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lundi 20 juillet 2015

Mentalités et comportements au temps de la croisade (112) : LES HOSPITALIERS DE SAINT JEAN DE JERUSALEM SOUS LES SUCCESSEURS DE RAYMOND DU PUY JUSQU'À 1187

LA PARTICIPATION  DES HOSPITALIERS À LA GUERRE OFFENSIVE : L'EXEMPLE DES EXPÉDITIONS EN ÉGYPTE DU ROI AMAURY. (Suite)

TROISIÈME PHASE : LE DÉROULEMENT DE LA CAMPAGNE : LA PRISE DE BILBEIS
Il convient de rappeler d'abord que l'expédition des francs se déroule dans un pays allié ayant fait allégeance au roi de Jérusalem, ce qui rend encore plus horrible les forfaits qui s'y sont perpétrés. Le déroulement de la campagne est décrit avec beaucoup de précisions par Guillaume de Tyr.

" Le Roi cependant s'étant armé, et ayant fait tous ses préparatifs de guerre et rassemblé les forces du royaume, descendit de nouveau en Egypte, la cinquième année de son règne, au mois d'octobre (1168)   

Après avoir marché pendant dix jours environ à travers le désert qui précède ce pays, il arriva à Péluse, [ Bilbeis]  l'investit aussitôt de toutes parts, s'en empara de vive force en trois jours ... et y introduisit sans retard toutes ses troupes le treizième jour de novembre. 

Aussitôt après la prise de la ville, la plupart des habitants furent passés au fil de l'épée, sans aucun égard pour l'âge ni le sexe ; et ceux qu'un hasard quelconque fit échappera ce massacre, et que l'on put découvrir ensuite, perdirent leur liberté... et furent soumis à une misérable servitude. 

... les bataillons chrétiens, s'élançant en désordre et pèle-mêle, pénétrèrent dans les retraites les plus cachées; ils ouvraient dans les maisons toutes les portes secrètes, et, cherchant de tous côtés ceux qui semblaient avoir échappé aux dangers de la mort, ils les chargeaient de fers et les traînaient ignominieusement au supplice. Ceux qui se montraient dans toute la vigueur de l'âge mûr ou bien armés étaient frappés par le glaive, à peine témoignait-on quelque pitié pour les vieillards ou les enfants, et les gens du menu peuple ne rencontraient pas plus d'indulgence. Tout ce qui pouvait exciter la cupidité tomba entre les mains des assiégeants, et les objets les plus précieux, les plus riches dépouilles, furent distribués par le sort entre les vainqueurs."

Ce texte présente  une sévère condamnation par Guillaume de Tyr des actes perpétrés par les francs qui pour lui révèlent l'ignominie de leur comportement, le massacre des habitants n'était pas effectué parce qu'ils étaient des infidèles ou des ennemis mais uniquement pour s'emparer de leurs biens  : tuer pour mieux piller était la motivation principale des francs lorsqu'ils prirent Bilbeis. Ce type de comportement n'était cependant pas nouveau : de tels massacres avait été perpétrés lors de la première croisade et en particulier lors de la prise de Jérusalem. Les croisés étaient ainsi : férocité, brutalité et  sauvagerie s'alliaient avec la rapacité, la cupidité et le goût du pillage.

QUATRIÈME PHASE : LA MARCHE DES FRANCS VERS LE CAIRE ET LES TRACTATIONS AVEC LE VIZIR
Sawar quand il apprit ces tristes nouvelles crut bon, une nouvelle fois, de louvoyer entre ses deux ennemis en menant de pair deux stratégies parallèles :
     . Il proposa à Amaury qui venait de quitter Bilbeis pour se rendre au Caire, d'augmenter le tribut pour "apaiser sa colère" ; le vizir "ayant enfin découvert l'excessive cupidité du Roi, l'accabla de ses promesses, et s'engagea à lui donner des sommes considérables, telles que le royaume entier eût à peine suffi à les acquitter quand on aurait épuisé même toutes ses ressources. On assure, en effet, qu'il promit de livrer deux millions de pièces d'or, à condition que le Roi ... remmènerait ses troupes dans ses États. "
     . Il envoya des députés à Nur-Ad-Din pour lui demander des secours,

Nur-Ad-Din accepta la demande de Sawar car il se rendait compte que le roi de Jérusalem pourrait réussir à s'emparer de l'Egypte, ce qui augmenterait considérablement sa puissance et ferait tomber un pays musulman sous la férule des infidèles. Il organisa une expédition sous le commandement de Šīrkūh

Quant à Amaury, il poursuivait sa route vers le Caire sans se hâter , " il s'avança avec une telle lenteur qu'il faisait à peine en dix jours la marche d'une seule journée" . Guillaume de Tyr attribue cette lenteur aux tractations secrètes qui avaient lieu entre le roi et le vizir :
      . le vizir promettait au roi toujours plus d'argent pour obtenir la retraite des troupes,
      . Amaury ne songeait " que d'arracher le plus d'argent possible au [vizir], aimant mieux vendre sa retraite au poids de l'or que de livrer la ville au pillage des gens du peuple, comme il l'avait fait déjà pour la ville de " Bilbeis.

En " faisant de telles offres le vizir savait bien qu'il ne pourrait jamais les acquitter" ; son but principal était "d'empêcher que le Roi n'arrivât trop vite au Caire, et que, trouvant cette place sans munitions et hors d'état de se défendre, il ne parvînt à s'en emparer dès les premières attaques" , grâce à ce délai,  il s'empressa de mettre la ville en défense, montra aux habitants que la seule issue était de combattre s'ils ne voulaient pas être massacrés comme ceux de Bilbeis, en outre, en retardant le roi, il gagnait du temps de manière à permettre à Šīrkūh d'arriver.

Le roi arriva finalement au Caire et il installa ses machines de guerre afin de livrer l'assaut. Le vizir et les siens,  " en même temps qu'ils promettaient beaucoup d'argent, .. demandaient des délais pour s'acquitter, disant que les sommes étaient beaucoup trop considérables pour qu'on pût les trouver sur un seul point, et qu'ils avaient besoin d'un plus long terme pour suffire à leurs engagements. Ayant donné cependant cent mille pièces d'or sans aucun retard, le [vizir] obtint [la levée du siège] (1)

CINQUIÈME PHASE : LES DISCUSSIONS ENTRE FRANCS SUR LES PROPOSITIONS DU VIZIR

" Le Roi leva alors le siège, se retira à un mille de la place environ" ...C'est alors que s'éleva entre croisés une nouvelle discussion concernant le sort à appliquer à la ville du Caire :  la piller ou se contenter du tribut, les féodaux voulaient la piller, le roi préférait plutôt le tribut

Guillaume de Tyr présente les deux alternatives du débat qui eut lieu :
 " ... lorsque les villes sont prises de force, les armées remportent toujours de bien plus riches dépouilles que lorsqu'elles sont livrées aux rois et aux princes à la suite d'un traité quelconque et sous des conditions déterminées, qui ne sont avantageuses qu'aux seigneurs mêmes.
     . Dans le premier cas, au milieu de la confusion qu'entraînent toujours ces scènes tumultueuses de destruction, tout ce que chacun rencontre, de quelque manière que ce soit, appartient au premier occupant, en vertu du droit de la guerre, et accroît la petite fortune de chaque vainqueur ;
     . mais dans le second cas, les rois seuls profitent des stipulations favorables, et tout ce qui leur est alloué revient de droit à leur fisc.

La plupart des participants à l'expédition étaient évidemment enclins à l'attaque de la ville afin de la livrer au pillage qui leur permettrait de conserver pour eux-mêmes le produit de leur larcin, cependant le roi imposa son point de vue,  l'armée franque resta sur ses positions et l'on continua à négocier sur la valeur du tribut.

Encore une fois la cupidité des seigneurs comme du celle du roi était clairement établie, ils combattaient uniquement pour les avantages matériels qu'ils pouvaient en tirer. (2)

SIXIÈME PHASE : LA RETRAITE

Sawar, délivré de l'imminence de l'assaut franc sur Le Caire, n'eut plus qu'à faire des promesses de plus en plus mirifiques au roi pour le faire patienter en attendant l'arrivée de l'armée de Šīrkūh.

Quand les francs apprirent l'arrivée de l'armée turque, le roi décida de se replier vers Bilbeis, " Là, ayant pris des vivres pour la route, et laissant derrière lui une force suffisante de chevaliers et de gens de pied pour défendre la ville, le Roi partit le 25 décembre, et marcha vers le désert à la rencontre de[ Šīrkūh ] s'était déjà assez avancé dans cette solitude, lorsque les éclaireurs qui connaissaient bien les localités, et en qui il fallait bien avoir confiance, vinrent lui annoncer que   [ Šīrkūh ] avait déjà passé avec toutes ses troupes.

" Les forces des ennemis étant doublées, il n'y avait plus de sûreté à demeurer plus longtemps dans le pays ; tout retard accroissait le péril. Il paraissait imprudent d'aller combattre les ennemis, et d'ailleurs le [vizir] ne voulait plus accomplir ses engagements; nous n'avions aucun moyen de l'y contraindre, et il était évident qu'il n'avait cherché tant de prétextes et de retards que dans l'intention d'attendre l'arrivée des Turcs, pour nous forcer alors à la retraite."

Dans cette situation il n'y avait plus rien d'autre à faire que de quitter l'Egypte : l'armée évacua Bilbeis et le roi regagna son État.

1- Parallèlement à l'attaque terrestre, Amaury avait enjoint à la flotte franque de gagner l'Egypte, celle-ci aborda une des embouchures du Nil, prit Tanis que l'on pilla puis tentèrent de remonter le fleuve. Ils y furent empêchés par les égyptiens qui fermaient le passage, puis le roi ordonna le repli de sa flotte vers ses ports d'origine lorsqu'il apprit l'arrivée de l'armée turque.

2- Cette différence de point de vue entre le roi et les féodaux  a été aussi évoquée par un auteur arabe IBN AL ATIR qui relate un dialogue qui eut lieu avant ou pendant l'expédition  :

" Les Francs invitèrent leur roi Amaury à faire la conquête de l’Égypte ; [le roi], malgré les représentations des officiers les plus élevés en grade et réputés pour leur prudence, leur tint le discours suivant : Mon avis, leur déclara-t-il, est de ne point nous engager dans cette affaire, l’Égypte est notre vache à lait, le tribut qu’elle nous fournit sert à nous donner des forces pour résister à Nūr ad-Dīn. Si nous y allons avec l’intention d’en prendre possession le souverain, l’armée, les habitants des villes et ceux des campagnes refuseront de nous céder le pays et la crainte que nous leur inspirerons les jettera dans les bras de Nūr ad-Dīn. Et si celui-ci accepte.... cela aboutira à la perte des Francs et à leur expulsion à brève échéance de Syrie ! »

Les membres du Conseil, répliquèrent à Amaury : « L’Égypte n’a personne ni pour la protéger ni pour la garder et avant que Nūr ad-Dīn apprenne nos projets, et qu’il ait le temps d’équiper une armée et de l’envoyer contre nous, le pays sera entre nos mains. »

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