REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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mercredi 29 septembre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (14) le Prince

 LE PRINCE (7) 

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES. 

LES QUALITÉS DONT DOIT FAIRE PREUVE LE PRINCE

La RÉACTIVITÉ IMMÉDIATE AUX CIRCONSTANCES 

C’est un élément fondamental de la politique du Prince, il doit apprendre à improviser très vite des solutions valables et efficaces  face à un événement inattendu.

Il convient d’abord de rappeler que le Prince doit apprendre à dissimuler sa vraie nature, il dispose donc de toute une panoplie de comportements à adopter face à ses sujets : 

« les uns procèdent avec circonspection, les autres avec impétuosité ; ceux-ci emploient la violence, ceux-là usent d’artifice ; il en est qui sont patients, il en est aussi qui ne le sont pas du tout : ces diverses façons d’agir quoique très différentes, peuvent également réussir » (le Prince chapitre 25) 

Ces méthodes ne sont cependant pas la panacée, elles doivent être adaptées selon les circonstances et surtout en fonction des événements imprévus qui pourraient survenir. 

« Ainsi, par exemple, un prince gouverne-t-il avec circonspection et patience : si la nature et les circonstances des temps sont telles que cette manière de gouverner soit bonne, il prospérera ; mais il déchoira, au contraire, si, la nature et les circonstances des temps changeant, il ne change pas lui-même de système ».(ibid)

Cette capacité d’adaptation immédiate aux aléas du moment est, selon Machiavel, très difficile à mettre en œuvre, les Princes et plus généralement tous les êtres humains, quand ils ont déterminé une forme personnelle de manière d’être, ont beaucoup de mal à sortir de leur routine et à assumer un changement complet de mentalité pour passer un cap difficile. D’une manière plus générale, il faut sans cesse se remettre en question si on veut saisir sa chance. 

« Changer ainsi à propos, c’est ce que les hommes, même les plus prudents ne savent point faire, soit parce qu’on ne peut agir contre son caractère, soit parce que, lorsqu’on a longtemps prospéré en suivant une certaine route, on ne peut se persuader qu’il soit bon d’en prendre une autre. » (ibid) 

« Je conclus donc que, la fortune changeant, et les hommes s’obstinant dans la même manière d’agir, ils sont heureux tant que cette manière se trouve d’accord avec la fortune (au sens antique de chance)  ; mais qu’aussitôt que cet accord cesse, ils deviennent malheureux »

S’adapter sans cesse aux circonstances, c’est aussi s’adapter à son époque, ainsi, il faut être violent et impétueux quand l’époque elle-même est violente. C’est le cas en particulier dans l’Italie du 16e siècle : Machiavel, à cet égard, cite l’exemple du pape Jules ll : 

« Le pape Jules II fit toutes ses actions avec impétuosité ; et cette manière d’agir se trouva tellement conforme aux temps et aux circonstances, que le résultat en fut toujours heureux.

Considérez sa première entreprise, celle qu’il fit à Bologne… Jules s’y précipita avec sa résolution et son impétuosité naturelles, conduisant lui-même en personne l’expédition ; et, par cette hardiesse, il tint les Vénitiens et l’Espagne en respect, de telle manière que personne ne bougea … Jules obtint donc, par son impétuosité, ce qu’un autre n’aurait pas obtenu avec toute la prudence humaine ; car s’il avait attendu, pour partir de Rome, comme tout autre pape aurait fait, que tout eût été convenu, arrêté, préparé, certainement il n’aurait pas réussi. »

Je ne parlerai point ici des autres opérations de ce pontife, qui, toutes conduites de la même manière, eurent pareillement un heureux succès. » (ibid)

Ce comportement impétueux réussit dans l’Italie du 16e siècle empreinte de violence mais à une autre époque, ce pape n’aurait pas aussi facilement réussi : 

« Du reste, la brièveté de sa vie ne lui a pas permis de connaître les revers qu’il eût probablement essuyés s’il était survenu dans un temps où il eût fallu se conduire avec circonspection ; car il n’aurait jamais pu se départir du système de violence auquel ne le portait que trop son caractère ».(ibid).

Machiavel termine ce chapitre 25 par un aphorisme quelque peu misogyne  qui laisserait pantois s’il était prononcé à notre époque : 

« Je pense, au surplus, qu’il vaut mieux être impétueux que circonspect ; car la fortune est femme : pour la tenir soumise, il faut la traiter avec rudesse ; elle cède plutôt aux hommes qui usent de violence qu’à ceux qui agissent froidement »  (ibid) 



lundi 20 septembre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (13) le Prince

 LE PRINCE (5)

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES. 

LES DÉFAUTS UTILES À METTRE EN ŒUVRE POUR BIEN GOUVERNER

SAVOIR MENTIR QUAND IL LE FAUT

Le mensonge et la tromperie, défauts à priori condamnables lorsqu’ils se produisent dans les rapports humains de la vie quotidienne, sont un atout précieux pour le Prince à condition toutefois qu’ils soient assez hypocrites pour n’en rien laisser paraître. 

À cet égard, Machiavel cite l’exemple du pape Alexandre 6 Borgia : 

« Alexandre VI ne fit jamais que tromper ; il ne pensait pas à autre chose, et il en eut toujours l’occasion et le moyen. Il n’y eut jamais d’homme qui affirmât une chose avec plus d’assurance, qui appuyât sa parole sur plus de serments, et qui les tînt avec moins de scrupule : ses tromperies cependant lui réussirent toujours, parce qu’il en connaissait parfaitement l’art."

Comment Machiavel justifie-t’il le fait que le mensonge devienne un moyen normal de gouvernement : il développe son argumentation en deux points : 

   . Si une promesse occasionne plus d’inconvénients que d’avantages, il vaut mieux l’abandonner dans l’intérêt de tous. 

   . Si les circonstances qui ont amené cette promesse ont changé.

« Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner ». (Le Prince chapitre 18)

Cette manière d’être, bien que peu morale, est, selon Machiavel, admissible du fait de la perversité humaine : la plupart des gens mentent pour couvrir leurs méfaits, pour échapper à la punition que leur vaudrait leur comportement : « ce n’est pas moi, je n’ai rien fait » est une phrase que l’on entend souvent. 

Dans ces conditions, pourquoi le Prince devrait-il se priver de cette arme utile pour gouverner d’autant qu’il lui convient d’agir en conformité avec la duplicité et la ruse que l’on suppose inhérentes au renard, cela lui permettra, à coup d’arguments fallacieux, de masquer son revirement par de fausses raisons. 

« Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis » ? (Le Prince chapitre 18)

ÊTRE AVARE 

Autre défaut, l’avarice doit être privilégiée par rapport à la générosité  et la prodigalité. 

Le raisonnement de Machiavel est simple : si un Prince commence à distribuer ses revenus ou les revenus de son état, sans discernement, il ne pourra bientôt plus faire face aux dépenses qui lui incombent, ni se prémunir des attaques extérieures en développant ses moyens de défense, ni faire œuvre utile pour le bien de ses sujets. Il sera alors obligé d’augmenter les impôts et taxes qui pèsent sur eux, ce qui sera le plus sûr moyen de les mécontenter. 

« Un prince qui veut n’avoir pas à dépouiller ses sujets pour pouvoir se défendre, et ne pas se rendre pauvre et méprisé, de peur de devenir rapace, doit craindre peu qu’on le taxe d’avarice, puisque c’est là une de ces mauvaises qualités qui le font régner. » (Le Prince chapitre 16) 

« La libéralité, plus que toute autre chose, se dévore elle-même ; car, à mesure qu’on l’exerce, on perd la faculté de l’exercer encore : on devient pauvre, méprisé, ou bien rapace et odieux. Le mépris et la haine sont sans doute les écueils dont il importe le plus aux princes de se préserver. Or la libéralité conduit infailliblement à l’un et à l’autre. Il est donc plus sage de se résoudre à être appelé avare, qualité qui n’attire que du mépris sans haine, que de se mettre, pour éviter ce nom, dans la nécessité d’encourir la qualification de rapace, qui engendre le mépris et la haine tout ensemble ». (Le Prince chapitre 16)

Machiavel va cependant mentionner deux cas particuliers où la prodigalité est de mise : 

     . Si quelqu’un a l’ambition de prendre le pouvoir dans un État, il doit être prêt à distribuer des faveurs afin de se créer des partisans qui appuieront son élévation en espérant en obtenir encore d’autres plus tard. 

« Ou vous êtes déjà effectivement prince, ou vous êtes en voie de le devenir. Dans le premier cas, la libéralité vous est dommageable ; dans le second, il faut nécessairement que vous en ayez la réputation » (ibid) 

     . Si un Prince distribue non les richesses de son État, mais de celles  qu’il aura subjuguées après la conquête d’un autre état qu'il maintient maintenu sous son joug par la force.

« Le prince dépense ou de son propre bien et de celui de ses sujets, ou du bien d’autrui : dans le premier cas il doit être économe ; dans le second il ne saurait être trop libéral » (ibid) 

mercredi 15 septembre 2021

PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (12) le Prince

  LE PRINCE (4) 

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES. 

LES DÉFAUTS UTILES À METTRE EN ŒUVRE POUR BIEN GOUVERNER

ÊTRE CRUEL SELON LES NÉCESSITÉS 

Le premier défaut que Machiavel analyse est celui de la cruauté en posant la question : vaut-il  « mieux être aimé que craint, ou être craint qu’aimé ? » (Le Prince chapitre 17) 

A cette question, la réponse est simple : pour l’auteur, le Prince ne doit pas hésiter à être cruel si cela devient un atout fondamental pour la préservation  de son pouvoir. 

« On peut répondre que le meilleur serait d’être l’un et l’autre. Mais, comme il est très-difficile que les deux choses existent ensemble, je dis que, si l’une doit manquer, il est plus sûr d’être craint que d’être aimé » (Le Prince chapitre 17)

Son argumentation repose sur un constat évident : si on craint le Prince, on ne s’avisera pas de lui désobéir et de contester son pouvoir car on sait qu’il n’hésitera pas à punir sévèrement les fauteurs de troubles. Cette affirmation correspond exactement à la nature profonde cupide et lâche de l’être humain de la renaissance italienne décrite précédemment  : il sera adulateur du Prince tant qu’il obtiendra ses faveurs ;  par contre, si le moindre coup du sort survient, il n’hésitera pas à le contester. Dans ce cas, le Prince usera de la peur du châtiment inhérente à la lâcheté naturelle de ses sujets pour les amener à soumission. 

« On appréhende beaucoup moins d’offenser celui qui se fait aimer que celui qui se fait craindre ; car l’amour tient par un lien de reconnaissance bien faible pour la perversité humaine… ; au lieu que la crainte résulte de la menace du châtiment, et cette peur ne s’évanouit jamais. (Le Prince chapitre 17) 

« Les hommes poussent souvent l’audace jusqu’à se plaindre hautement des mesures prises par leurs princes ; mais lorsqu’ils voient le châtiment en face, ils perdent la confiance qu’ils avaient l’un dans l’autre, et ils se précipitent pour obéir. « (Discours livre 1 chapitre 57).   

Pour donner une preuve évidente de son argumentation, Machiavel donne l’exemple de César Borgia :

« César Borgia passait pour cruel, mais sa cruauté rétablit l’ordre et l’union dans la Romagne ; elle y ramena la tranquillité et l’obéissance » (Le Prince chapitre 17)

Il convient, cependant, selon Machiavel, de nuancer ce qui précède : dominer son peuple grâce à sa réputation de cruauté est une méthode utile et nécessaire de gouvernement à condition de ne la pratiquer que dans des limites restreintes.

La politique du Prince, comme je l’ai mentionné précédemment, doit être étroitement dépendante du rapport de force entre la majorité de la population et la minorité : si la majorité est satisfaite de sa politique, il n’aura rien à craindre.

« Je répéterai seulement qu’il est d’une absolue nécessité qu’un prince possède l’amitié de son peuple ». (Le Prince chapitre 9) 

Or, selon Machiavel, il est facile au Prince de se concilier ses sujets « puisque le peuple ne demande rien de plus que de n’être point opprimé. »(Le Prince chapitre 9) 

C’est dans cette perspective qu’il faut replacer l’importance de la cruauté du Prince : elle ne sera bien acceptée que si qu’elle préserve la paix sociale et la prospérité de ses sujets tant individuellement que collectivement. A l’inverse, ne pas punir les séditieux, c’est prendre le risque de voir le désordre s’instaurer, suscitant ainsi le mécontentement de la majorité de la population. 

« Un prince ne doit donc point s’effrayer de ce reproche, quand il s’agit de contenir ses sujets dans l’union et la fidélité. En faisant un petit nombre d’exemples de  rigueur, vous serez plus clément que ceux qui, par trop de pitié, laissent s’élever des désordres d’où s’ensuivent les meurtres et les rapines ; car ces désordres blessent la société tout entière, au lieu que les rigueurs ordonnées par le prince ne tombent que sur des particuliers ».(Le Prince chapitre 17)

Ce thème de « rigueur ordonné par le Prince » doit, selon Machiavel, être relativisé : il n’est ni bon ni souhaitable que le Prince agisse directement comme s’il était en première ligne, s’il a décidé qu’une personne doit être condamnée sévèrement, il est beaucoup plus profitable pour sa réputation que ce soit quelqu’un d’autre qui agisse à sa place. Cette méthode a un double avantage pour lui : 

. Si la condamnation émeut les gens au point de susciter des manifestations, ce n’est pas le Prince qui sera conspué de prime abord, mais le magistrat ayant instruit l’affaire, celui-ci servira de bouc émissaire et sera d’abord l’objet de la vindicte populaire. 

. Si la contestation devient trop virulente, le Prince pourra alors, en dernier recours, gracier le condamné, il fera alors la preuve de sa grandeur d’âme et de son humanité. 

C’est ce que Machiavel indique dans l’extrait suivant : 

« Le prince doit se décharger sur d’autres des parties de l’administration qui peuvent être odieuses, et se réserver exclusivement celles des grâces », (Le Prince, chapitre 19)

Ainsi, se développe une stratégie en trois phases qu’il convient de suivre en cas de problèmes  : le Prince ordonne, le magistrat condamne, le Prince pardonne  Selon moi, cette idée est utopique, car, quoi qu’il fasse, les mécontents le rendront responsable de ce qu’ils considèrent comme injuste. 

Pourtant, il peut se produire des moments où le mécontentent gagne la population dans son ensemble . En ce cas, Machiavel montre que le Prince doit tirer parti de la perversité naturelle des hommes : en effet, « réunis, les hommes sont remplis de courage, mais que lorsque chacun vient à réfléchir à son propre danger, il devient faible et lâche » (discours livre 1 chapitre 57) 

Lorsqu’une révolte contre le Prince se produit, deux cas peuvent se produire : 

    . Si les insurgés n’ont pas de chefs, il lui suffit d’attendre bien à l’abri dans son château :  «  En effet, lorsque les esprits sont refroidis, et que chacun voit qu’il faut retourner chez soi, on commence à perdre la confiance qu’on avait dans ses propres forces, on pense à son propre salut, et l’on se décide à fuir ou à traiter. » (discours, livre 1 chapitre 57) 

    . Dans le cas où les insurgés se sont donné un chef, il suffit de l’arrêter et de le condamner sévèrement pour faire peur à tous ceux qui le suivaient par la crainte des châtiments pouvant leur être infligés. 

Pour parfaire cette partie concernant la cruauté du Prince, je voudrais citer un extrait du Prince qui résume assez bien la manière de l’éduquer afin qu’il puisse régner longtemps sur ses sujets même en cas d’adversité : 

« Il doit toutefois ne croire et n’agir qu’avec une grande maturité, ne point s’effrayer lui-même, et suivre en tout les conseils de la prudence, tempérés par ceux de l’humanité ; en sorte qu’il ne soit point imprévoyant par trop de confiance, et qu’une défiance excessive ne le rende point intolérable. » (Le Prince chapitre 17)


jeudi 9 septembre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (11) le Prince

 LE PRINCE (3) 

ADAPTER SON COMPORTEMENT AUX CIRCONSTANCES. 

Pour la clarté de mon exposé je diviserai mon propos en trois parties : 

. Quels défauts peut on mettre en œuvre pour gouverner efficacement, ?

        . Être cruel selon les nécessités,

         . Savoir mentir quand il le faut,

         . Être avare.

. Quelle qualité doit-il pratiquer ? 

        . réagir immédiatement selon les circonstances,

        . Tenir compte des avis pertinents.

        . Montrer de l’empathie envers ses sujets.

. Quels défauts doit être impérativement prohibé pour éviter que le Prince ne se rende haïssable : 

        . Être rapace,

        . Être méprisable,

        . Ne pas respecter les lois qu’on a édictées. 

samedi 4 septembre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (10) le Prince

 LE PRINCE (2)

SAVOIR DISSIMULER SA VRAIE NATURE.  


Pour établir son raisonnement selon un ordre logique, Machiavel établit une nomenclature de tous les comportements à la fois ceux  qu’un homme se vante de posséder mais aussi, par contraste, ceux qui  le feront détester de tous. Cela est vrai pour tous les hommes de son époque et évidemment c’est encore plus vrai pour les princes du fait qu’ils sont continuellement observés et épiés par tous. 

« On attribue à tous les hommes,..  et surtout aux princes… , quelqu’une des qualités suivantes, qu’on cite comme un trait caractéristique, et pour laquelle on les loue ou on les blâme. Ainsi l’un est réputé généreux et un autre misérable (je me sers ici d’une expression toscane, car, dans notre langue, l’avare est celui qui est avide et enclin à la rapine, et nous appelons misérable (misero) celui qui s’abstient trop d’user de son bien) ; l’un est bienfaisant, et un autre avide ; l’un cruel, et un autre compatissant ; l’un sans foi, et un autre fidèle à sa parole ; l’un efféminé et craintif, et un autre ferme et courageux ; l’un débonnaire, et un autre orgueilleux ; l’un dissolu, et un autre chaste ; l’un franc, et un autre rusé ; l’un dur, et un autre facile ; l’un grave, et un autre léger ; l’un religieux, et un autre incrédule, etc. (Le Prince chapitre 15) 

Machiavel poursuit son raisonnement en montrant que toutes ces qualités ne peuvent se trouver rassemblées chez un prince, vu le fonds de perversité  caractérisant la nature de l’homme des républiques italiennes du 16e siècle. 

« Il serait très-beau, sans doute, et chacun en conviendra, que toutes les bonnes qualités que je viens d’énoncer se trouvassent réunies dans un prince… », (ibid) 

En conséquence, la seule solution pour un prince est de dissimuler sa vraie nature, de privilégier le « paraître » au détriment de l’ « être » et d’en faire son comportement normal.

Machiavel établit alors les prédispositions indispensables qu’un prince doit faire paraître : 

« Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère »  Le Prince chapitre 18)

Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ( clément, fidèle, humain, religieux, sincère) « en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence (Le Prince chapitre 18) … faisant en sorte que dans toutes ses actions on trouve de la grandeur, du courage, de la gravité, de la fermeté » ( le Prince chapitre 19) Les 

Ainsi, pour réussir dans son gouvernement, le Prince doit apprendre à sans cesse se contrôler tant dans ses paroles que dans ses actes, à ne manifester apparemment aucune émotion particulière, à jouer une perpétuelle comédie vis-à-vis de tous. 

Il va de soi que ce comportement est, dans l’absolu, très difficile à assumer à tout moment, pourtant Machiavel montre que cela est plus facile que l’on peut le penser du fait de trois caractéristiques : 

     . D’abord, il montre que « le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement et le vulgaire ne fait-il pas le monde ?»  (Le Prince chapitre 18)  

     . Ensuite, il constate que la quasi-totalité des gens se contente des apparences, certes quelques-uns et en particulier ses proches,  peuvent se rendre compte de la vraie nature du Prince ; tout alors, dans ce cas, se résume à un rapport de force : le Prince doit faire en sorte que ceux qui croient à son apparence soient plus nombreux que ceux qui n’y croient pas. 

« Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la  majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain »(Ibid) 

     . Enfin, pour la plupart des hommes, seul le résultat compte, les moyens employés pour y parvenir sont vite oubliés. 

 À ce stade de son raisonnement, Machiavel va montrer que non seulement il est impossible à un Prince de posséder toutes les qualités citées plus haut mais que ce ne serait pas souhaitable pour la conduire d’un état. Il indique que l’apparence que donne le Prince n’est qu’un paravent et que, bien souvent, il doit, pour gouverner efficacement, recourir et manier les défauts qui pourraient le rendre haïssable. 

Cette particularité est mentionnée à de nombreuses reprises : 

« Il faut qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées. »  (Ibid) que celles citées plus haut. 

« Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. » (ibid)

« Il faut donc qu’un prince qui veut se maintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien ou mal, selon la nécessité. » (Le prince chapitre 15)

« On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut, il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal. » (Ibid)

« A bien examiner les choses, on trouve que, comme il y a certaines qualités qui semblent être des vertus et qui feraient la ruine du prince, de même il en est d’autres qui paraissent être des vices, et dont peuvent résulter néanmoins sa conservation et son bien-être. » (ibid) 

Ces caractéristiques étant établies, Machiavel va alors définir, par une métaphore, ce que devrait être le comportement du Prince dans la pratique de son gouvernement : selon lui, le prince doit être à la fois lion et renard, lion pour la force qui est en lui et renard pour sa finesse de discernement et d’analyse. C’est ce que montrent les deux extraits ci-dessous : 

« On peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en homme. » (Le Prince chapitre 18)

     . « Le prince, devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. 

Mais pour cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveuglés, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper ». ( le Prince chapitre 18)

C’est à l’aune de ces caractéristiques que Machiavel va faire une analyse des défauts et qualités que j’ai mentionnés précédemment pour déterminer lesquels sont bénéfiques ou maléfiques dans la manière de gouverner. 

jeudi 2 septembre 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (9) le Prince

 LE PRINCE (1)

LES CONSEILS DE MACHIAVEL DANS LE PRINCE POUR RÉUSSIR À GOUVERNER UN ÉTAT.

 

Cet ouvrage est évidemment le reflet exact de son époque, celle de la renaissance italienne marquée par une succession rapide de régimes oligarchiques et tyranniques et par des élites politiques corrompues et avides de pouvoir, prêts à  tout pour exercer leur appétit de puissance et, pour cela, de s’emparer de tous les pouvoirs afin d’orienter la gouvernance des états selon leurs propres intérêts. La gangrène de la loi du plus fort s’étend, comme je l’ai montré précédemment, peu à peu à toute la société si bien que même si le peuple, las de la tyrannie, se révolte et met au pouvoir l’un de ses membres, celui-ci, très vite, se laisse corrompre et établit à son tour sa tyrannie. 

 

Dans ces conditions politiques et comportementales, le Prince, qu’il soit porté au pouvoir par la force ou par le suffrage des citoyens, manifeste, très vite les mêmes tares que celles de la société politique qui l’entoure. Cela se comprend aisément, selon Machiavel, le Prince est un homme présentant les mêmes vices que ses contemporains, perversité, méchanceté.. En outre, du fait de sa position et du pouvoir qu’il possède, il a toute latitude pour exacerber ces défauts. Dans ces conditions, son régime ne dure pas, il est renversé soit par une révolution, soit par ceux de son entourage qui estime que le temps est venu, pour eux, d’exercer à leur tour le pouvoir absolu. 

 

Ces observations liminaires permettent de comprendre la finalité de l’ouvrage de Machiavel : 

Il s’agira pour lui de montrer comment un Prince doit agir pour conserver son pouvoir le plus longtemps possible eu égard à sa propre perversité et à l'appétit de puissance de tous ceux qui l'entourent . Pour cette analyse du Prince, je ne me cantonnerai qu’à l’étude du pouvoir civil en temps de paix, il va de soi que le gouvernement d’un état en guerre est totalement différent puisqu’il nécessite des pouvoirs  exceptionnels qui seraient exécrables s’ils n’étaient pas temporaires.

 

Le « Prince » peut donc se définir comme un livre de pédagogie à usage de Laurent 2 de Médicis à qui Machiavel a dédié son ouvrage. Les informations qu’il donne peuvent être regroupées en deux catégories principales :

 

     . Le Prince doit apprendre à dissimuler sa vraie nature et sa perversité naturelle.

     . Le Prince doit adapter son comportement et sa vraie nature  aux circonstances  en maniant à bon escient le bien et le mal. 


A suivre

lundi 30 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (8)

  LE MEILLEUR RÉGIME POLITIQUE 

La réponse à cette question peut paraître, à première vue, surprenante eu égard à ce qui a précédé dans les précédents articles : pour lui, le moins  précaire des régimes politiques parmi les six précédemment cités, est celui de la DÉMOCRATIE. 

Cette allégation est évidemment à mettre en rapport avec son étude  de la République romaine effectuée dans le « Discours à propos de la première décade de Tite-Live ». Machiavel admire la république romaine tant dans les comportements de ses concitoyens que pour sa destinée grandiose  qu’il compare à tout propos avec la médiocrité des êtres humains et des princes de son époque. Il est peut-être de parti-pris et ne possède qu’une connaissance livresque des républiques du passé mais les arguments qu’il défend sont, à mon avis, tout à fait pertinents et défendables. 

Machiavel donne de nombreux exemples de la supériorité du pouvoir du peuple sur celui du Prince, je les ai classés en quatre items : 

. Le respect de la pluralité des voix et la liberté d’émettre une opinion.

. Le règne des lois. 

. La stabilité des institutions préservant la République de la tyrannie.

. L’égalité des chances. 

 

LE RESPECT DE LA PLURALITÉ DES VOIX ET LA LIBERTÉ DES OPINIONS

En premier lieu, la République est, par essence même, le garant de la liberté des citoyens avec son corollaire, la liberté d’expression ; chacun peut exprimer son avis, cela est essentiel dans une démocratie directe puisque le pouvoir appartient à l’assemblée du peuple. Certes, cette liberté peut dégénérer en querelles mais, selon Machiavel, le peuple réussit toujours à prendre la décision la plus sage et la plus conforme aux intérêts des citoyens ; il suffit, en cas de débat passionné, qu’un orateur dont la sagesse  et la vertu est connue de tous s’exprime à la fois pour établir une synthèse des opinions opposées et montrer que cette synthèse est la plus avantageuse pour la cité. Il en est de même quand deux orateurs défendent des projets opposés, le peuple saura toujours choisi la meilleure des alternatives. Machiavel en est foncièrement convaincu, c’est pour cela qu’il écrit : « ce n’est pas sans raison que l’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu » (discours, livre 1 chapitre 58) 

Dans le même chapitre, il écrit : 

« Quant au jugement que porte le peuple sur les affaires, il est rare, lorsqu’il entend deux orateurs qui soutiennent des opinions opposées, mais dont le talent est égal, qu’il n’embrasse pas soudain la meilleure, et ne prouve point ainsi qu’il est capable de discerner la vérité qu’il entend. » 

Certes, il peut en résulter des désaccords  et même des conflits entre les citoyens mais s’ils sont vertueux, « les harangues publiques sont là pour redresser leurs idées ; il suffit qu’un homme de bien se lève et leur démontre par ses discours qu’elles s’égarent. Car les peuples, comme l’a dit Cicéron, quoique plongés dans l’ignorance, sont susceptibles de comprendre la vérité, et ils cèdent facilement lorsqu’un homme digne de confiance la leur dévoile » (livre 1 chapitre 2) 

A l’inverse, dans un régime princier à tendance tyrannique, la liberté d’expression n’existe pas, au contraire, elle est combattue et qualifiée de tentative de rébellion contre le régime. Seuls compte l’avis du Prince et son opinion, c’est en fonction de ceux-ci qu’il agit sans que le peuple soit consulté. Celui-ci n’a d’autre solution que de manifester sa colère par des manifestations, souvent sauvagement réprimées. 

Combien souvent, « un prince n’est-il pas entraîné par ses propres passions, qui sont bien plus nombreuses et plus irrésistibles que celles du peuple » (discours livre 1 chapitre 58) 

« Les discours d’un homme sage peuvent ramener facilement dans la bonne voie un peuple égaré et livré à tous les désordres ; tandis qu’aucune voix n’ose s’élever pour éclairer un méchant prince ; il n’existe qu’un seul remède, le fer. » (Ibid). 

Ainsi apparaît une différence fondamentale entre la république et le régime princier : dans une république démocratique, les querelles et les invectives se produisent avant la prise d’une décision, par contre, dans un régime de tyrannie princière, elles se produisent après. 

« L'pinion défavorable que l’on a du peuple ne prend sa source que dans la liberté avec laquelle on en dit du mal sans crainte, même lorsque c’est lui qui gouverne ; au lieu qu’on ne peut parler des princes sans mille dangers et sans s’environner de mille précautions ». (ibid)

 LE RÈGNE DE LA LOI

La deuxième différence entre la République et le régime tyrannique des princes concerne le règne de la loi. Le Prince gouverne selon son bon plaisir, créant des lois quand il le veut et ainsi cumulant les trois pouvoirs définis par Montesquieu : il fait la loi, la fait exécuter et punit ceux qui y contreviennent. Dans une république démocratique, c’est le peuple lui-même qui décide de la loi et la fait appliquer. Il en résulte de nombreuses conséquences :

. Le respect des lois dans une république est plus important que dans un régime tyrannique ; les lois d’une république, du fait qu’elles sont votées par les citoyens à la majorité des suffrages, sont axées uniquement sur la recherche du bien commun, les lois du Prince sont le plus souvent établies au bénéfice de lui seul ; en conséquence, à la moindre faille de l’Etat, le peuple s’empresse de désobéir. 

. L’utilisation de la cruauté est moins importante dans une république que dans une principauté tyrannique : dans une république, lorsqu’on punit, on le fait selon la loi ; dans une principauté, la punition est effectuée de manière arbitraire et souvent disproportionnée par rapport aux faits réels. En effet, pour durer, faute d’obtenir l’assentiment de ses sujets, le Prince ne peut compter que sur la violence de sa répression.

Ainsi écrit Machiavel « La cruauté de la multitude s’exerce sur ceux qu’elle soupçonne de vouloir usurper le bien de tous ; celle du prince poursuit tous ceux qu’il regarde comme ennemis de son bien particulier ».

. Du fait que tous les actes du gouvernement doivent passer par un long cheminement allant des magistrats au peuple, la politique des républiques est plus réfléchie et plus prudente que celle des princes agissant souvent de manière impulsive selon leur humeur du moment sans toujours réfléchir aux conséquences de décisions trop hâtives. 

« Je  soutiens qu’un peuple est plus prudent, moins volage et d’un sens plus droit qu’un prince. »

Machiavel cependant nuance largement son avis à ce propos, il montre en particulier que les républiques et en particulier la république romaine prend en compte, dans son analyse, le fait qu’en cas de danger immédiat mettant en péril la République, il existe un mécanisme temporaire de gouvernement sous forme de l’élection d’un dictateur cumulant tous les pouvoirs, à charge pour lui d’en rendre compte. 

LA STABILITÉ DES INSTITUTIONS PRÉSERVE LA REPUBLIQUE DE LA TYRANNIE COMME DE LA DÉMAGOGIE 

La troisième supériorité des républiques est la plus grande stabilité du régime par rapport à celui institué par un prince : il est en effet quasiment impossible à un citoyen aspirant à instaurer une tyrannie de mener à bien son projet du double fait que c’est du peuple que procède tous les pouvoirs et que la quasi-totalité des magistratures est  temporaire : il est évident que le peuple n’a aucun intérêt à élire un citoyen qui le privera de toutes ses libertés ; par contre, dans les principautés, l’instabilité du régime politique est patent, le Prince est, en effet, entouré de jaloux, prêts à prendre sa place dès qu’ils perçoivent la moindre faiblesse de sa part. 

Cette caractéristique est rappelée à de nombreuses reprises par Machiavel : 

« Pour qu’un citoyen puisse nuire à l’État et usurper un pouvoir extraordinaire, il faut d’abord le concours d’une foule de circonstances qui ne se rencontrent jamais dans une république qui a conservé la pureté de ses mœurs. Il a besoin d’être extrêmement riche et d’avoir un grand nombre de clients et d’amis, ce qui ne peut avoir lieu là où règnent les lois ; et en supposant qu’un pareil citoyen existât, il parait tellement redoutable qu’il ne peut obtenir les suffrages libres du peuple. (Livre 1 chapitre 34) 

 

« Jamais on ne persuadera au peuple d’élever à une dignité un homme corrompu et signalé par l’infamie de ses mœurs, tandis qu’il y a mille moyens de le persuader à un prince. Lorsqu’un peuple a pris quelque institution en horreur, on le voit persister des siècles dans sa haine : cette constance est inconnue chez les princes (livre 1 chapitre 58)


« Un peuple qui commande, sous l’empire d’une bonne constitution, sera aussi stable, aussi prudent, aussi reconnaissant qu’un prince ; que dis-je ? Il le sera plus encore que le prince le plus estimé pour sa sagesse. D’un autre côté, un prince qui a su se délivrer du joug des lois sera plus ingrat, plus mobile, plus imprudent que le peuple. La différence qu’on peut remarquer dans leur conduite ne provient pas du caractère, qui est semblable dans tous les hommes, et qui sera même meilleur dans le peuple ; mais de ce que le respect pour les lois sous lesquelles ils vivent réciproquement est plus ou moins profond ». (Livre 1 chapitre 58) 

 

L’ÉGALITÉ DES CHANCES

 

Le quatrième avantage du système démocratique est que la république est capable de donner ses chances à tous qui se sont distingués par de hauts faits : un jeune homme qui a manifesté de grandes qualités tant de  courage que de ténacité peut, dans une république, suivre rapidement le cursus honorum et aspirer à de hautes fonctions, normalement réservées aux personnes plus âgées.

 

Par  contre, dans une principauté tyrannique, un homme valeureux et capable risque très vite d’être jalousé par le Prince qui se méfiera de lui et de sa popularité et pourra même l’accuser de comploter contre lui afin de le déconsidérer. 

 

« celui qui veut obtenir les mêmes succès que Rome ne doit point établir dans son sein de distinction. Si cela est vrai pour la naissance, la question de l’âge est résolue ; elle en est la suite nécessaire. En élevant un jeune homme à une dignité qui exige la prudence d’un vieillard, il est clair, puisque la multitude le choisit, que quelque action éclatante l’a rendu digne d’être porté à ce rang élevé. Et, quand le mérite d’un jeune homme brille de tout l’éclat que répandent sur lui ses belles actions, il serait dangereux que l’État ne pût dès lors en tirer avantage, et qu’il fallût attendre que la vieillesse eût glacé cette force d’âme et cette activité qu’on aurait pu employer au service de la patrie. (Livre 1 chapitre 60) 

 

Qu’on parcoure tous les excès commis par les peuples, et ceux où les princes se sont plongés, toutes les actions glorieuses exécutées par les peuples, et celles qui sont dues à des princes, et l’on verra combien la vertu et la gloire des peuples l’emportent sur celles des princes. Si les derniers se montrent supérieurs aux peuples pour former un code de lois, créer les règles de la vie civile, établir des institutions ou des ordonnances nouvelles, les peuples à leur tour sont tellement supérieurs dans leur constance à maintenir les constitutions qui leur sont données, qu’ils ajoutent même à la gloire de leurs législateurs.»


Il est regrettable que les tenants de notre pseudo démocratie ne lisent pas Machiavel ; ils comprendraient alors peut-être  qu'il serait vital pour leur survie de transformer en profondeur nos institutions en faisant, entre autre, voter les lois par le peuple, en ne proposant aux citoyens que des lois au vocabulaire compréhensif pour tous et en généralisant à tous les niveaux une justice effectuée par le peuple afin de préserver les libertés collectives.

 

samedi 28 août 2021

LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL (7)

LE RÉGIME POLITIQUE DES ÉTATS EST LE REFLET DE LA NATURE DE L’HOMME A SON EPOQUE.  

LES CONCEPTIONS DE MACHIAVEL SONT ELLES TRANSPOSABLES À NOTRE ÉPOQUE ?

En ce qui concerne la nature de l’homme, beaucoup de caractéristiques relevées par Machiavel à propos de son époque  restent encore d’actualité actuellement. Cependant, ces caractères (ingrats, inconstants, dissimulés, tremblant devant les dangers, avides au gain) sont soigneusement camouflés par un concept général que l’on peut énoncer par une seule locution : « je suis libre, je fais ce que je veux » : grâce à elle, on peut cacher ses instincts sociaux pervers par une affirmation moralement admissible aux yeux de tous. Cependant, cette liberté à tous prix n’a rien à voir avec le concept de liberté tel que le prônaient les républiques antiques : pour celles-ci, la notion de liberté était d’abord conçue comme la liberté collective d’un peuple assemblé pour proposer des lois permettant la liberté individuelle tout en la canalisant afin de garantir la liberté publique. A notre époque, c’est uniquement la liberté de l’individu qui est revendiquée et magnifiée au détriment des libertés collectives. Notre monde a rejeté tout ce qui pouvait entraver sa liberté : la morale chrétienne tout comme les idéaux de la République, sont oubliés ou ne sont plus que des vains mots, seuls comptent l’individualisme forcené et l’égocentrisme, 

Certes, il  existe   une majorité silencieuse  de « braves gens » capables de compassion, de dévouement envers les autres, capables de donner de leur temps pour aider les exclus de la société à  trouver un peu de bonheur Certains sont même prêts à sacrifier leurs propres vies pour les autres. Les esprits tordus peuvent certes objecter qu’un acte altruiste est effectué plus pour la satisfaction de son propre ego que pour aider réellement les autres, mais même cette observation réductrice, n’oblitère pas le fait que ces « braves gens », issus le plus souvent des classes populaires, constituent le fonds réel de notre société. 

 

Pourtant, malheureusement, leurs comportements exemplaires subissent l’influence pernicieuse et perverse des tenants de la liberté individuelle absolue et de l’égocentrisme.

 

 Les exemples abondent de cette propagation du chancre de l’individualisme forcené qui a tendance à polluer toutes les strates sociales : en voici deux exemples qui correspondent exactement aux théories élaborées par Machiavel à propos des errements de son temps et de sa description d’une société corrompue :   

     . L’ingratitude est souvent manifeste dans les rapports sociaux : ainsi, tant que l’on rend service à quelqu’un, on est bien vu de lui, il nous rend de fréquentes visites et n’hésite pas à nous inviter, on pense alors avoir affaire à un vrai ami. Pourtant, si pour une bonne raison, on cesse de rendre le service, ceux qu’on croyait ses amis se détournent et n’hésitent pas à critiquer ceux qui les ont aidés. 

     . La rapacité et l’âpreté au gain sont également patents dans notre société, elle touche la quasi-totalité des gens : il faut toujours gagner plus pour posséder plus, la plupart des individus se livrent à de véritables compétitions pour exhiber la plus belle voiture, le robot ménager le plus sophistiqué, la plus grande maison,… même si on risque d’être lourdement endetté par ces achats souvent inconsidérés. 

 

Le concept de société duale avait également été évoqué par Machiavel dans le « discours… à propos de Tite-Live » comme je l’ai montré lorsque j’ai décrit les raisons qui ont conduit au passage de la gouvernance de la république romaine à celle du Moyen-Age et de la Renaissance italienne du fait de la christianisation de l’occident. Machiavel avait alors divisé la société en deux corps : 

     . Les humbles qui subissaient passivement leur sort afin de mériter le salut, je les assimile aux « braves gens que j’ai évoqués ci-dessus 

     . Ceux que j’ai appelé les crapules qui profitaient de cette passivité pour imposer leur dictature et à inciter les humbles à se pervertir à leur image. 

 

Notre époque possède également le second type de société : elle comporte une minorité de gens sans scrupules et  avides de pouvoir, ils savent manipuler le corps social pour assouvir leurs instincts de possession, ils profitent de la passivité des « braves gens » pour imposer leur système politique et économique et pour pervertir de plus en plus largement l’ensemble du corps social. 

 

Cette dualité est si évidente que l’on parle communément de « France d’en haut » et de « France d’en bas ». Il va de soi que ce ne sont plus les conceptions chrétiennes qui structurent la société en deux catégories même s’il subsiste dans le fonds mental de notre civilisation de larges réminiscences du passé chrétien et de sa morale.

 

En ce qui concerne, ceux de la pseudo « France d’en haut » et à la différence des notables des États italiens, de l’époque de Machiavel, ils n’étalent pas au grand jour leur appétit de conquête et leur volonté exacerbée de puissance  et utilisent des méthodes plus subtiles et mieux camouflées. C’est en toute discrétion qu’ils étendent leur emprise à la manière des araignées  tissant inlassablement leurs toiles sans que les sociétés humaines ne s’en rendent clairement compte. 

 

Selon moi, il existe  aujourd’hui principalement trois moyens qui asservissent l’individu aux normes des plus puissants.

 

Le premier est la généralisation insidieuse du capitalisme sous sa double forme de la société par actions et des cotations boursières permettant de faire toujours plus de profits, (« il est dans la nature de l’homme de ne se croire tranquille possesseur que lorsqu’il ajoute encore aux biens dont il jouit déjà » écrit Machiavel). Ces formes économiques, nées de la révolution industrielle,  se développent sans entrave pour sécréter des crapuleries coupables : Les exemples abondent d’individus qui se sont enrichis frauduleusement à coup de spéculations, sans égard pour tous ceux qui travaillaient pour eux et qu’ils livrent au chômage sans aucun scrupule et en toute impunité. De même, ils réussissent à dissimuler une grande partie de leurs scandaleux revenus dans des paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôts à l’Etat qui les a vu naître et a permis leur ascension sociale. 

 

Né en Europe occidentale, le capitalisme étend ses filets sur toute la terre : le colonialisme et le néocolonialisme en sont les marques les plus évidentes, il est navrant, à cet égard, de voir de grandes sociétés capitalistes piller sans vergogne les ressources du sous-sol des pays pauvres à leurs seuls avantages, il est criminel de constater l’extension indéfinie des grandes plantations industrielles au détriment des petites exploitations vivrières assurant la subsistance des autochtones. Le but est de gagner toujours plus et de s’enrichir aux dépens des plus humbles, cela conduit à aggraver les inégalités sociales entre riches et pauvres. 

 

La deuxième méthode utilisée par les puissants est le développement de la société de consommation qui utilise à son avantage l’ « âpreté au gain » en tentant de la développer par des incitations tout aussi constantes qu’insidieuses et artificielles  (publicité, obsolescence, forum de recherche…) afin d’habituer les consommateurs à acheter toujours plus afin de faire plus de profit. 

 

La troisième méthode découle des deux précédentes, elle est déjà exprimée par Machiavel qui écrivait « plus ils possèdent, plus leur force s’accroît, et plus il leur est facile de remuer l’État » : pour que ces individus puissent développer leurs ambitions malsaines,  il est nécessaire qu’ils contrôlent le système politique, pour cela, ils s’organisent en groupes de pressions qui amènent les gouvernements à se convertir à leurs idées et à détruire, au nom d’un fallacieux progrès, les acquis et garanties sociales que les travailleurs avaient acquis au prix de luttes acharnées. 

 

En outre, contrôler l’Etat permet aussi de mater toutes les tentatives de révolte de ceux qui veulent une plus juste répartition des richesses : en domptant l’état, ils se donnent les moyens de réprimer toutes les révoltes et de punir de plus en plus sévèrement les fauteurs de troubles. 

 

Ainsi, dans le fonctionnement de la société, on retrouve trait pour trait la description que faisait Machiavel  de son époque. Si on tente d’utiliser sa terminologie à propos des différentes formes d’Etat, on pourrait qualifier le régime politique qui nous régit, officiellement démocratique,  d’OLIGARCHIE or l’oligarchie se classe, selon lui, dans les régimes corrompus.