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dimanche 2 août 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade  (123) : L'ÉTAT D'ESPRIT DES HABITANTS DES ETATS FRANCS DE TERRE SAINTE

GUILLAUME DE TYR (Historia rerum in partibus transmarinis gestarum)

Le troisième témoignage, indirect celui-là, concernant les mentalités des habitants des Etats Francs est celui de Guillaume de Tyr (v1130-1186), cet ecclésiastique, né en Terre Sainte, devenu archevêque de Tyr, fut un témoin oculaire des événements qui se déroulèrent jusqu'à sa mort. Lui qui avait célébré avec tant de fougue admirative les hauts faits des francs, constate qu'une époque nouvelle est apparue, celle des malheurs et des défaites. Son témoignage est semblable à celui de Jacques de Vitry mais il y ajoute, dans l'extrait ci-dessous,  son sentiment sur ce qui se passe et manifeste un profond découragement face aux événements qui se déroulent devant ses yeux ; ce découragement est tel qu'il prend la décision d'arrêter sa chronique. A quoi bon continuer à décrire des événements qui ne sont qu'une succession de catastrophes ! L'extrait ci-dessous possède une touche très personnelle qui le rend assez émouvant.

" Lassé des malheurs qui arrivent dans notre royaume, plus fréquemment que de coutume et presque sans relâche, nous avions résolu de quitter la plume, et d'ensevelir dans le silence les récits que nous avions d'abord entrepris de transmettre à la postérité. Nul ne saurait sans douleur raconter les maux de sa patrie et produire au grand jour les fautes de ses concitoyens... tout sujet de louange nous est maintenant enlevé; nous n'avons sous les yeux que les calamités de notre patrie en deuil et des misères de tout genre, qui ne peuvent nous arracher que des larmes et des gémissements.

Jusqu'à présent nous avons décrit de notre mieux les beaux faits des grands princes qui, pendant quatre-vingts ans et plus, ont exercé le pouvoir dans notre Orient, et principalement à Jérusalem. Le courage nous manque maintenant: nous détestons le présent, nous demeurons interdit devant les choses qui se présentent à nos yeux et à nos oreilles... Nous ne rencontrons rien dans les actions de nos princes qu'un homme sage puisse croire devoir confier au trésor de la mémoire, rien qui soit capable d'intéresser le lecteur ou de faire quelque honneur à l'écrivain. Nous pouvons répéter pour nous la complainte du prophète: « La prudence a manqué au sage, la parole au prêtre, ...

Nous sommes arrivés à ce point de ne pouvoir plus supporter ni nos maux ni les remèdes. Aussi, et en punition de nos péchés, les ennemis ont-ils repris tout l'avantage: nous qui avions triomphé, qui remportions habituellement sur eux la palme glorieuse de la victoire, privés maintenant de la grâce divine, nous avons la plus mauvaise part dans presque toutes les rencontres. C'est pourquoi il faudrait se taire; c'est pourquoi il vaudrait mieux couvrir nos fautes des ombres de la nuit, que porter la lumière sur des choses honteuses.

Dans cette première partie, Guillaume de Tyr donne en filigrane une explication des malheurs semblable à celle apportée par Jacques de Vitry. : la faute en est aux hommes eux-mêmes qui ont commis trop de péchés, ont perdu tout sens de la prudence comme de la prière, dont les princes eux-mêmes ne mérite plus que l'on décrive leur faits et gestes. Les hommes se sont détournés de la mission que Dieu leur avait confiée, et " en punition de leurs péchés" ils ont été "privés de la grâce divine". Tant qu'ils ont respecté les commandements de Dieu, ils ont bénéficié de sa bienveillance ; par contre, depuis qu'ils s'en sont détournés, Dieu les a abandonnés.

Cette idée peut être rapprochée d'une caractéristique que l'on trouve dans toutes les chroniques : la disproportion des forces en présence lors des batailles : de faibles effectifs chez les francs, d'immenses armées chez les musulmans ; sans la bienveillance de Dieu, aucune victoire n'aurait été possible. En conséquence, dès que Dieu abandonne les francs, réduits à leurs seules forces, ils ne peuvent qu'être vaincus.

En ce qui concerne sa décision de cesser d'écrire, Guillaume de Tyr va changer d'avis et suivre le conseil de ses amis à qui il avait fait part de cette décision. Ils lui montrèrent que même les malheurs méritent d'être décrits afin de montrer aux hommes du futur ce qu'il pourrait leur advenir.

" Mais ceux qui ont à cœur de nous voir poursuivre l'entreprise que nous avons commencée, et qui nous supplient avec de vives instances de continuer à tracer pour la postérité le tableau des événements heureux ou malheureux survenus dans le royaume de Jérusalem, nous encouragent en nous proposant l'exemple des historiens les plus distingués.

Ils nous citent ...beaucoup d'autres exemples, par lesquels ils cherchent à nous déterminer, et qui font voir ... que ceux qui racontent les choses du passé ont autant de motifs de rapporter [leurs] vicissitudes ... le tableau des événements heureux doit éveiller chez nos descendants des sentiments de courage... l'exemple des maux qu'on a soufferts doit inspirer plus de prudence pour des circonstances semblables. Le devoir des annalistes est de consigner les faits dans leurs écrits, non tels qu'ils désireraient eux-mêmes qu'ils se fussent passés, mais tels que les présente la série des temps.

Dans les choses de ce monde, jamais on n'y voit de prospérité continue, ni de malheurs sans quelques intervalles lucides. Nous sommes donc vaincu ; et puisque nous avons commencé, renonçant à notre précédente résolution, nous continuerons, avec l'aide de Dieu et tant qu'il nous prêtera vie, à écrire avec soin le récit des événements que nous présentera la suite des temps: et plaise au ciel que ces événements soient heureux !"

ÉPILOGUE
De ces trois extraits, on peut en tirer une vision négative de l'état des Etats Francs avant Hattin assortie de sombres pronostics sur l'avenir.

Assez curieusement, les commentaires effectués par Jacques de Vitry rejoignent les commentaires d'Osama Ibn Munqidh sur les francs

" Quiconque est au courant des qualités des francs est porté à glorifier et à sanctifier Allah le tout puissant [de ne pas leur ressembler ] car il a vu en eux des bêtes qui ont la supériorité du courage et de l'ardeur au combat mais aucune autre [qualité], de même que les animaux ont la supériorité de la force et de l'agression"

"Les francs ne possèdent aucune des hautes qualités qui font la supériorité des autres hommes à l'exception de la bravoure"

Tous ces défauts qui caractérisaient la société franque et leurs dirigeants vont s'illustrer de manière évidente dans les circonstances qui ont conduit à la défaite de Hattin et à la fin de leur monde.

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