Dans la perspective de l'étude des mentalités qui présidaient à cette série sur les croisades, je voudrais donner ici quelques précisions sur cet échec retentissant de la deuxième croisade à Damas que j'ai évoqué dns mon précédent article.
LA CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS
L'échec de la seconde croisade commence dès le conseil d'Acre (24 juin 1148) lorsque fut décidé le choix de l'objectif de l'offensive vers Alep ou Damas.
- A Alep, règne le fils de Zengi qui s'était emparé d'Edesse et avait reconquis le comté. Zengi avait été assassiné en 1146 et les émirats qu'il contrôlait avaient été partagés entre ses deux fils : Nur-Ad-Din avait reçu Alep et Sayf-Ad-din, Mossoul.
- À Damas, régnait un émir, Mu'in-Al-Din Unur avec qui les princes croisés avaient signé des trêves et qui entretenait des relations pacifiques avec les Etats francs. L'émir de Damas craignait à juste titre son puissant voisin d'Alep, ce qui explique son choix vis à vis des croisés.
De ces deux Etats turcs, celui de Nur-Ad-Din était le plus menaçant, la logique aurait voulu que ce soit lui qui soit attaqué par la croisade : ce ne fut pas le cas : la croisade se porterait sur Damas !
le choix de Damas serait inexplicable sans l'appétit de puissance des barons francs tout comme des croisés qui voulaient s'emparer de nouvelles terres et rêvaient de se constituer des fiefs : dans cette perspective, l'émirat de Damas était jugé plus facile à conquérir que celui d'Alep et beaucoup rêvaient à la constitution d'une principauté chrétienne à Damas et espéraient y trouver leur compte.
Certains prétendirent que ce choix correspondait à une politique réfléchie : à partir de Damas, il serait plus facile d'attaquer Alep, d'autres mirent en avant le contexte religieux en rappelant que Damas était lié au souvenir de saint Paul. Pourtant ces arguments ne sont que prétexte, la vraie raison est, comme souvent dans l'histoire des croisades, l'appétit de conquête.
Pour comprendre ce qui s'est passé, le récit de Guillaume de Tyr est particulièrement précieux :
Dans un premier temps, les armées croisées, s'installent dans la partie occidentale du bord de la Ghuta (1 du plan) l'oasis qui entoure Damas, constituée d'un lacis dense de chemins étroits et de jardins ils tentent de s'emparer des jardins pour s'avancer vers la ville mais ils se heurtent à une forte résistance : " Vers l'occident, par où nos troupes arrivaient, et vers le nord, le sol est entièrement garni de vergers, qui forment comme une forêt épaisse.... Afin que les propriétés ne soient pas confondues et que les passants ne puissent y entrer à leur gré, ces vergers sont entourés de murailles construites en terre, car il y a peu de pierres dans le pays. Ces clôtures servent donc à déterminer les possessions de chacun, Ces vergers sont en même temps pour la ville de Damas d'excellentes fortifications; les arbres y sont plantés très-serrés et en grand nombre, les chemins sont fort étroits, en sorte qu'il semble à peu près impossible d'arriver jusqu'à la ville, si l'on veut passer de ce côté. C'était cependant par là que nos princes avaient résolu... de conduire leurs armées et de s'ouvrir un accès vers la place. [ils pensaient que serait plus facile] et ils désiraient pour leurs armées pouvoir profiter de la commodité des fruits et des eaux."
" Le roi de Jérusalem entra donc le premier avec ses troupes dans ces étroits sentiers; mais l'armée éprouvait une extrême difficulté à s'avancer, soit à cause du peu de largeur des chemins, soit parce qu'elle était incessamment harcelée par des hommes cachés derrières les broussailles, "
La voie directe vers la ville par les jardins se révélant plus difficile que prévu, les croisés décident de se porter jusqu'à la rivière Barana. (2) :" Les nôtres, en effet, apprenant que le fleuve était dans le voisinage, se hâtèrent de s'y rendre, pour apaiser la soif ardente que leur avaient donnée les travaux de la journée et les nuages de poussière soulevés sans cesse par les pieds des hommes et des chevaux : ils s'arrêtèrent un moment en voyant les bords du fleuve occupés par une multitude innombrable d'ennemis. ". Finalement les berges de la rivière sont conquis par l'armée de l'empereur Conrad III.
A ce moment, le 24 juillet 1148, l'armée croisée contrôle une partie des jardins ainsi que le cours de la rivière, ce qui lui permettrait de couper l'approvisionnement en eau de l'oasis. Les damasquins tentent des sorties pour desserrer l'étreinte mais sans réussir à faire vaincre les croisés. Ils appellent aussi à l'aide leurs puissants voisins d'Alep et de Mossoul qui étaient jusqu'alors leurs rivaux.
Pendant ce temps, Philippe d'Alsace comte de Flandres réussit à convaincre Louis VII et Conrad III de lui attribuer la future principauté de Damas. On peut imaginer la colère des seigneurs syriens qui se voyaient floués par un nouveau venu !
C'est alors que se commit l'erreur qui fit tout échouer : Les seigneurs syriens persuadèrent alors Louis VII et Conrad III et " les entraînèrent à abandonner le quartier des vergers, pour transporter leur camp et leurs armées à l'autre extrémité de la ville.(3 du plan) Ils dirent...qu'il n'y avait de cet autre côté de la place qui fait face au midi... ni vergers qui formassent un point d'appui pour la défense, ni fleuve ni fossés qui pussent rendre plus difficiles l'accès et l'attaque des murailles. Les murailles, disaient-ils en outre, étaient basses et couvertes en briques non cuites, en sorte qu'elles ne pourraient pas même soutenir un premier assaut : ils ajoutaient encore que, de ce même côté, on n'aurait besoin ni de machines ni d'efforts considérables ; que dès la première attaque il ne serait nullement difficile de renverser les murailles en les poussant avec la main, et d'entrer aussitôt après dans la place"
Suite à ces conseils, les croisés se portèrent vers le sud, ce qui permit à l'émir de Damas de réoccuper les jardins et de les mettre solidement en défense. Sans eau, ni approvisionnement, l'armée franque ne pouvait tenir : Le camp était entièrement dépourvu de denrées : "on leur avait persuadé, même avant qu'ils entreprissent cette expédition, qu'ils s'empareraient de la place sans coup férir, et, dans cet espoir, les Chrétiens n'avaient apporté de vivres que pour quelques jours : On leur avait dit que la ville se rendrait sans la moindre difficulté et dès le premier assaut " [ce qui ne se produisit pas]
" Dans cette nouvelle situation les Chrétiens ne savaient que faire.... Il leur semblait fâcheux ... impossible d'aller reprendre les positions qu'ils avaient quittées. En effet, aussitôt après qu'ils en étaient sortis , les ennemis... s'appliquèrent à fortifier ces lieux et les chemins par où nos soldats avaient passé, beaucoup plus même qu'ils ne l'étaient auparavant; ils encombrèrent les avenues de poutres et d'énormes quartiers de pierres, et les vergers furent occupés par des multitudes d'archers, chargés de repousser quiconque tenterait de s'approcher. "
A cela s'ajouta l'arrivée d'une armée de secours provenant d'Alep et conduite par Nur-Ad-Din : sans eau ni approvisionnement, menacée d'être encerclée, la croisade abandonna le 28 juillet le siège de Damas. L'échec fut d'autant plus grave que Nur-Ad-Din fut accueilli en vainqueur à Damas ; en 1154, il s'empare de Damas, réalisant l'union de Damas et d'Alep et l'encerclement des Etats francs.
REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
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Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com
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