La société humaine m'a semblé s'organiser selon deux structures antagonistes que je qualifierai d'un terme éminemment détestable de "monde d'en bas" et de "monde d'en haut" ( terme paraphrasé d'une déclaration d'un homme politique qui parlait de "France d'en bas" et de "France d'en haut", comme si ce terme était compatible avec l'idéal d'égalité prôné par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789).
- le "monde d'en bas", composé d'une immense majorité de ceux que j'ai appelé les "braves gens" capables de compassion, de générosité et de dévouement envers les autres.
- le "monde d'en haut" évoluant selon ses propres concepts, indépendamment de la société réelle. Il est conduit et structuré par de petits groupes d'individus avides de profits et sans scrupules qui, sous couvert d'anonymat, mènent l'humanité à leur guise. Ils savent très bien ce qu'ils font et dans quel sens ils conduisent leur action sans que, bien entendu, ceux qu'ils considèrent comme le "vulgus pecum" puisse se rendre toujours compte de ce qu'ils décident. Par leur action néfaste et détestable, par les multiples formes dont ils se parent, ils étendent leurs filets sur le monde réel, pervertissant tout ce qu'ils touchent, modelant la société à leur guise et y effaçant peu à peu tous ces élans de générosité et de compassion que l'on ressent dans le "monde d'en bas"
Lorsque je cherche un correspondance mythologique à ce "monde d'en haut", une image me vient presque immédiatement à l'esprit, celle de l'HYDRE DE LERNE (représentée ici par Albrecht Dürer) monstre aux multiples têtes, dont une immortelle, exhalant un poison qui détruisait toute vie à la ronde. Couper une de ces têtes ne servait à rien puisqu'elle repoussait immédiatement, plus dangereuse et plus malfaisante encore qu'auparavant.
Essayer de comprendre le fonctionnement néfaste de cette Hydre moderne et tenter d'en démonter les mécanismes qui la sous-tendent furent pour moi l'occasion de longues recherches que j'ai tenté de synthétiser dans les articles qui vont suivre.
Il convient de replacer d'abord ce système dans sa perspective historique.
La STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE DU 19ème SIÈCLE.
la société industrielle du 19ème siècle est née de la révolution des techniques qui, avec l'invention de la machine à vapeur mue au charbon de terre, permit la création de nouveaux moyens de communication (chemin de fer, bateaux à vapeur), de grandes manufactures, du machinisme et d'immenses banlieues usinières autour des villes..
Le coût de toutes ces avancées techniques fut tel qu'il devint vite impossible à un seul individu de financer la création des infrastructures, il fallut accompagner la révolution technique d'une évolution économique, ce qui conduisit à imaginer des formes diverses d'associations dont la plus pérenne et la plus efficace fut la société anonyme par actions.
L'épanouissement de la société par actions conduisit à la transformation de la classe sociale de ceux que la société du 19ème siècle qualifiait de " bourgeois" avec création de deux groupes :
. Les chefs des entreprises industrielles et bancaires qui dirigent effectivement ces sociétés parce que eux et leur famille possèdent un pourcentage suffisant d'actions pour contrôler les assemblées générales des actionnaires où chaque action compte pour une voix,
. Les "rentiers" disposant de fonds suffisants provenant souvent d'héritages de parents commerçants ou artisans, qui achètent et revendent des actions selon les bénéfices escomptés ou supposés et vivent principalement des dividendes versés par les sociétés anonymes.
La Bourse, élément principal de régulation de la vie économique,est basée à cette époque essentiellement sur les résultats effectifs des entreprises : par l'intermédiaire des courtiers de bourse, le rentier achète des actions de sociétés pour lesquelles les résultats sont bons et revend celles des sociétés que l'on ressent en difficultés :
. dans le premier cas, le cours des actions monte, le capital augmente et la société anonyme disposera d'un surplus de capitaux qui lui permettra d'investir,
. dans le second cas, le cours des actions baisse, ce qui augmente les risques de faillite.
À cette période, la bourse était ancrée dans le réel, elle témoignait des grandes tendances économiques et constituait un baromètre de la bonne santé des sociétés par actions
Certes il existait deux dangers inhérents à ce système :
. il se produit des tentatives de spéculation (vendre des actions d'une société pour faire baisser les cours de ses actions,racheter ensuite ces actions au prix bas afin de les faire monter à nouveau) : ces tentatives, jugées moralement indécentes, ne sont cependant pas nées avec la société industrielle puisque l'on trouve des formes de spéculation dès l'antiquité.
. La société anonyme, pour subsister, doit verser des bénéfices importants aux actionnaires, ce qui conduit à limiter toute augmentation de salaires et à interdire tous les moyens permettant aux ouvriers d'usines, le "prolétariat " de s'organiser.
Le "prolétariat" représente le revers de la médaille de la société industrielle, il forme une masse d'autant plus misérable et exploitée qu'elle est alimentée par l'exode des campagnes vers les villes elle-même engendrée par la forte augmentation démographique. Comme la demande d'emploi excède l'offre, les "bourgeois" peuvent exploiter à leur guise leurs ouvriers : salaires de misère, horaires démentiels, logements insalubres, ouvriers ressentis comme dangereux et à surveiller, qui doivent porter un livret visé par les forces de l'ordre à chaque déplacement.
En 1841, la situation sanitaire des prolétaires est considérée comme si préoccupante que le gouvernement du roi Louis-Philippe commande une enquête au docteur Willermé. Le rapport de ce médecin dispense de tout commentaire.
En voici quelques extraits qui décrivent la situation du prolétariat à Mulhouse :
" Dès l’année 1827, on y comptait 44 840 ouvriers employés dans les seuls ateliers de filature, de tissage et d’impression d’indiennes… Sept ans plus tard, en 1834, époque de prospérité et d’extension pour ces manufactures, on évaluait approximativement à 91 000 le nombre de leurs travailleurs… (un) quart de la population.
La durée journalière du travail varie… A Mulhouse, à Dornach… les tissages et les filatures mécaniques s’ouvrent généralement le matin à cinq heures, et se ferment le soir à huit, quelquefois à neuf...Ainsi leur journée est au moins de quinze heures. Sur ce temps, ils ont une demi-heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner ; c’est là tout le repos qu’on leur accorde. Par conséquent, ils ne fournissent jamais moins de treize heures et demie de travail par jour.
La cherté des loyers ne permet pas à ceux des ouvriers en coton du département du Haut-Rhin...de se loger...auprès de leurs ateliers. De là, la nécessité pour les plus pauvres, qui ne pourraient d’ailleurs payer les loyers au taux élevé où ils sont, d’aller se loger loin de la ville, à une lieue, une lieue et demie, ou même plus loin, et d’en faire par conséquent chaque jour deux ou trois, pour se rendre le matin à la manufacture, et rentrer le soir chez eux.
On conçoit que pour éviter de parcourir deux fois chaque jour un chemin aussi long, ils s’entassent, si l’on peut parler ainsi, dans des chambres ou petites pièces, malsaines, mais situées à proximité de leur lieu de travail. J’ai vu à Mulhouse…de ces misérables logements où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur de la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches. Des lambeaux de couverture et souvent une espèce de matelas de plumes d’une saleté dégoûtante, voilà tout ce qui leur recouvrait cette paille. Du reste, un mauvais et unique grabat pour toute la famille, un petit poêle qui set à la cuisine comme au chauffage, une caisse ou grande boîte qui sert d’armoire, une table, deux ou trois chaises, un banc, quelques poteries, composent communément tout le mobilier qui garnit la chambre des ouvriers.
Pour les plus pauvres, tels que ceux des filatures, des tissages, et quelques manœuvres, la nourriture se compose communément de pommes de terre, qui en font la base, de soupes maigres, d’un peu de mauvais laitage, de mauvaises pâtes et de pain. Ce dernier est heureusement d’assez bonne qualité. Ils ne mangent de la viande et ne boivent du vin que le jour ou le lendemain de la paie, c’est-à-dire deux fois par mois.
L'ANALYSE DE KARL MARX DE LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE
le "manifeste du parti communiste" écrit par Karl Marx et Friedrich Engels en 1847 et publié en 1848, présente, avec une extraordinaire prescience, une vision prophétique du développement du capitalisme ; cette analyse pourrait être transposée en 2014 au moins pour les deux premiers paragraphes. En voici quelques extraits pour lesquels j'ai ajouté un titre :
La mondialisation de l'économie de marché.
Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. Par l'exploitation du marché mondial... Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries... qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développe...une interdépendance universelle des nations.
Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image.
Le modelage des modes de pensée.
Partout où la bourgeoisie a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques... elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité... dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce...elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
L'inéluctabilité de la victoire du prolétariat.
... le développement de l'industrie, non seulement accroît le nombre des prolétaires, mais les concentre en masses plus considérables; la force des prolétaires augmente et ils en prennent mieux conscience. Les intérêts, les conditions d'existence au sein du prolétariat, s'égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas.. Les ouvriers commencent par former des coalitions contre les bourgeois pour la défense de leurs salaires. Ils vont jusqu'à constituer des associations permanentes pour être prêts en vue de rébellions éventuelles. La bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables.
Il va de soi que ces extraits présentent une minuscule facette de la pensée de Karl Marx.
LA MISE EN PLACE DE FORMES DE RÉGULATION DE L'ECONOMIE
les deux premiers extraits du manifeste du parti communiste sont encore d'actualité comme il est dit plus haut, par contre, l'annonce de la victoire inévitable du prolétariat ne s'est nulle part réalisée :
- les révolutions communistes en Russie, en Chine et ailleurs furent le fait de groupuscules d'agitateurs marxistes et non celui du prolétariat puisque celui-ci ne représentait qu'une infime minorité de la population.
- dans les pays industriels, où le prolétariat était important, la révolution n'a pas eu lieu principalement par le fait qu'entre le prolétariat et les bourgeois capitalistes se sont glissés les États qui ont régulé les rapports économiques et sociaux au nom de la paix sociale mais aussi par compassion envers les souffrances des ouvriers.
Les lois sociales votées au 19ème siècle peuvent être données en exemple : elles furent de quatre types :
- levée des interdits qui empêchaient toute revendication des ouvriers : auparavant, les grèves étaient assimilée à une révolte et réprimée par les forces de l'ordre, les associations de défenses étaient interdites,
- correction des abus les plus criants : limitation puis interdiction du travail des enfants, limitation du temps journalier de travail (11h en 1900), instauration du repos hebdomadaire, versement des salaires à intervalle régulier...
- mise en place de système de caisse d'assurances en premier lieu contre les accidents de travail,
- création d'instances d'arbitrage et de contrôle : conseil des prudhommes, inspection du travail, convention collectives...
LA MISE EN PLACE DU NÉO-LIBÉRALISME À LA FIN DU 20ème siècle
le néolibéralisme est le fruit de théories économiques apparues et systématisées à partir des années 1970. Un de ses théoriciens est Milton Friedmann de l'école dite de Chicago qui reçut le prix Nobel pour ses travaux.
Ce système prône :
. la liberté totale des marchés qui se réguleront d'eux même par le jeu de la concurrence,
. La suppression de tout ce qui peut entraver ce jeu : suppression du rôle de l'Etat-providence et de son interventionnisme, disparition du secteur public, des règles mises en place pour la protection des travailleurs (salaires minimum, temps de travail), du contrôle de la monnaie...
. Fixation des taux de change entre monnaies et des taux d'intérêts du crédit par le marché et non plus par des décisions politiques
. Libre circulation des capitaux et des biens dans le cadre de la mondialisation,
. La libre entreprise doit être systématiquement encouragée et ne doit subir aucune entrave, ce qui implique des baisses de charges et d'impôts. Chaque individu devra être susceptible de devenir un entrepreneur.
. La règle d'adéquation entre l'offre et la demande de produits industriels doit être revue : c'est l'offre qui devient l'élément essentiel, à charge pour le marché de mettre en place des méthodes permettant aux produits industriels de trouver des clients.
Ce néolibéralisme présente deux caractères particulièrement surprenants :
. Par la volonté affirmée de supprimer tous les freins mis par les États au titre de la protection des ouvriers, le néolibéralisme annihile tous les efforts et toutes les lois mises en place pendant un siècle et demi : on se retrouve dans la situation décrite par Karl Marx avec une extension indéfinie et inhumaine de cette société qui méritera de plus en plus son qualificatif d' HYDRE de LERNE.
. l'offre étant privilégiée sur les besoins réel des gens, on va mettre en place un système que j'appellerai la SOC-COM, la société de consommation, qui va enserrer dans ses liens l'ensemble de l'humanité et user de méthodes de vente pouvant être classées en trois grandes catégories :
. Le conditionnement mental par la publicité,
. L'obsolescence programmée,
. La tyrannie de la production et des modes de vente.
Ces trois méthodes seront décrites dans les prochains chapitres...
REMARQUE
. Tous les articles de ce blog ont été rédigés par moi-même sans emprunt littéral à d'autres auteurs, ils sont le fruit d'une documentation personnelle amassée au cours des ans et présentent ma propre vision des choses. Après tout, mon avis en vaut bien d'autres.
. Toutes les citations de mes articles proviennent de recherches sur les sites gratuits sur Internet
Mon blog étant difficilement trouvable par simple recherche sur internet, voici son adresse : jeanpierrefabricius.blogspot.com
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