Suite de l’article précédent : les temples construits par RAJENDRAVARMAN II
La deuxième caractéristique des temples du MEBON ORIENTAL et du PRE-RUP est qu’ils semblent échapper aux règles de la géomancie traditionnelle ayant présidé à la structuration des deux villes de Hariharapura et de Yashodharapura. En fait, il n’en est probablement rien, Après l’intermède de Koh-Ker, Rajendravarman II est qualifié sur des stèles de restaurateur de la ville, et il semble normal qu’il ait voulu le manifester par la création d’un nouveau temple d’Etat. Il est probable aussi que la ville s’était considérablement agrandie vers l'est et que le roi y établit l’épicentre de sa ville. Ainsi, la construction du Mebon oriental et du Pre-Rup entrait dans une politique d’extension de la ville semblable à celle qui avait amené YASHODVARMAN 1er à quitter Hariharapura pour fonder une nouvelle ville.
Dans cette perspective, le plan d’ensemble des constructions principales de Yashodharapura obéit bien à la géomancie traditionnelle avec toutefois une modification de son sens :
. L’ossature de la ville de Yashovarman 1er était organisée selon deux lignes perpendiculaires reliant le Baray oriental, le palais royal et le Phnom-Bakheng
. Celle de la ville de Rajendravarman Il est aussi organisée selon deux lignes perpendiculaires principale reliant le palais royal au Baray oriental et au Mebon puis au Pre-Rup.
La troisième caractéristique révélée par l’étude du Mebon oriental et du Pre-Rup, fait, selon moi, apparaître une nouvelle définition du concept de temple d’Etat. Ces temples sont dédiés à Çiva représenté par le lingam mais ils témoignent aussi de l’ « assimilation » du roi au dieu par le fait que le lingam de la cella centrale associe le nom du roi à celui de Çiva sous le vocable de Içvara. Cette assimilation conduit à penser que le temple d’Etat était dédié à l’essence divine que le roi possède en lui qui justifie son pouvoir, lui permet de protéger le royaume et de vaincre les ennemis.
Le MEBON ORIENTAL est qualifié de temple des ancêtres divinisés ; en fait, il n’est pas que cela ; certes, deux des quatre tours extérieures sont dédiés au père et à la mère du roi divinisés sous la forme de Çiva et de sa parèdre Uma (appelée aussi Parvati Durga et Kali), mais le Prasat principal Est comporte le Lingam royal appelé RAJENDREÇVARA, symbole de la religion officielle ; cela indique que le MEBON ORIENTAL était un temple d’Etat associant l’adoration de Çiva comme protecteur tout puissant du roi et la vénération du roi comme de ses ancêtres divinisés. Afin de parfaire l’image du temple d’Etat, les deux autres cella étaient dédiées à Vichnou et Brahma, ce qui renforce encore la signification symbolique du temple et place l’Etat khmer sous la triple protection des parents du roi, du Panthéon hindouiste et de l’essence divine émanant du roi.
Si on analysait le comportement du roi selon nos mentalités occidentales, on aurait l’impression que Rajendravarman Il se serait empressé de justifier son pouvoir en le rattachant à ses ancêtres divinisés et à sa propre divinisation. Cette analyse pourrait être corroborée par le fait que le Phnom Bakheng perdit son statut de temple d’Etat pendant le règne de ce roi.
Dans de telles circonstances, on peut se demander pourquoi RAJENDRAVARMAN II décida de construire un nouveau temple d’Etat, le Pre-Rup ? Sans doute parce que le roi, par souci de sa propre grandeur, voulut que ce temple surpasse tout ce qui avait été construit avant lui.
Lorsque le Pre-Rup fut consacré, il devint temple d’Etat avec vénération d’un linga appelé RAJENDRABHADRESHAVA qui associait le nom du roi RAJENDRA et le nom d’une déesse locale considérée comme une manifestation de Çiva, BHADRESHVARA. Ce nouveau linga ne remplaça sans doute pas l’ancien mais dût le compléter. Le linga royal fut placé dans la tour centrale du Pre-Rup, les quatre autres prasat étant dédiés à Çiva, à sa parèdre Uma, à Vichnou, et à sa parèdre Lakshmi. Ainsi comme dans le temple du Mebon oriental, les deux dieux principaux de la triade hindouiste était réunis autour du linga royal, personnification de l’essence divine du roi.
Ainsi, on peut penser que le PRE RUP devint, après sa consécration, le nouveau temple d’Etat sans que pour autant, le culte lié au linga du MEBONG soit abandonné.
Une autre composante du changement de signification du temple d’Etat se manifesta sous le règne du fils de Rajendravarman II, JAYAVARMAN V ; ce dernier entreprit la construction d’un nouveau temple-montagne d’Etat dédié au linga royal, le TA-KEO. Il en sera de même pour ses successeurs, au moins pour ceux qui eurent un règne assez long pour avoir le temps de mener à bien cette construction, ce sera le cas pour Suryavarman 1er au Baphuon et de Suryavarman II pour Angkor-Vat.
Dans cette perspective, il a été émis l’hypothèse que le PRE-RUP, temple d’Etat du vivant de Rajendravarman II, serait devenu son temple funéraire. Cette idée est basée sur deux considérations :
. Le terme Pre-Rup signifie « changer de corps » et pourrait évoquer un temple funéraire, cependant ce terme est moderne, sans référence au passé de la civilisation d’Angkor,
. L’édicule mystérieux (N du plan) pourrait faire penser à une fosse de crémation, pourtant d’autres historiens pensent plutôt à la localisation d’une statue de Nandi, la monture de Civa.
Dans l’état actuel des choses, la mutation du temple d’Etat en temple funéraire, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas avérée.
À suivre... Prochain article, le TA-KEO.