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mercredi 4 juin 2014

LE RÈGNE DE LA MORT : XIVe et XVe SIÈCLES (3) : la peste noire à Tournai et Florence

1- LA MINIATURE DE GILLES LE MUISIT, Bibliothèque royale de Bruxelles

La première œuvre présentée montre l'enterrement des pestiférés à Tournai lors de la peste Noire en 1349 (1).

Cette scène témoigne de la manière dont on amenait les cadavres dans les cimetières ou plutôt ici,  dans des terrains vagues devenus cimetière à cause de la surabondance des morts, les anciens cimetières ne suffisaient plus.

Tandis que les uns creusent des fosses au moyen de pioches et de pelles, d'autres apportent les cercueils venant de la ville. Quatre personnes amènent, comme en procession,  un cercueil qu'ils portent sur des barres de bois. Par contre, les autres témoignent de moins de respect : ils tiennent  les cercueils sur leurs épaules : il y a tant à faire et tant de cadavres à enterrer que l'on n'a plus le temps de faire autrement ! 

Au centre du dessin, deux hommes, après avoir ouvert le cercueil, s'apprêtent à mettre dans une fosse un mort enveloppé dans son linceul, un simple drap cousu. Tout autour, le sol herbeux est parsemé de planches qui doivent être celles des cercueils que l'on a ouvert pour n'ensevelir que le corps entouré de son linceul. Cette pratique s'explique aisément, il y a tant de morts et si peu de cercueils !

À droite, deux hommes, dont un moine s'apprêtent à mettre en terre un mort : le cercueil est posé sur la fosse, va-t-on l'ouvrir pour ne mettre en terre que le mort ou va-t-on enterrer ce mort dans son cercueil ? On ne sait.

Qui sont ces personnes qui prennent des risques énormes en acceptant de transporter des pestiférés ? Plusieurs hypothèses sont possibles :
   . De pauvres gens qui acceptent de faire ce travail pour nourrir leur famille ?
   . Des gens pieux et désintéressés qui accomplissent cette œuvre pour permettre à ces morts de reposer en terre consacrée et donc de ressusciter ?
   . Des personnes qui espèrent par ce dévouement, ce don de soi et ce sacrifice gagner leur salut ?
On a l'impression, au vu des costumes, que toutes les classes sociales sont représentées, ce qui permet de penser que ces trois hypothèses sont plausibles. Parmi ces personnes, il ne semble apparaître qu'un ou deux religieux, ce sont des moines qui devaient prier pour tous ces morts tout en travaillant à leur ensevelissement.

Cette scène pour horrible qu'elle soit, n'était qu'un des prémices de ce qui dût suivre quand le nombre des morts fut tel qu'il ne fut plus possible de leur donner une sépulture chrétienne. Un récit littéraire nous est fourni par Boccace (Giovanni Boccaco, (1313-1375) qui écrivit le Decameron entre 1349 et 1353 et fut donc un témoin direct de la Peste Noire à Florence.

2/ extraits de la PREMIÈRE JOURNÉE DU DECAMERON

" Les gens ....tombaient chaque jour malades par milliers, et, n’étant servis ni aidés en rien, mouraient presque tous sans secours. Il y en avait beaucoup qui finissaient sur la voie publique, soit de jour soit de nuit. Beaucoup d’autres, bien qu’ils fussent morts dans leurs demeures, faisaient connaître à leurs voisins qu’ils étaient morts, par la seule puanteur qui s’exhalait de leurs corps en putréfaction.

Les voisins, mus non moins par la crainte de la corruption des morts que par la charité envers les défunts, avaient adopté la méthode suivante : soit eux-mêmes, soit avec l’aide de quelques porteurs quand ils pouvaient s’en procurer, ils transportaient hors de leurs demeures les corps des trépassés et les plaçaient devant le seuil des maisons où, principalement pendant la matinée, les passants pouvaient en voir un grand nombre.

Alors, on faisait venir des cercueils, et il arriva souvent que, faute de cercueils, on plaça les cadavres sur une table. Parfois une seule bière contenait deux ou trois cadavres, et il n’arriva pas seulement une fois, mais bien souvent, que la femme et le mari, les deux frères, le père et le fils, furent ainsi emportés ensemble.

Les choses en étaient venues à ce point qu’on ne se souciait pas plus des hommes qu’on ne soucierait à cette heure d’humbles chèvres.

La terre sainte étant insuffisante pour ensevelir la multitude des corps qui étaient portés aux diverses églises chaque jour et quasi à toute heure, et comme on tenait surtout à enterrer chacun en un lieu convenable suivant l’ancien usage, on faisait dans les cimetières des églises, tant les autres endroits étaient pleins, de très larges fosses, dans lesquelles on mettait les survenants par centaines. Entassés dans ces fosses, comme les marchandises dans les navires, par couches superposées, ils étaient recouverts d’un peu de terre, jusqu’à ce qu’on fût arrivé au sommet de la fosse..."


Ce texte est évocateur de l'ambiance quasi-apocalyptique qui régnait à Florence à cette époque :
   . une fois un cas de peste signalé, tout le monde fuyait la maison laissant le malade mourir seul et sans secours ; sa mort n'était signalée que par la puanteur des cadavres en décomposition s'exhalant de sa maison,
   . les cadavres que l'on alignait le long des rues attendant la charrette qui les ramassait,
   . les grandes fosses que l'on creusait pour y entasser les cadavres,
   . à cela s'ajoutaient les fumigations au moyen desquelles on espérait purifier l'air...

Vraiment Dieu semblait avoir abandonné le monde !
Le RÈGNE DE LA MORT était partout présent.

NOTES

(1) la mortalité due à la peste noire est difficile sinon impossible à évaluer : Boccace indique 100.000 morts de la peste dans une ville de 120.000 habitants, ce qui selon M Yves Renouard est impossible pour une ville qui continua à être une cité prospère et peuplée. Cet auteur estime que la peste fit mourir selon les régions entre 2/3 et 1/8 de la population, il cite aussi l'exemple de la commune de Givry comportant de 1200 à 1500 habitants pour laquelle est conservé un registre paroissial : alors qu'il y avait en moyenne 30 décès par an, il mourut 615 personnes entre le 5 août et le 19 novembre 1348. De même, il indique que les villes furent plus touchées que la campagne et que dans les villes italiennes, la peste tua entre 40 à 60% de la population.

Des épidémies eurent lieu pendant toute la période : à Paris par exemple, on mentionne des pestes en 1428 puis en 1437-38, en 1466..On les appelait par le nom générique de peste

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