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dimanche 19 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (111) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

LA QUATRIÈME  EXPÉDITION (1168-1169)

Elle est pour moi la plus intéressante pour deux raisons :
   - d'abord parce qu'elle est symptomatique des mentalités des francs mettant systématiquement en avant leur goût du pillage et un appétit d'enrichissement porté à son paroxysme,
   - ensuite parce que Guillaume de Tyr est un contemporain de cette expédition, participant aux ambassades qui furent organisées au préalable,
    - enfin par le fait que cet auteur n'hésite pas à dénoncer l'esprit de lucre des francs qu'il condamne avec fermeté.

Le récit de Guillaume de Tyr est si intéressant à la fois pour l'étude des mentalités y compris celle du maître des hospitaliers, qu'il mérite que j'en cite de larges extraits :

PREMIÈRE PHASE : LA PROPOSITION D'ALLIANCE DE L'EMPEREUR BYZANTIN
" Dans le cours de l'été (1168) [les députés de l'empereur de Constantinople Manuel Comnène]... arrivèrent à Tyr; ils allèrent aussitôt trouver secrètement le seigneur Roi..., lui exposèrent l'objet de leur voyage, et lui présentèrent les écrits qu'ils avaient reçus de l'Empereur ... Voici quel était, en abrégé, le motif de leur mission. Le seigneur Empereur avait reconnu que le royaume d'Egypte, infiniment puissant jusqu'alors et jouissant d'immenses richesses, était tombé entre les mains de gens faibles et efféminés, et que les peuples voisins avaient une parfaite connaissance de l'impéritie, de la faiblesse et de l'incapacité du seigneur de ce pays et de tous ses princes. Comme il paraissait impossible que les choses demeurassent plus longtemps dans cette situation, plutôt que de voir passer la souveraineté et le gouvernement de ce royaume entre les mains des nations étrangères ( les émirats de Nur-Al-Din) , l'Empereur avait pensé ...qu'il lui serait facile, avec le secours du seigneur Roi, de soumettre ce pays à sa juridiction.

on arrêta une convention qui fut approuvée des deux parties puis le Roi me (Guillaume de Tyr parle ici de lui-même)  donna l'ordre ... d'aller, en qualité de conseiller du Roi et de tout le royaume, porter au seigneur Empereur les lettres qui me furent remises, et de ratifier le traité  ...  en la forme qui fut déterminée par avance.

Le seigneur Empereur nous accueillit honorablement, et nous traita avec bonté dans sa clémence impériale ; nous lui exposâmes soigneusement le motif de notre voyage et de notre mission auprès de lui, ainsi que la teneur des traités que nous avions à lui présenter ; il reçut ces nouvelles avec joie et approuva gracieusement tout ce qui avait été réglé à l'avance.

Après avoir reçu les lettres impériales qui contenaient en entier toutes les clauses du traité, ayant ainsi heureusement accompli notre mission,  nous nous remîmes en route vers le commencement d'octobre, pour retourner dans le royaume" .

 Ainsi l'empereur Manuel propose au roi de Jérusalem d'organiser une expédition commune pour la conquête de l'Egypte. Amaury a accepté cette alliance mais elle l'ennuie car l'empereur exigera de placer l'Egypte sous son autorité ainsi qu'un partage de l'Égypte et du butin. C'est pourquoi le roi va précipitamment organiser un conseil afin de recueillir l'avis des féodaux sur l'envoi immédiat d'une nouvelle expédition en Egypte. Ce conseil sera tenu avant même le retour des ambassadeurs porteurs du traité d'alliance.

DEUXIÈME PHASE : LES DISCUSSIONS DES FRANCS SUR L'INTERVENTION EN EGYPTE
Lors de ces discussions, deux opinions contraire se firent jour :
     . Pour les uns, ils assuraient savoir avec certitude " que Savar, le [vizir] d'Egypte, expédiait fréquemment des messages à Noradin ( Nur-Ad-Din) , et implorait secrètement son assistance, lui faisant dire qu'il se repentait d'avoir conclu un traité avec le Roi, et qu'il avait le projet d'y renoncer; qu'il éprouvait de la répugnance à se trouver engagé dans une alliance avec un peuple ennemi, et que s'il pouvait compter avec certitude sur les secours de Noradin, il s'empresserait de rompre son traité et de se séparer du Roi.
     . Il y a des personnes qui disent (aussi ) que tous ces bruits n'étaient qu'une fausse invention, que le [vizir] Savar était innocent, qu'il observait de bonne foi son traité et en remplissait les conditions, et que ce fut à la fois une œuvre impie et injuste d'aller lui faire de nouveau la guerre"  et que la traîtrise dénoncée de Sawar n'était qu'un prétexte sans fondement.

Dès ce moment, Guillaume de Tyr prend partie en écrivant que Dieu ne pouvant accepter ces faux arguments "retira sa protection aux nôtres, rendit leurs efforts inutiles, et ne voulut point accorder le succès à des tentatives qui n'étaient point fondées sur la justice. "

Ainsi, la quatrième expédition d'Égypte avait des buts uniquement matériel sans aucune connotation religieuse, Guillaume de Tyr utilise des mots très forts pour dénoncer les comportements des francs ( impie, injuste, faux arguments). De cette prise de position, on peu en conclure que Sawar respectait ses engagements même s'il avait du mal à réunir les sommes nécessaires au paiement du tribut (100.000 dinars par an !)

La quatrième expédition d'Egypte fut donc réalisée dans la précipitation avant que les byzantins ne puissent intervenir et exiger la souveraineté sur l'Egypte et avant que Nur-Ad-Din ne réagisse et envoie un nouveau corps expéditionnaire. On se servit d'un faux prétexte pour justifier l’invasion un pays officiellement allié du royaume.

LA PARTICIPATION DES HOSPITALIERS À LA QUATRIÈME EXPÉDITION.
M Delaville le Roux mentionne un traité entre le roi Amaury et Gilbert d'Assailly daté du 11 octobre 1168, au moment du départ de l'armée rassemblée à Ascalon :
     . L'ordre s'engage à mettre à la disposition du roi 500 chevaliers et 500 turcopoles,
     . En échange, le roi concède de nombreux avantages à l'ordre :
          - la ville de Bilbeis lui sera cédée en toute propriété une fois conquise,
          - le roi assure à l'ordre un revenu de 50.000 besants Cette somme sera prélevée sur les revenus d'un territoire mis à la disposition de l'ordre ainsi que sur les revenus de dix villes d'Égypte ; parmi ces dix villes citons  Forstat, Tanis, Damiette, Alexandrie ... Dans chaque cité, l'ordre devra disposer de la meilleure maison après, cependant, que le roi se soit servi.
         - l'ordre recevra une part du butin ainsi que des tributs et indemnités payés par le vaincu après prélèvement de la moitié allouée au roi.  Il pourra percevoir la dîme sur toutes les terres conquises...

Ainsi, même au niveau des Hospitaliers, l'esprit de lucre et de puissance domine. Comme souvent, on se partage les dépouilles avant même de les avoir conquises ! Ce partage ne fut cependant pas le fait unique des hospitaliers, il est probable que chaque seigneur se vit aussi attribuer un bien sur la conquête à venir.

Guillaume de Tyr donne une image sombre du maître de l’Hôpital :
"Gerbert, surnommé Assalu [Gilbert d'Assailly] maître de la maison de l'Hôpital, établie à Jérusalem, fut, à ce qu'on dit aussi, le principal moteur de ces funestes résolutions (d'attaquer l'Égypte)

C'était un homme d'un grand courage, et généreux jusqu'à la prodigalité, mais léger et d'un esprit très-mobile : après avoir dépensé tous les trésors de sa maison, il emprunta encore des sommes considérables, et les distribua à tous les chevaliers, qu'il allait cherchant de toutes parts pour les attirer à lui ; la maison de l'Hôpital se trouva, par sa conduite, chargée d'une si grande masse de dettes qu'il n'y avait aucun espoir qu'elle pût jamais s'en affranchir. "

Cette partie du texte permet de répondre à l'interrogation de savoir si les moines hospitaliers en tant que tels participèrent à l'expédition ; la réponse est donné ici par Guillaume de Tyr qui indique clairement que le maître de l'ordre alla chercher des chevaliers de toute part pour les attirer à lui : selon moi et au vu de cette phrase, ces chevaliers ne sont pas des membres profès de l'ordre mais des combattants enrôlés pour le temps de la campagne. Les hospitaliers proprement dit se chargeant néanmoins du commandement et de l'intendance.

" On dit qu'il ne fit toutes ces énormes dépenses que dans l'espoir qu'après la conquête et la soumission de l'Egypte, la ville de Bilbéis, anciennement appelée Péluse,(1) et tout son territoire, reviendraient à sa maison et lui appartiendraient à perpétuité, en vertu d'une convention conclue antérieurement avec le Roi."

Ces dépenses excessives et le fait que le chapitre n'ait pas été consulté  firent que Gilbert d'Assailly fut si critiqué après l'échec de l'expédition qu'il décida de renoncer à la charge de maître de l'ordre.


1- Guillaume de Tyr indique dans son texte que la ville concédée à l'ordre de l'Hôpital est "Peluse anciennement appelée Bilbeis," ce qui semble faire penser qu'il s'agit de la même ville, en fait, ce sont deux villes différentes, et le don, selon les historiens consultés, concerne Bilbeis.

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