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mercredi 25 juin 2014

La coexistence du RÈGNE DE LA MORT et de l'HUMANISME DU QUATTROCENTO au  XVe SIÈCLE (3)  la Pietà de MICHEL ANGE

Afin de témoigner de cette surprenante différence de mentalité entre l'art du quattrocento italien et celui du reste de l'Europe, en proie au règne de la mort, il suffit de comparer deux Pietàs contemporaines l'une de l'autre : l'une est sculptée sur une croix de chemin dans un petit village lorrain, Dolaincourt, l'autre a été crée par Michel Ange Buonarotti. 

Pourtant se limiter à cette simple comparaison serait fallacieux, car elle ne dévoile que l'un des aspects de cet artiste, c'est pourquoi, je comparerai cette pietà, la première sculptée par Michel-ange en 1499  à la dernière, celle appelée Ronderini, datée de 1564. et presque contemporaine du tableau de Pieter Brueghel du "triomphe de la mort."(2)

Au niveau de leur composition, ces deux pietàs se ressemblent :  la Vierge Marie assise tient son fils sur ses genoux, elle est vêtu d'un large manteau qui lui recouvre une partie de la tête, elle maintient Jésus par la main passée sous les aisselles. Le Christ est représenté en diagonale, la tête est renversée et le bras extérieur pend vers le sol.

Cette similitude s'arrête là ; ce que l'on ressent à la vue de ces deux pietàs, c'est essentiellement leur différence.

LA PIETÀ DE DOLAINCOURT est sculptée sur le revers d'une croix de chemin qui montre à l'avers le Christ en croix entouré de la Vierge Marie et de saint Jean. On les aperçoit ici de dos de part et d'autre de la Pietà.

Cette Pietà comporte les aspects habituels de ce type de représentation :
   . La Vierge Marie est représentée sous les traits d'une femme âgée, enlaidie par la tristesse et la douleur regardant son fils mort avec le désespoir d'une mère qui vient de perdre son enfant.
   . Le Christ est figuré en tant que cadavre supplicié, portant les stigmates de la mort.

La PIETÀ DE MICHEL ANGE (1475-1564) fut sculptée en 1499, (l'année de la mort de Marcile Ficin), elle se trouve dans la basilique saint Pierre de Rome.
   . Le visage de la Vierge Marie est celui d'une jeune femme dans la plénitude de sa beauté, son visage est impassible, il ne reflète ni douleur ni tristesse, à peine de résignation. On a l'impression que la Vierge Marie est plutôt dans un stade intermédiaire entre la mort de son fils qu'elle a assumée et la résurrection à venir qu'elle attend impassiblement.
   . Le cadavre du Christ n'est pas celui d'un crucifié qui a subi de terribles souffrances, c'est à peine si on aperçoit l'emplacement des clous à la main et la blessure du coup de lance. Le corps est intact, le visage est celui d'un homme jeune dans la plénitude de sa beauté ; on a l'impression qu'il s'agit moins du corps d'un homme mort que de celui d'un homme endormi, moins d'un cadavre que celui du Messie en attente de la résurrection.

Ainsi, selon moi, ces deux pietàs témoignent d'un finalité différente : tandis que l'une est orientée vers la mort, l'autre témoigne de la résurrection imminente. Comment cela était-il possible ? Pour le comprendre, il faut revenir aux CONCEPTS PHILOSOPHIQUES DEVELOPPES A L'EPOQUE DU QUATTROCENTO dont Michel-Ange était un disciple averti.

En premier lieu, cette pietà correspond aux idées développées par l'académie platonicienne de Florence : l'homme est capable de transcender le monde imparfait par la force de son esprit pour accéder au monde des Idées et en l'occurrence à l'Idée du Beau. Michel Ange possédait de solides connaissances en anatomie mais cela ne suffisait pas, il lui fallait représenter l'homme tel que Dieu l'avait conçu à son image par un processus d'idéalisation qui ne pouvait se produire que par l'illumination d'une vision intérieure : ainsi, la Vierge Marie est représentée idéalement dans son essence plus que dans son aspect réel.

Certes, Michel Ange s'inspire de la nature mais il rend ce qu'il voit dans la nature conforme à un canon idéal provenant de son esprit. ( " puisque les belles femmes sont rares... J'utilise une certaine idée qui me vient à l'esprit" disait-il ). La beauté du monde extérieur suscite une image intérieure que l'esprit a recomposée.

À cette recherche platonicienne de l'Idée de Beauté s'ajoute d'importants emprunts au pythagorisme : Les visages imparfaits des modèles sont aussi transcendés par l'application de la règle des nombres et de la proportionnalité tel qu'on le trouve dans les recherches sur le corps humain dont le plus bel exemple est " l'homme de Vitruve" de Leonard de Vinci. les visages de la Vierge Marie et du Christ révèlent, par l'harmonie de leur proportion, l'emploi des règles mathématiques ayant servi à leur élaboration.

Il apparaît aussi deux types d'emprunts à la doctrine d'Aristote : le premier est cette idée que l'âme naît en même temps que le corps et que c'est l'âme qui donne forme au corps, qui le formate pourrait-on dire. (1) : ainsi, au travers de la vision du corps, l'artiste doit représenter l'âme et le spectateur doit ressentir, au delà de la plastique corporelle, la beauté de l'âme, c'est par ce biais que l'on peut établir les pensées qui animent la Vierge de cette pietà.

Enfin, Michel Ange utilise le concept aristotélicien de l'hylemorphisme (1) de la même manière que l'âme (hulè) donne forme à la matière (morphè), l'artiste donne forme à la statue à partir d'un bloc informe de marbre. Michel-Ange traite le corps comme une prison terrestre de l'âme immortelle, son travail de sculpteur ressemble à un combat,  celui qui permet de dégager l'âme en échappant à l'esclavage de la matière. Certes, la matière résiste mais au bout du compte, ce doit être la forme qui doit triompher avec une parfaite équivalence de l'oeuvre d'art avec l'Idée que l'artiste recèle dans son esprit.

Ainsi, la Pietà de Michel Ange, loin d'être une simple copie d'oeuvres antiques est la mise en application de théories philosophiques renaissante à l'époque du Quattrocento. Sans ces notions, on ne peut comprendre le "non finito" qui sera l'objet du prochain article.


(1) voir l'article sur Aristote et saint Thomas d'Aquin dans le chapitre sur les CONCEPTS DE LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE.
(2) le "triomphe de la mort" a été décrit dans le chapitre sur LE RÈGNE DE LA MORT AUX XIVe ET XVe SIÈCLES

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