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jeudi 5 juin 2014

LE RÈGNE DE LA MORT XIVe et XVe SIÈCLES (4) : les PIETÀS

Pour les hommes de cette époque, la seule explication de toutes les calamités qui s'abattirent sur eux, était que Dieu les avait abandonnés à cause de leurs péchés. Dieu avait livré l'humanité au Diable :  celui-ci, heureux d'avoir le champ libre, sévissait tant et plus, suscitant la haine chez les gens, incitant les rois à se faire la guerre, tuant lui-même par la peste.. Il lui fallait ramasser le plus possible de morts afin de les damner aux flammes de l'enfer.

Le Christ qui était venu pour sauver les hommes et non les juger était ressenti comme "absent". Cette absence se référait à un événement mentionné dans les Évangiles : Jésus est mort le vendredi à trois heures, il est ressuscité le dimanche qui suivit la Pâques juive du samedi ; pendant cet intervalle de temps. Jésus est dans le royaume des morts. Ce séjour n'est pas mentionné dans les Evangiles, on en trouve seulement une indication dans la première lettre de saint Pierre apôtre : " Le Christ est allé proclamer son message à ceux qui étaient prisonniers de la mort. C’est pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l’esprit.". Peu importe, l'essentiel pour les hommes de l'époque est que, par une transposition symbolique, le Christ n'est plus au milieu d'eux et ne peut plus les sauver.

Ce séjour de Jésus  dans le royaume des morts avec abandon pour le moment des vivants a été a l'origine d'une floraison de Pietàs dans l'ensemble de l'Occident, j'en ai chois deux pour illustrer mon propos :

Ces deux sculptures représentent exactement la même scène : la Vierge Marie assise tient sur ses genoux le corps mort de Jésus que l'on vient de descendre de la croix. Il va de soi que cette scène n'a aucune référence évangélique. Elle est seulement le témoignage du désespoir et de l'angoisse des gens du XVe siècle qui se sentent totalement abandonnés et pour qui tout espoir de salut devenait impossible. Il n'y avait plus rien faire que de se laisser happer par la Mort.

Les deux Pietàs se ressemblent beaucoup :
   - Marie est  assise, elle porte un grand manteau qui lui couvre complètement le corps, un pan de son manteau forme une sorte de voile qui recouvre sa tête, son visage est celui d'une femme vieillie par la peine et par la douleur. Elle regarde son fils mort, ce regard témoigne de son désespoir ; Marie est représentée de manière profondément humaine, réagissant comme toute mère qui vient de perdre son enfant.
   - Jésus est  vêtu seulement d'un pagne, tel qu'on le voit dans toutes les scènes de crucifixion, son corps est marqué par les supplices qu'on a infligés à son corps : trous aux mains et aux pieds, coup de lance au côté. Son corps est efflanqué portant déjà la maigreur de la mort.

Pourtant, au delà de ces ressemblances, ces deux Pietàs sont différentes tant dans la composition que dans les altitudes :
LA PIETÀ DE VEZELISE montre une structure simple et statique :
     - le corps de le Vierge est organisé selon une ligne verticale,
     - le corps de Jésus  forme une diagonale qui semble barrer la composition,
     - Marie, du bras droit enserre la tête de son fils, tandis que l'autre main est posé simplement sur son corps.
LA PIETÀ DE CONTREXEVILLE apparaît nettement plus élaborée avec même esquisse d'un mouvement :
   - la Vierge Marie est représentée déhanchée à la fois pour regarder son fils mais aussi pour le retenir car sinon il tomberait, son autre main doit soutenir la tête de Jésus.
   - le corps de Jésus, à l'exception de sa tête,  est inscrit dans un rectangle, sa main tombe sur le sol
   - le cheminement des regards est une particularité de cette Pietà : Marie regarde son fils tandis que le visage du mort se dirige vers le sol et peut-être vers nous.

Ainsi, au delà d'une unité apparente de style, il existe de profondes différences entre ces Pietàs. Cela signifie que ce type de sculpture n'est ni un effet de mode, ni la copie d'une œuvre d'art que possédait une église voisine et dont on était jaloux ; il s'agissait beaucoup plus d'un sujet d'inspiration commun, chaque artiste créant sa Pietà à l'image de ses propres angoisses ou des angoisses de son commanditaire, témoignant de l'omniprésence de la mort dans les mentalités de l'époque.

À côté de ces pietàs sculptées, il existe de nombreuses pietàs peintes comme celle de Rogier Van der Weyden (peintre flamand, 1400-1464) datée de 1441.

Cette peinture utilise les mêmes poncifs que ceux des pietàs sculptées en y ajoutant l'ambiance :
   . L'atmosphère est crépusculaire, ; au centre, la croix est représentée  par son  poteau vertical, derrière sont peints des arbres qui se détachent sur les lueurs du coucher de soleil.
   . La Vierge est soutenue par saint Jean, son corps forme une diagonale, elle porte un ample manteau bleu ; de l'autre côté une sainte femme est en prières, elle a apporté un pot d'onguents.
   . Au centre de la composition se trouve le corps de Jésus en oblique soutenu par sa mère et par la main de saint Jean. Il semble occuper tout l'espace et est représenté avec beaucoup de réalisme :
         - du sang s'écoule de ses blessures et de son visage,
         - son visage, creusé par la souffrance, prend déjà un aspect cadavérique,
         - sa peau prend une couleur jaune de cadavre qui contraste nettement avec la pâleur du visage de sa mère.

Cet aspect cadavérique devait être aussi le fait des pietàs sculptées puisqu'elle étaient peintes, ce qui devait en augmenter encore l'aspect lugubre et angoissant.


Comme on peut le constater, les PIETAS qui privilégient  la représentation du Christ en cadavre sont révélatrices des mentalités de l'époque où seule le Mort semblait tout régenter. C'est une des formes caractéristiques du RÈGNE DE LA MORT, il en sera de même des MISES AU TOMBEAU que je présenterai dans le prochain article.

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