse encore goûter quelque félicité en cette vie.

vendredi 30 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (3)

Les deux scènes qui suivent le repas sur  la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montrent les diables excitant les chevaliers pendant un tournoi.

La première scène montre la parade des seigneurs devant les dames. Les dames sont installées aux fenêtres de la grande salle du logis seigneurial du château, cette grande salle est toujours située au premier étage de ce logis, ce qui permet par les  fenêtres de bien voir le tournoi. Celui-ci se déroule généralement dans les lices de manière à disposer de plus de place.

Les chevaliers portent sur la tête un chapeau qu'ils garderont sous le casque pour le tournoi ; d'une main, ils arborent leur lance dont la pointe est couverte, pour l'instant, d'un manchon décoré. De l'autre main, ils tiennent les rênes du cheval, le bouclier étant accroché à leur avant-bras par deux sangles. Le cheval est caparaçonné, il porte les armoiries du seigneur. Dans le code de l'amour courtois, chaque dame se choisit un champion qui combattra pour elle et portera ses couleurs.

Evidemment, les diables ont tout intérêt à ce type de comportement : le souci de paraître est aux antipodes de l'humilité évangélique, il témoigne d'un orgueil insupportable, l'orgueil étant le premier et le plus grave des péchés capitaux.

La scène qui suit montre deux diables ailés stimulant l'ardeur des combattants du tournoi. Les participants sont constitués en deux camps, composés  généralement des chevaliers dépendant de deux seigneuries. On discerne leur équipement : casque à visière, cotte de mailles ( représentée par des lignes de points, gantelet, jambières, le reste de l'armure est masquée par la tunique que l'on porte au dessus.

Le tournoi ressemble tout à fait à une guerre : le but est, comme à la guerre,  de désarçonner les adversaires. La technique de combat est particulièrement bien décrite : on fonce vers la troupe adverse, la lance tenue en l'air ; juste avant le contact, on abaisse sa lance pour heurter de plein fouet un adversaire, c'est à celui qui sera le plus rapide et le plus solide sur son cheval . La première vague d'assaut est suivi d'une seconde : d'autres chevaliers  attaquent à l'épée afin de faire tomber ceux que le heurt des lances n'a pas fait chuter .

Deux diables excitent l'ardeur des combattants : peut-être que pendant ce tournoi, il y aura des morts, ce serait pour eux l'enfer assuré !

jeudi 29 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle. (2)

La première image de la miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD montre le repas.

On se trouve dans la grande salle d'un château et la table dressée est recouverte d'une nappe ; les hommes sont vêtus d'une simple tunique et les femmes portent une robe sur laquelle elles ont mis une tunique ici de couleur verte.

Sur la table, on ne trouve ni assiette, ni cuillère ni évidemment fourchette. Les convives n'ont à la main que des couteaux avec lesquels ils coupent la viande (ici des volailles) directement dans le plat et la portent à la bouche au moyen de leur main ; sur la table se trouvent aussi du pain ainsi que des pichets soit de vin, soit d'eau pour se rincer les doigts entre deux viandes. Normalement, on posait une tranche de pain près de chaque convive afin qu'il puisse poser la viande sur ce pain. Le pain graisseux était ensuite donné aux domestiques.

Sur cette image, les diables incitent les convives à manger en apportant des plats et à boire, le diable assis à gauche tient une coupe dans la main et semble lever cette coupe à la santé des convives.Le repas est agrémenté de diables jouant de la musique, celui de gauche joue de la viole, l'autre souffle dans une trompette.

Tout est fait pour inciter les seigneurs présents à succomber aux vanités de ce monde !

Après le repas se déroulera le tournoi...

mercredi 28 mai 2014

Une histoire immorale du XIIIe siècle (1)

Les mentalités de l'époque médiévale oscillent, on l'a vu, entre angoisse de l'enfer et optimisme sur le salut : tandis que les uns s'efforcent de gagner le salut par la foi et leurs mérites, d'autres se disent que l'on peut toujours trouver le moyen de s'en sortir grâce aux méthodes mises à la disposition des chrétiens par les sacrements dispensés par l'Eglise

C'est le cas dans cette miniature du BRÉVIAIRE D'AMOUR DE MAÎTRE ERMENGAUD datant du 13e siècle.

En premier lieu, il convient d'observer que, dans ce dessin, les diables sont partout : je les ai comptés, il y en a 14, ils incitent au péché et gesticulent de contentement car ils espèrent récupérer toutes ces âmes au jugement dernier.

Cette miniature montre aussi la manière dont on imaginait le diable à l'époque : un personnage velu avec des cornes, parfois de courtes ailes subsistant du temps où il était un ange avant sa déchéance, une queue, des pieds crochus.. Les poils du diable de droite forment un visage humain au niveau de son ventre.

Ces diables, comme on le voit, dans leurs incitations au péché, paraissent beaucoup plus sympathiques que le diable de la pesée d' Autun qui recueille le fruit de leur travail de tentation et peut se permettre de montrer son vrai visage !

Dans les quatre articles qui vont suivre, je décrirai les incitations au péché auxquelles les seigneurs représentés succombent. Pourtant, cette histoire se terminera bien comme on le verra !

mardi 27 mai 2014

L'église médiévale, instrument du salut.

C'est le dernier volet de cette étude sur les concepts de la chrétienté médiévale, elle concernera l'apport effectué par l'église dans le cadre de la société de l'époque.

La description du tympan de Conques m'a permis de proposer deux analyses :
   . La peur de l'enfer est un puissant moteur de moralisation de la société même si elle peut conduire à une angoisse existentielle pour tout acte qui pourrait augmenter le poids des péchés dans la balance.
   . L'église transmet un message d'espoir : l'être humain est capable par les mérites que permet sa foi de gagner le salut.

Il va de soi que l'église en tant qu'institution se devait d'accompagner les fidèles dans leur quête du salut afin qu'ils ne cèdent pas au désespoir du la damnation. Un certain nombre de dispositions furent prises pour donner aux chrétiens les moyens de se rassurer et même de tourner à leur avantage les disposions évangéliques. C'est le cas en particulier de trois sacrements définis et explicités dans le 21ème canon du 4eme concile de Latran tenu en 1215 sous le pontificat du pape Innocent III.

" Tous les fidèles parvenus à l'âge de discrétion confesseront tous leurs péchés au moins une fois l'an à leur propre prêtre; ils accompliront la pénitence qui leur sera imposée et recevront le sacrement de l'eucharistie avec respect au moins à Pâques. Ceux qui ne s'acquitteront pas de ce devoir seront condamnés à être privés, de leur vivant, de l'entrée de l'église, et de la sépulture ecclésiastique après leur mort; et ce statut sera publié souvent dans l'église, afin que personne n'en prétende cause d'ignorance.
Il apparaît dans ce canon une chronologie en trois actes : confession, pénitence, eucharistie.
   . La confession permet au chrétien de reconnaître ses péchés en les nommant au prêtre, le prêtre donne ensuite l'absolution qui a pour conséquence l'effacement des péchés à la condition que le chrétien témoigne de son repentir.
   . Suit alors la pénitence,
   . Alors, ayant réparé ses fautes, le chrétien purifié peut recevoir l'Eucharistie qui, rappelons le, est le moyen de communier avec le corps du Christ et d'obtenir la vie éternelle.

Cette chronologie appelle plusieurs remarques :
     . Il convient d'abord de remarquer que seule l'Eucharistie figure dans les textes évangéliques, ni la confession ni la pénitence n'y sont mentionnées. Le seul terme indiqué dans les évangiles est celui de la repentance,
     . cela induit que confession et pénitence sont des concepts forgés par l'église médiévale au milieu du Moyen-âge et qui furent assortis de théories propres à cette époque.

En premier lieu, l'église effectua la distinction entre la peine éternelle et la peine temporelle :
     . la peine éternelle est celle des supplices de l'enfer. Du fait de la grâce de Dieu et du sacrifice du Fils pour sauver le monde, tout péché avoué est effacé sitôt que la formule d'absolution est prononcée par le prêtre, cependant cet effacement est assorti d'une double condition : il faut que le pécheur exprime son repentir et qu'il s'abstienne ensuite de commettre les mêmes fautes. La peine éternelle n'existe que pour ceux qui ne témoignent pas de repentir ou qui persévèrent dans ce péché. Un prêtre a tout pouvoir pour absoudre un péché, cependant, pour les cas très graves. l'absolution ne pouvait être prononcée que par un ecclésiastique de haut rang voire même parfois par le Pape.
     . la peine temporelle concerne tous les péchés même ceux que Dieu a effacé, elle est due en conséquence de la violation de l'ordre établi au sein de l'église et de la communauté chrétienne et pour sa réparation. La peine temporelle est infligée par l'Eglise. C'est à ce titre que le prêtre impose la pénitence.

Cette pratique des peines temporelles est à mettre en rapport avec une autre disposition doctrinale : celle du purgatoire : quelqu'un qui meurt sans avoir effectué toutes les pénitences consécutives aux peines temporelles doit les accomplir au purgatoire où il souffrira de supplices semblables à ceux de l'enfer mais temporairement seulement, le temps que les pénitences non réalisées de son vivant sur terre soient accomplies.

À cette notion de pénitence et de purgatoire s'ajouta celle des indulgences : les indulgences sont une manière soit de diminuer la lourdeur d'une pénitence, soit d'anticiper en prévention d'une future pénitence à venir. Il est possible d'utiliser ces indulgences pour soi-même ou pour des défunts ce qui permet de diminuer le temps qu'ils devaient rester au purgatoire. (1)


L'Eglise médiévale a beaucoup insisté sur les notions de pénitence et d'indulgence dans le double objectif de permettre aux fidèles d'effacer leurs péchés mais aussi d'oeuvrer pour ses propres desseins : quelques exemples permettent de le montrer :
   .  la croisade et la délivrance des lieux saints garantissait l'indulgence plénière pour tous ceux qui mourraient lors de la croisade.
   . Le pèlerinage était aussi le moyen de remédier aux péchés : on raconte par exemple, que lors d'une confession, un évêque constata qu'un chrétien avait commis un péché si grave qu'il ne pouvait l'absoudre. L'évêque dit alors : je vais écrire ton péché sur une feuille, tu partiras à saint Jacques de Compostelle, arrivé la-bas, tu prieras l'apôtre, puis tu montreras cette feuille et tu feras la pénitence qu'on t'indiquera. L'individu suivit ce conseil, il partit en pèlerinage ; quand il arriva, il montra la feuille, elle était devenue toute blanche : le péché avait été effacé. Des légendes comme celles-ci expliquent l'importance des pèlerinages dans le monde médiéval ainsi que le culte des reliques.
   . Un autre moyen était, comme on l'a dit, de faire des dons à l'église afin que par des messes régulières, on puisse raccourcir le temps de purgatoire. Il arrivait même que certains seigneurs sur leur lit de mort disent à leur fils : tu iras à ma place en pèlerinage, pour la rémission de mes péchés.
   . Il arrivait aussi, mais c'est une perversion du système, que l'on rachète par avance des péchés que l'on va commettre : la tour du beurre à Rouen doit son nom au fait que l'on effectuait des aumônes pour avoir le droit de manger gras pendant le carême.
   . De même des campagnes d'indulgences étaient régulièrement lancées quand on manquait d'argent pour la construction d'une cathédrale,c'est d'ailleurs une de ces campagnes dénoncée par Luther qui donna naissance au protestantisme
   . Enfin, bien entendu, il existait aussi des actes simples de prières, de charité, de mortifications personnelles, de dévouement envers les autres que l'on effectuait soit en guise de pénitence, soit pour acquérir des indulgences.

Si on considère ces éléments, on s'aperçoit que l'on est bien loin de l'angoisse existentielle que révèlent les tympans d'église romane, celle-ci n'était qu'un élément des mentalités médiévales ; en réalité, il était toujours possible de transiger non avec Dieu mais avec l'église, certains en arrivaient même subtilement à concilier vie de péché et rédemption, comme on le montrera dans l'article qui suivra.

lundi 26 mai 2014

LES GRANDS CONCEPTS DE LA CHRETIENTE OCCIDENTALE MÉDIÉVALE.  Obtenir le salut (5) épilogue

3- COMPARAISON ENTRE LE MESSAGE ÉVANGÉLIQUE ET CELUI DU TYMPAN DE CONQUES

Il apparaît à première vue une assez nette différenciation entre la complexité du message évangélique tout en nuances et en subtilités et la représentation du tympan de Conques dispensant un message clair, simple et précis.

À première vue aussi, il semble apparaître une sorte de renversement des valeurs et cela à deux niveaux  :
   - l'Evangile annonçait une bonne nouvelle, celui qui a la foi sera sauvé : " Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez" (MATTHIEU 21-22)
   - le Tympan de Conques semble vouloir dire : vous êtes tous pécheurs et voués à l'enfer si vous ne contrebalancez pas  vos fautes : ce message est exprimé clairement comme en témoigne l'inscription mentionnée au dessous du dernier registre où était gravée la phrase suivante :
PECCATORES TRANSMUTETIS NISI MORES JUDICIUM DURUM VOBIS SCITOTE FUTURUM :
« Pécheurs, si vous ne réformez pas vos mœurs, sachez que vous subirez un jugement redoutable ».

Ce renversement des valeurs est obtenu au moyen de deux procédés :
     . Une nette minoration des moyens cités par le message évangélique pour obtenir le salut : on ne trouve en particulier pas de mention des comportements moraux cités par Jésus : pauvreté, refus des vanités de ce monde de la violence ; la foi et la grâce de Dieu sont vaguement signalés : pour l'église médiévale, seules semblent essentielles les méthodes permettant de rattraper les péchés commis,
     . Une exacerbation de l'idée de péché et des supplices de l'enfer.

Pourtant, si on dépasse cette première impression, on constate que ce message correspond exactement aux préceptes des Évangiles et aux commentaires effectués par saint Augustin : la foi seule ne suffit pas, il faut mettre cette foi en conformité avec ses actes. À cette époque, tous sont chrétiens et sont baptisés, ils sont donc censés avoir la foi, il leur faut ajouter à celle-ci les œuvres qui permettent le salut.

Ces tympans présentent l'étonnant paradoxe d'être à la fois une source extrême d'angoisse et le témoignage d'un surprenant optimisme .

Il est une double source d'angoisse pour ceux qui lèvent le regard au moment d'entrer dans les églises pourvues d'un tympan semblable et qui observent les scènes représentées :
   . Au niveau de leur salut  personnel, ils regardent atterrés les supplices de l'enfer disant par exemple : " j'ai été gourmand hier, voilà ce qui m'arrivera, je vomirai éternellement tout ce que j'ai mangé et bu ! "
   . Au niveau de la fin des temps, ils subissent les violences continuelles des guerres entre seigneurs, et se disent que Jésus a prévu que ces guerres surviendraient juste avant le jugement dernier :  ils regardent le tympan  avec terreur : " et si la fin du monde arrivait maintenant, avec tous les péchés que j'ai commis, j'irais en  l'enfer car la balance ne pencherait sûrement pas du côté du paradis ! Décidément, il faut que je me corrige et que je trouve le moyen de faire pencher le plateau du bon côté ! "
Ainsi, la peur de la balance pouvait conduire à moduler perpétuellement sa vie en fonction de la pesée et de la peur de l'enfer au prix d'angoisses sans cesse renouvelées  !

Pourtant, ces tympans de jugement dernier peuvent être aussi interprétés comme un témoignage d'optimisme : pour l'église de l'époque, l'homme est capable de gagner son salut par ses mérites : certes, il est, comme on l'a dit, attiré par le mal et commet de ce fait des péchés, pourtant, sa foi et les conseils de l'Eglise aidant, il est capable de réagir et de gagner son salut par lui-même. Il en est une preuve évidente : dans tous les tympans, la balance penche toujours du bon côté, ce qui montre bien que finalement, tous les fidèles sont capables de gagner leur salut.

L'évolution survenue est parfaitement résumé par ce tympan d'une petite église des Vosges à Vomecourt sur Madon.