RAISON ET LIBERTÉ (suite de l’article précédent)
Cette
méthodologie des valeurs classées par l'outil-raison va permettre d'accéder à
la liberté ontologique. Pour le montrer, je reprendrai ici mon anecdote du
lépreux citée précédemment, pour lequel
ma réaction primaire fut l'horreur quand il me prit par l'épaule avec ses
moignons afin de m'apitoyer.
Devant une
telle situation, on peut avoir trois types de réactions :
. Une réaction instinctive qui peut
s'assimiler à un réflexe : de la même manière que l'on retire sa main d'un
fourneau brûlant, on peut s'écarter du lépreux afin de préserver son corps
d'une menace immédiate.
. Une réaction émanant du « tiroir
du paraître » du type : " il a touché mon habit, il va falloir que je
me change"
. Une réaction émanant du « tiroir de
l'être », cette réaction est propre à chaque individu puisqu'elle dépend
uniquement du système de valeur qu'il a établi :
- On peut avoir une réaction de
compassion qui conduit à considérer que ces lépreux sont des êtres humains
comme les autres ayant leur dignité, que
ce sont des êtres qui souffrent et qu'il faut les respecter en tant que tels en tentant
de les aider à survivre par une obole,
- ce ne fut cependant pas la réaction
de tout le monde, d'autres ouvrirent dans leurs « casiers de l'être »
un autre dossier, celui de la haine de l'autre, de la détestation de la différence,
du mépris de ceux qu'ils considèrent comme des "sous-hommes" et à qui
ils dénient une quelconque humanité.
J'ai constaté
cette dernière réaction, non vis à vis des lépreux, mais à l'encontre d’enfants
mendiants d'un bidonville des Indes : un touriste se débarrassa, en les
repoussant avec rudesse, de petits
mendiants qui étaient autour de lui, il remonta dans le bus et, de la fenêtre ouverte,
il leur jeta des bonbons ; le fait de voir ses enfants se battre pour
ramasser les bonbons dût lui procurer une grande jouissance !
Je fus profondément
choqué de cette réaction de l’individu, ce comportement me parut socialement
exécrable, pourtant il ne l'était pas au niveau de sa liberté ontologique : au
moment de cet acte que je ressentais comme vil,
il était, selon moi, pleinement en accord avec lui-même et avec les
valeurs qui constituaient son être, c'est d'ailleurs ce qu'il nous expliqua
ensuite. En effet, le tri des valeurs se fait indépendamment de la notion de
bien et de mal,
De tout ce qui
précède, on peut, selon moi, à nouveau, tirer la conséquence que chaque être humain est
unique et possède son propre système de valeurs pour peu toutefois qu'il soit
capable de dépasser son paraître pour rechercher ce qui constitue son être. Chacun peut donc accéder à sa liberté
ontologique s'il pousse son introspection au niveau du « tiroir de son
être »; cette liberté ontologique lui est propre et correspond au système
de valeurs qu'il façonne peu à peu.
Ainsi,
l'aphorisme qui crée, selon moi, la liberté : " je fais quelque chose et
je sais pourquoi je le fais" peut être complété en y incluant le niveau du
système des valeurs : " je sais ce que je fais puisque je me réfère au
système des valeurs constitutives de mon être que j'ai moi-même établi en toute
liberté à partir des acquis qui sont en moi". C'est par la mise en
pratique cet aphorisme que l'on dispose de la liberté absolue et totale.
On pourrait
certes me rétorquer que cette liberté n'est pas absolue puisqu'elle est
conditionnée par ses acquis : comment peut-on être libre si on reste esclave de
ceux-ci et secondairement de ses instincts ?
La réponse à
cet argument peut être effectuée par trois idées :
. D'abord, la liberté ex-nihilo ne peut
exister puisque l'inné se limite aux seuls instincts primordiaux ; l'esprit à la naissance est une terre vierge
de toute influence, c'est peu à peu que se constituent les acquis, la liberté
ne peut apparaitre que dans le cadre de choix effectués entre ces acquis.
. Chaque homme dispose d'une panoplie si
large d'acquis qu'il est possible de choisir les uns en les hiérarchisant et
de rejeter totalement les autres. Il est aussi possible de reprendre tous ses
acquis, de les analyser au moyen de la raison et d'établir son propre système
de valeurs philosophiques.
. Enfin, il est possible à chaque homme de
transcender ses instincts pour en devenir le maître à condition toutefois que
le minimum vital soit préservé.